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Histoire & Sciences sociales -> Poches |
| Jean Ziegler La Haine de l'Occident Le Livre de Poche 2010 / 6.95 € - 45.52 ffr. / 641 pages ISBN : 978-2-253-12989-9 FORMAT : 11cm x 18cm
Première publication en octobre 2008 (Albin Michel)
L'auteur du compte rendu : Juriste, essayiste, docteur en sociologie, Frédéric Delorca a dirigé, aux Éditions Le Temps des Cerises, Atlas alternatif : le monde à l'heure de la globalisation impériale (2006). Imprimer
Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations-Unies pour le droit à lalimentation de 2001 à 2008, utilise depuis plusieurs années ses fonctions à lONU pour se faire le porte-parole des déshérités dans le monde. Son nouveau livre, La Haine de lOccident, publié fin 2008 (aujourd'hui en format poche), se présente comme un appel à lopinion des pays riches pour quelles prennent conscience des ravages que les politiques de leurs gouvernants provoquent et du ressentiment quelles suscitent à travers le monde.
Cest un livre bien écrit, sans langue de bois diplomatique, qui sessaie même dune manière inattendue à lart du portrait des grands dirigeants que lauteur rencontre. Sa plume vive et inspirée visite les crimes du colonialisme et de ses avatars actuels, ainsi que les grands combats mémoriels des peuples du Sud pour la reconnaissance de ces traumatismes. Il dénonce à juste titre lempressement des politiques occidentaux et notamment français à noyer dans loubli les dures vérités qui viennent à peine dêtre soustraites au silence dogmatique de lhistoire officielle. Ainsi, Ziegler excelle autant à décrire la politique génocidaire de lAngleterre en Tasmanie au XIXe siècle que les négociations asymétriques des accords entre lUnion européenne et les soixante-seize pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) dans les années 2000.
Au fil de son récit, le rapporteur spécial de lONU fait prendre conscience de la destruction quotidienne des sociétés du Sud et de leur dignité par un système mondial inique dominé par les élites du Nord. On recommandera particulièrement au lecteur le dossier très complet (sur plusieurs chapitres) consacré au Nigeria, première puissance pétrolière de lAfrique et cependant un des pays les plus pauvres du monde. Remontant aux guerres du Biafra pour arriver jusquaux conflits actuels sanglants et pourtant peu connus du delta du Niger, Ziegler décrit sans concessions le système dictatorial implacable (même sous couvert dun pluralisme de façade) entretenu dans ce pays par les multinationales pétrolières et les gouvernements dEurope et dAmérique du Nord. À cette triste réalité, Ziegler oppose la difficile mais admirable reconquête de lindépendance économique et politique queffectuent depuis vingt ans les amérindiens de Bolivie, source despoir pour tous les opprimés.
Louvrage de Ziegler peut susciter quelques réserves. On relèvera ici ou là des erreurs factuelles, sur la Bolivie notamment : le second mandat du président bolivien Gonzalo Sánchez de Lozada na pas débuté en 2000 comme lécrit lauteur mais le 6 août 2002 (en 2000 cest Hugo Banzer Suárez qui dirigeait la Bolivie). Et sa démission eut lieu non en octobre 2004 comme il est indiqué mais un an plus tôt ce genre dapproximation aurait pu être évitée à peu de frais. Aux maladresses factuelles sajoutent des formulations un peu rapides comme celle qui voit dans laction des salafistes armés «lexact contraire de ce quenseigne le Coran» bien malin en effet qui peut trancher les débats théologiques sur ce quenseignent ou nenseignent pas des textes aussi foisonnants et souvent contradictoires que la Bible ou le Coran. Certaines présentations pèchent par omission. Ziegler peut-il présenter léchec de la conférence de Durban en 2001, à laquelle il consacre un chapitre entier, sans évoquer la question du sionisme qui fut pourtant une pierre dachoppement importante au cours de cette rencontre ? De même si, à juste titre, lauteur impute à lOccident lémergence en Inde et en Chine dune classe bourgeoise qui surexploite la paysannerie et les ouvriers, en soulignant le caractère partiellement européen de cette nouvelle élite (encore que le constat soit plus vrai pour lInde que pour la Chine), on trouve dans le livre de Ziegler une sorte de point aveugle autour de lEurope de lEst ou de la Russie dont il ne parle à aucun moment. Les manuvres occidentales contre ce dernier pays ou contre la Serbie ne semblent pas relever à ses yeux de la même logique impériale quà légard du Tiers-Monde (alors quelle est pourtant perçue comme telle par une large part de lopinion publique de ces pays et y suscite la même «haine de lOccident»). Est-ce parce que ce haut fonctionnaire de lONU considère implicitement les peuples de cette zone comme «occidentaux» (thèse que certains défendent mais quil eût fallu, pour le moins, expliciter, notamment à lheure où beaucoup de pays du Sud, comme le Venezuela, la Syrie ou lIran comptent sur la Russie pour asseoir leur indépendance économique et militaire) ? La question renverrait alors à la nécessité de mieux définir, dès le départ, ce quon entend par «Occident».
Par-delà ces réserves, le livre de Ziegler a le mérite dêtre à la fois didactique, clair et sans concession à légard dun certain air du temps médiatique enclin à racheter à bas prix une bonne conscience aux oppresseurs. A ce titre, il mérite davoir une place centrale dans le débat sur les grands choix politiques nationaux et internationaux.
Frédéric Delorca ( Mis en ligne le 16/03/2010 ) Imprimer | | |
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