Entretien avec Joann Sfar (janvier 2002) - Auteur de Grand Vampire et Le Minuscule Mousquetaire
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Parutions.com : Peut-on dire que vos derniers ouvrages (Grand Vampire, Le Minuscule Mousquetaire) constituent un tournant dans votre production?
Joann Sfar : Ce sont deux livres qui me tiennent à cur. Les ventes sont bonnes, mais les réactions sont souvent restées réservées : on a pu me dire que cétait bâclé, superficiel. Alors que ce sont mes ouvrages préférés parmi ceux que jai publiés chez des grands éditeurs. Cest plus spontané, avec en même temps un personnage suivi, une succession dévénements. Pour les vampires, jai été inspiré par ceux de Feuillade, vus sur le câble il y a quelques années je viens de macheter son Fantomas en DVD. Le côté grand-guignol que je recherche là permet de sapprocher de la réalité, de donner du sens à des sentiments.
Parutions.com : Vous avez un côté stakhanoviste, vous avez dit que vous faisiez de la BD pour "épater les copains". Ils sont nombreux ?
Joann Sfar : Le but nest pas de faire le plus dalbums possible mais, pour vivre normalement, je dois passer dix à quinze heures par jour à gribouiller. Cest mon vice, comme fumer pour dautres. On me dit souvent que je travaille vite, mais non, je fais une ou deux pages par jour, mais cela me prend six à sept heures par page, et toujours la plume sur le papier. Mais cest du plaisir pour moi, que jessaie de communiquer, en faisant apparaître des bonshommes. Dailleurs, en ce moment, je suis en train de faire une planche.
Parutions.com : Comment réussir à parler des adolescents dans une BD pour les ado, alors que vous et votre public navez pas dans ce cas-là les mêmes références ?
Joann Sfar : Cest le sujet qui sy prête . Dans Grand Vampire comme dans Le Minuscule Mousquetaire , il sagit de rencontres entre des personnages dun âge différent. Mais attention, ça na rien dautobiographique - les gens veulent toujours, quand on raconte une histoire damour, que ça soit autobiographique. Les deux ont été écrits en même temps, ce sont deux angoisses qui se répondent. Le mousquetaire, cest le type qui a eu tout ce quil voulait et qui laisse tout tomber pour devenir minuscule. Lhistoire du vampire se situe bien avant. Entre les deux, il faut imaginer toute une succession. Le vampire, par définition, cest une âme en peine qui erre dune victime à lautre, sans jamais évoluer. Il y a là quelque chose des amours mortes, comme dans les amours adolescentes, qui nont rien de constructif, bien avant la procréation, le mariage etc. Je tiens absolument à raconter une histoire damour, pas une histoire de cul, quelque chose de très glamour, qui nest pas du tout à la mode dans la BD. De toute façon cétait pré-publié dans Je bouquine où le lectorat est bien entendu très surveillé par les parents comme par léditeur. Jétais obligé de tourner autour sans jamais menfoncer, de faire beaucoup de métaphores sentimentales pour décrire lacte sexuel. Le sommet, cest la scène du baiser.
Parutions.com : Quelles sont les réactions de ce jeune public ?
Joann Sfar : Jusquà douze ans, ça plaît plus nettement aux filles quaux garçons, elles sont sensibles probablement à laspect peu mécanique du récit. En fait, je décris des personnages élémentaires, je suis un élève assidu de Bachelard. Alors quen France, on ne fait pas tellement léloge de limaginaire. De la même façon, dans mon dessin, jattache beaucoup dimportance à lépiderme, pour tirer les choses vers ce que lon ressent - Valery a dit quelque chose comme : ce que lon a de plus important cest notre peau.
Parutions.com : Vous travaillez beaucoup avec vos copains de lAssociation, est-ce radicalement différent de votre travail en solitaire ?
Joann Sfar : Non, cest rigoureusement la même chose, le but, cest dêtre entre copains. On est tous à la fois dessinateur et scénariste. Du coup, la délimitation entre les deux nest jamais claire, mais la BD nest pas de la littérature ni de lillustration. Le cur de la BD, cest la séquence.
Parutions.com : Vous avez animé cette semaine dans une librairie parisienne une rencontre avec Will Eisner sur le thème peu commun du judaïsme et de la bande dessinée.
Joann Sfar : Jai reçu une éducation juive très religieuse ; ce que jen ai retenu essentiellement cest la ritualisation du quotidien. Un juif qui pète, il remercie le Créateur. Il sagit simplement davoir les yeux ouverts, chaque moment quon vit est sans équivalent. Quant à parler dhumour juif, là je me méfie - cest comme les Noirs qui auraient le rythme dans la peau. Le problème, cest quon a toujours une vision instrumentalisée du juif, quelle soit laudative ou dépréciative. Concernant Will Eisner, ça a été un choc quand jai lu Un contrat avec Dieu. Quand jétais gamin je lisais déjà Le Spirit, jaimais y trouver, comme dans Snoopy ou Les Quatre Fantastiques, toute une famille de personnages. Cest un point commun à tous mes récits. On y trouve une famille de copains. Une autre révélation, gamin, ça a été Fred, mais aussi les Conan de Buscema, Goscinny, ou Pratt. Plus tard, jétais très fan du Jeune Albert. Ce que jaime chez Chaland, cest que lusage du style est au service du propos.
Propos recueillis le 18 janvier 2002 par Nicolas Balaresque ( Mis en ligne le 25/01/2005 ) Imprimer
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