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Bande dessinée -> Humour |
| Chris Ware ACME Delcourt 2007 / 29.90 € - 195.85 ffr. / 114 pages ISBN : 978-2-7560-636-9 FORMAT : 23,5x38,5 cm Imprimer
Un livre de Chris Ware cest dabord un bel objet. Celui-ci, comme toute la série des Acme Novelty Library, de Jimmy Corrigan ou du précédent recueil traduit en France, Quimby the Mouse (LAssociation, 2006) néchappe pas à cette délicieuse règle. ACME se découvre dabord sous toutes ses fines coutures, avec de grands yeux réjouis. Le livre ressemble à ces ouvrages illustrés dantan, couverture épaisse et enluminée, rempli à ras bord de mille trésors et dont on pense ne pouvoir jamais faire le tour. Il se tourne et se retourne, se regarde de loin puis à la loupe (il contient sur sa reliure « la plus petite bande dessinée de lunivers » !), se découvre aussi dans le noir (une constellation phosphorescente est incluse), se déguste attentivement ou se feuillette au hasard. Bref, le livre de chevet idéal, inépuisable, plein dimages marquantes et daventures incroyables. Parodiant les almanachs et autres recueils pour la jeunesse, louvrage regorge ainsi de fausses publicités (on y vante entre autres un authentique crucifix romain, des humains miniatures, mais aussi un soulève-assiette ou un nud coulant
), de rubriques plus ou moins idiotes, de dessins en tout genre, de planches à découper et surtout de pages de bandes dessinées. La variété des styles utilisée par Chris Ware et son goût pur la diversité achève de faire de ce livre une mine dor graphique, un puits avec fond et forme- où lon viendrait se ressourcer, juste pour grappiller ici ou là une petite page de bonheur visuel.
Un superbe emballage qui cache de non moins belles pages, puisquACME se veut comme le « best-of », confectionné par lauteur lui-même, des différents numéros de la série Acme Novelty Library, entièrement réalisés par Chris Ware et dont la publication a commencé en 1993. Cest dans ces pages que sont nés Jimmy Corrigan et Quimby the Mouse, mais aussi Rusty Brown ou Rocket Sam que lon retrouve ici dans différentes planches. Pour loccasion, Chris Ware a complété cette sélection de pages inédites et a habillé lensemble dune maquette originale et renversante. Précisions enfin que la traduction par Delcourt de cet ouvrage dabord édité chez Pantheon en 2005 reste fidèle à loriginal, quasiment irréprochable dun bout à lautre.
Loccasion de retrouver donc toute la maîtrise graphique et narrative de Chris Ware. Lartiste cumule les approches et les formats, samuse des typographies et des couleurs, fait jouer les silences et les contrastes, et fait du découpage dune planche un ingénieux parcours fléché. Les époques se bousculent dune case à lautre, les ellipses sont vertigineuses et bouleversantes, et les dialogues toujours emplis dune noirceur comique virulente.
Derrière lapparent bazar de ces pages se cache une même ironie mordante et une mélancolie profonde. Tous les personnages de Chris Ware sont confrontés à labandon, comme létaient autrefois Jimmy Corrigan et son père, et se retrouvent quasiment autistes dans un monde qui ne leur convient pas. Et de la préhistoire au futur lointain, du western à la science-fiction cest toujours le même angoissant sentiment de ne pas être à sa place et lhorrible solitude qui ronge jusquà la mort les différents protagonistes, des plus nigauds comme Big Tex au plus mesquin comme Quimby. Lauteur de bandes dessinées lui-même est la victime de cet isolement forcé et, avec un degré que lon nimagine pas toujours second, Chris Ware évoque la déprimante vie dun artiste de comics, avec les sempiternels mêmes doutes et autres poignantes remises en questions. La tristesse et lisolement de ces êtres les conduisent parfois à daffreuses extrémités, la morale et léthique ayant échappé à leur conscience : on tue son compagnon avant de le pleurer, on joue au voyeur en slip devant la salle de bains, on maudit ses parents et on laisse tomber ses enfants
Certains, comme Rusty Brown, le geek par excellence, se réfugient dans la collectionnite aiguë, dautres se laissent aller à la dépression assistée par ordinateur comme cet habitant du futur que rien ne vient rassurer. Le supplice ultime cest le vide, linfini froid et silencieux dans lequel évolue, dès le dos du livre, un super-héros bedonnant.
Cest peut-être ce même vide inquiétant qui conduit Chris Ware a remplir des pages et des pages, jusquà lobsession maniaque. Ce vide qui le pousse à tout contrôler, à ne rien laisser au hasard, de la plus petite fausse publicité jusquà la typographie caractéristique de chaque série. Le résultat est un livre toujours situé dans un drôle dexcès contrebalancé par une implacable rigueur. Un équilibre étonnant qui conduit la folle démesure à soutenir et épaissir un propos parfois anecdotique. Ces pages magnifiques et magnifiées acceptent alors plusieurs lectures, refusant une fois pour toutes dêtre vidées dun unique sens.
Alexis Laballery ( Mis en ligne le 07/11/2007 ) Imprimer
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