L'actualité du livre Jeudi 28 mars 2024
  
 
     
Le Livre
Histoire & Sciences sociales  ->  
Biographie
Science Politique
Sociologie / Economie
Historiographie
Témoignages et Sources Historiques
Géopolitique
Antiquité & préhistoire
Moyen-Age
Période Moderne
Période Contemporaine
Temps Présent
Histoire Générale
Poches
Dossiers thématiques
Entretiens
Portraits

Notre équipe
Littérature
Essais & documents
Philosophie
Beaux arts / Beaux livres
Bande dessinée
Jeunesse
Art de vivre
Poches
Sciences, écologie & Médecine
Rayon gay & lesbien
Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un auteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Histoire & Sciences sociales  ->  Portraits  
 

Madeleine et Jaurès
Hommage à Madeleine Rebérioux - Par Gilles Candar

Imprimer

Madeleine Rebérioux aimait Jean Jaurès. Elle l’aimait d’un amour exigeant et passionné, lucide et enthousiaste. Cet amour a duré jusqu’à sa mort, presque cinquante ans. Elle se plaisait parfois à raconter, non sans humour, que ses recherches et sa vraie découverte de Jaurès étaient bien la seule chose qu’elle devait – involontairement – à Guy Mollet. Auparavant, elle s’était d’abord intéressée à Proudhon, puis, beaucoup, à Karl Marx. Après 1956, militante anticolonialiste, luttant contre la guerre d’Algérie, elle s’était demandé comment le gouvernement de Guy Mollet avait pu tomber si bas et elle avait voulu remonter aux sources. Mais elle ajoutait aussitôt que c’était bien en historienne qu’elle s’était confrontée à Jean Jaurès. Comprendre, savoir, interroger, chercher... elle tissait les approches.

Cinq décennies de lectures, de recherches et de débats. Madeleine aimait à dire que nos vies sont collectives. En tout cas, sa quête de Jaurès s’est épanouie en s’appuyant sur la Société d’études jaurésiennes, “collectif de recherche et équipe d’amitié ” comme elle disait, qu’elle a animée, d’abord sous l’égide de son maître Ernest Labrousse, puis sous sa présidence propre, avec ses collègues et amis, Rolande Trempé, Maurice Agulhon, Léo Hamon, Jean-Jacques Becker, Jean Bruhat, Michel Launay, Jean-Pierre Rioux et bien d’autres, avec ses étudiants qu’elle savait gourmander et encourager, aussi nombreux que divers, avec aussi ses contradicteurs attitrés, Georges Lefranc ou Jean Rabaut par exemple, car Madeleine n’aimait pas seulement le débat, mais aussi à l’occasion de saines et franches polémiques.

On n’enseigne pas ce que l’on sait, on enseigne ce que l’on est, citation bien connue de Jaurès qui s’appliquait fort bien, me semble-t-il, à Madeleine Rebérioux. Elle n’aimait pas tout indistinctement chez Jaurès. Elle avait ses préférences, pour les périodes comme pour les thèmes, nous aurons en d’autres circonstances l’occasion d’y revenir. Elle n’aimait pas trop en tout cas le Jaurès commode de citations – je viens d’y sacrifier moi-même ! –, le Jaurès qui n’en finit pas de prendre la flamme en abandonnant les cendres du foyer ou d’aller vers l’idéal en comprenant le réel, quand ce n’est pas l’inverse ou tout un peu à la fois.
Le Jaurès que Madeleine aimait particulièrement, c’était le Jaurès combatif, le grand intellectuel qui savait écouter, lire, réfléchir, parler, écrire, être de plain-pied avec ses collègues normaliens comme avec les mineurs de Carmaux ou les paysans du Lauraguais. Un homme qui aimait la vie, la bonne chère et le vin de la démocratie, mais qui avait du courage. Courage physique, Madeleine y tenait. Courage de la pensée qui faisait aller Jaurès de l’avant et transgresser les frontières de son milieu et de son époque. Courage qui permettait de comprendre que le capitaine Dreyfus au bagne n’était plus un officier, ni un bourgeois, mais “un exemplaire de l’humaine souffrance”, qui permettait aussi de saisir la grandeur des civilisations arabes ou chinoises, ce que Madeleine appelait le “pluralisme culturel”, qui donnait à Jaurès ce sens aigu de la liberté humaine, l’amenant ainsi, à l’encontre de ses penchants fonciers, à défendre la liberté de l’art quand étaient attaqués à la Chambre les expositions cubistes ou que la pornographie servait de prétexte à une tentative de contrôle de la production artistique. C’est ce Jaurès qu’elle avait présenté notamment dans ce petit volume de la collection Découvertes/Gallimard qui lui était particulièrement cher.

Ce que Madeleine voulait avant tout, c’était remettre en mouvement Jaurès, le rendre à la vie et au débat, en faire, selon l’expression de Christophe Prochasson dans son article de L’Humanité, “notre contemporain”. Elle ne voulait pas faire le tour du sujet comme on fait le tour du propriétaire, mais discuter, débattre, confronter, “mettre en lumière ce qu’une grande pensée historiquement située peut apporter aux hommes d’aujourd’hui et de demain”, disait-elle dans sa préface à l’édition des Œuvres de Jean Jaurès.

Et ce furent, ce sont, pour aujourd’hui et pour demain, des colloques, grands et petits, internationaux et locaux, des articles, de journaux, de magazines ou de revues, des rééditions de textes, des introductions, préfaces et postfaces, des contributions et des notices, de petits volumes, livres ou plaquettes, de gros ensembles universitaires, et aussi d’innombrables rencontres et réunions, dans les collèges, les lycées, les villes, les universités de France et de tous les continents. C’est ce qu’elle aimait le plus d’ailleurs, c’était la vie pour elle. La dernière fois que je l’ai vue, elle m’a dit lorsque je pris congé : “je me fiche de mourir, ce qui m’embête, c’est de ne plus pouvoir aller parler”. Aller parler et débattre, qu’il s’agisse d’Armentières ou de Castres, de Cuba et de la Chine, ou de l’Italie et du Mexique. Les derniers messages de condoléances que nous avons reçus à la Société d’études jaurésiennes viennent ainsi de ses anciens étudiants chinois et coréens, qu’elle sollicitait, enseignait et encourageait inlassablement. La première anthologie jaurésienne en langue coréenne devrait bientôt en témoigner.

Elle a réussi. Jaurès, en parole, en écrit ou en acte, n’est plus, ou du moins n’est plus seulement une référence respectueuse. Il est partie prenante des débats sur la justice et la république, la paix et la guerre, la nation et le vaste monde, la laïcité et les religions, les classes sociales et l’avenir de l’humanité, et sur bien d’autres sujets encore. Les jaurésiens, qu’ils aient été ses étudiants ou non, avec leurs différences, désaccords et contradictions, vont poursuivre, à leur manière, son entreprise, à la Société d’études jaurésiennes et ailleurs, achever l’édition des Œuvres de Jean Jaurès en dix-huit volumes chez Fayard et entreprendre de nouveaux projets. Madeleine et Jaurès sont désormais inséparables. Ils continuent à faire partie de nos vies.


Gilles Candar (Société d'Etudes jaurésiennes) Musée d’Orsay, le 15 février 2005
( Mis en ligne le 21/02/2005 )
Imprimer

A lire également sur parutions.com:
  • Hommage à Madeleine Rebérioux
  • Avenirs et avant-gardes en France XIXe-XXe siècles
       de Vincent Duclert , Rémi Fabre , Patrick Fridenson
  •  
    SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

     
      Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
    Site réalisé en 2001 par Afiny
     
    livre dvd