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Mythologie de l'identité juive et israélienne | | | Shlomo Sand Comment le peuple juif fut inventé - De la Bible au sionisme Flammarion - Champs 2010 / 12 € - 78.6 ffr. / 606 pages ISBN : 978-2-08-122882-5 FORMAT : 11cm x 18cm
Première publication française en septembre 2008 (Fayard)
Traduction de Sivan Cohen-Wiesenfeld et Levana Frenk Imprimer
Né en 1946, Shlomo Sand a fait ses études dhistoire à luniversité de Tel-Aviv et à lEcole des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris. Depuis 1985, il enseigne lhistoire contemporaine à luniversité de la capitale israélienne. Il a publié sur Georges Sorel et sur le débat intellectuel en Israël (Les Mots et la terre, 2006). Comment fut inventé le peuple juif a paru au printemps 2008 en Israël où il est devenu un best-seller et provoque la controverse. Il a été aussitôt traduit de lhébreu et édité en septembre 2008 par Fayard (aujourd'hui en poche chez Champs Flammarion).
Le livre sinscrit dans une bibliographie abondante détudes depuis les années quarante sur la construction idéologique des identités nationales modernes. Les 90 premières pages du livre de Sand reviennent sur lhistoriographie de ce domaine dhistoire comparée où sopposent dialectiquement constructivistes (les nations modernes sont récentes et se sont inventé rétrospectivement des histoires millénaires fictives destinées à cimenter le groupe) et défenseurs dune continuité objective. Lidée de créations de communautés imaginées est la tendance dominante et croissante, mais, comme lexplique Sand, la dialectique est en partie un faux problème : la genèse des nations modernes se produit, personne ne le nie, sur la base de réalités économiques, sociales et politiques, et intègre à titre déléments des populations, des éléments culturels anciens ; ce qui compte en dernière instance est que ces éléments sont eux-mêmes historiques et en perpétuelle évolution et que les communautés médiévales ne sont pas les mêmes au Ve et au XVe siècles, bien que les mots aient un temps de retard sur les réalités ; si donc il y a continuité, cest dévolution et lidentité est une certaine histoire héritée, dont la complexité a été souvent réduite artificiellement pour éviter les contradictions entre théorie et faits des sources.
Sur ce plan, lhistoire rencontre les problèmes de la métaphysique à propos de lêtre et de lessence et la révision contemporaine, post-moderne, des histoires identitaires sinscrit dans le processus critique général de la connaissance depuis le XVIIIe siècle. Si aucune nation nest essentiellement partout et toujours ce quelle a été aux origines, il y a une création continue, une fabrique historique des nations, dont lhistoire nationaliste est un élément essentiel car le processus idéologique décriture du passé est contemporain à la genèse des États-nations.
Le discours de lhistoire sert à justifier les ambitions et limage de soi du présent : la saisie des réalités spatiales passe par le contrôle mental sur la réalité passée. Autour de la langue et de la culture dune élite prétendant dominer un groupe ou un territoire, on construit une identité stable, qui sera attribuée à des facteurs essentiels de définition de soi variables mais considérés comme premiers et déterminants (la langue, lâme collective, le sang ou la race). Le nationalisme romantique dEurope centrale a été naturellement le plus étudié du fait de ses conséquences ou de ses manifestations politiques tragiques (nombre dhistoriens du nationalisme ont été des Juifs émigrés des années trente et quarante), mais du fait du statut de victime du monde juif, on na pas assez vu que ce dernier était justiciable des mêmes analyses critiques. Co-inventeur dans la Bible du genre de lhistoire nationale ethnocentrique (le peuple élu) sur un fond cosmologique universel, il a participé de façon éminente par linvention de lui-même à linvention des catégories et du dispositif narratif téléologique qui est en cause.
Aborder le sujet de façon iconoclaste était un peu embarrassant depuis 1945, car cela aurait mis en question le sionisme, jeune mouvement nationaliste desprit völkisch (national-populaire, au sens allemand, où la nation est définie comme ethnie immémoriale avec son esprit collectif typique et «naturel»). La prétention du sionisme à incarner lavenir et à être en rupture avec un vieux judaïsme religieux et mythique rendait peut-être la tâche plus délicate, dautant que lOccident était culpabilisé par la Solution finale et nosait pas sopposer aux justifications sionistes de la fondation dIsraël. Ce nest sans doute pas un hasard si ce sont souvent des Juifs qui osent aujourdhui briser ce tabou, et de nouveau dans un contexte de crise politique, éthique et identitaire (la question palestinienne servant de révélateur dialectique des points aveugles du sionisme). En préface, Sand indique comment son parcours a motivé son intérêt pour une histoire honnête et critique de linvention du peuple juif, dans le contexte du XXe siècle.
Louvrage est divisé en 5 chapitres qui traitent de façon diachronique des étapes du discours de lidentité juive. Dans «Fabriquer des nations. Souveraineté et égalité», il revient sur le terrain miné des notions de «peuple», «race», «ethnie» et sur le rôle fondateur de lintellectuel dans la définition de lidentité. Le chapitre 2, «Mytho-histoire : Au commencement Dieu créa le peuple», explore le paradoxe de la Bible, livre qui sert dhistoire laïque nationaliste au sionisme athée alors quil a fondé un droit à la terre promise sur la base de lobéissance à des commandements divins ; le sionisme subvertit lidentité religieuse ancienne mais crée comme une religion nationale de substitution (la nouvelle foi sempare de lancien temple pour y rendre son culte). Cela pose différentes questions :
a) La Bible peut-elle être lue comme une histoire réelle des Juifs ?
b) Si oui, cette histoire a-t-elle un sens pour une communauté religieuse ?
c) La religion justifie-t-elle alors la création de lEtat sioniste ?
d) Sinon quelle est la vraie légitimation dIsraël à part le sionisme comme nationalisme mythologique? La culture juive ? (Mais quest-ce ? Et derechef, est-elle nationaliste ?) Ou lethnie juive ?... Un autre mot pour «la race» ?
Le chapitre 3, «Linvention de lExil. Prosélytisme et conversion», met en question la réalité historique de lExil comme expulsion des Juifs par les Romains après la prise de Jérusalem et la chute du Second Temple : lauteur revient aux sources et juge quelles sont très fragiles et que la migration de masse pose de graves problèmes de crédibilité dans le contexte ; il pense que la diaspora européenne est née du prosélytisme et que donc
les descendants «ethniques» des premiers Juifs sont
les Palestiniens actuels ! Ceux-ci se seraient convertis à lIslam comme nombre de chrétiens après le VIIe siècle. «Lieux de silence : à la recherche du temps (juif) perdu», le 4ème chapitre, porte sur les Juifs oubliés car difficiles à intégrer dans lhistoire officielle : Arabes, Berbères, Khazars convertis pendant lère chrétienne. Le chapitre 5, «La distinction. Politique identitaire en Israël», montre quIsraël est en réalité et en discours un État ethnique depuis sa fondation au point que des programmes de génétique ont été menés pour identifier un ADN juif permettant de trier entre les habitants du pays et de sélectionner les candidats à la citoyenneté, recherches inquiétantes qui dailleurs ont réservé quelques surprises aux commanditaires.
Solidement documenté et argumenté, le livre de Sand est fort intéressant et troublant par les renversements de perspective quil implique. Cela ferait dailleurs une excellente histoire juive pleine de sagesse
Lauteur, quant à lui, espère la liquidation de lidéologie ethnique dIsraël et la transformation de son pays en démocratie authentique (autant dire en État de droit laïque de patriotisme constitutionnel, de culture proche-orientale et méditerranéenne ouverte, intégrant lapport du judaïsme européen), où le mythe du sang juif naurait aucune valeur légale pour la naturalisation ou le droit de vote et ne justifierait plus la protection juridique descrocs en fuite (au nom de leur judéité forcément persécutée). Un républicain ne peut que souscrire à ce projet qui valide la force de la conception française de la nation.
Max Lehugueur ( Mis en ligne le 12/01/2010 ) Imprimer
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