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Histoire & Sciences sociales -> Poches |
| Benoît Lemay Erwin Rommel Perrin - Tempus 2011 / 12 € - 78.6 ffr. / 651 pages ISBN : 978-2-262-03505-1 FORMAT : 11cmx18cm
Première publication en Janvier 2009 (Perrin) Imprimer
Erwin Rommel a tôt fait son entrée dans la galerie des grands chefs de guerre. Ce Souabe impulsif, éduqué dans une vision militaire qui navait pas grand-chose à voir avec celle de la noblesse prussienne, avait compris que les conflits modernes passaient par la mobilisation totale des citoyens de tous rangs. Des prémices de linvasion de la Pologne au Débarquement de Normandie, il joua un rôle considérable dans les batailles du IIIe Reich, et lhistoire aurait sans doute pris un tout autre cours si Hitler lavait désigné comme commandant en chef de lopération Barbarossa, en 1941
Benoît Lemay a retracé par le menu le cursus honorum de Rommel, dont la Croix de guerre «Pour le mérite» sétoffa, au fur et à mesure de ses victoires, de feuilles de chêne, de glaives et autres brillants, jusquà ce quil devienne le plus jeune feld-maréchal de la Wehrmacht. Mais cette biographie dépasse de très loin le récit prosaïque de la geste rommellienne. Elle tente de démonter les rouages de la prodigieuse propagande dont cet «ambitieux pathologique» fut, parfois malgré lui, le protagoniste central ; elle montre surtout en quoi le «Renard du Désert» fut lobjet, pendant des décennies, de malentendus de la part des historiens, quelle que soit leur école.
Rommel ne fut ni un génie ni un grand stratège. Par contre, son affaire, cétait la tactique, le champ de bataille et laction. Là, personne pour le surclasser en audace. Quelques principes fondamentaux sous-tendaient ses manuvres, notamment celui de la conduite depuis lavant, qui consistait à senfoncer le plus loin possible dans les lignes de ladversaire afin de créer un véritable traumatisme et de bouleverser ses défenses. Appliquant cette technique pour laquelle on inventa le néologisme Rommeln , il nétait dailleurs pas rare que Rommel se retrouve éloigné de plusieurs kilomètres de ses troupes, qui tentaient péniblement de le rejoindre alors quil sétait complètement isolé en territoire ennemi !
La vitesse était selon Rommel un point crucial de lefficacité de lintervention. Désireux de «mener les panzers comme les chevaux», il étoffa le mode dassaut par des techniques telles que la «canonnade en roulant» : hors de question dimmobiliser les chars pour viser, autant tirer en avançant
Il révolutionna aussi la conception de la guerre en y introduisant une dimension psychologique ; ainsi comptait-il sur lutilisation de faux blindés en carton ou sur linstallation de ventilateurs déplaçant dimpressionnants nuages de sables pour faire croire quil disposait deffectifs innombrables.
La postérité a retenu limage du soldat exemplaire, du glorieux fondateur de lAfrikakorps, du chef spartiate proche de ses hommes, répugnant aux effusions de sang inutiles et aux représailles contre les innocents, et dont cétait presque un honneur dêtre le prisonnier. Lemay décrypte finement ce cliché, qui sera dailleurs par la suite nourri par les alliés eux-mêmes, Montgomery et Churchill en tête. «Lascension fulgurante de Rommel, explique-t-il, vers les sommets de la gloire avait pour toile de fond son ambition démesurée dune part et les objectifs de la propagande nazie de lautre. Rommel était un général qui se distinguait par son style hétérodoxe [
], il représentait à merveille le nouveau type de commandement militaire que les autorités du IIIe Reich voulaient promouvoir. Celles-ci le présentaient comme un homme qui avait de la volonté et de la détermination, des qualités qui lui permettaient de triompher dun ennemi supérieur en effectif et en matériel de guerre. Elles voulaient aussi montrer aux Allemands que le facteur décisif sur le champ de bataille était la confiance absolue en la victoire. De même, elles décrivaient le général des panzers comme le représentant typique de la Blitzkrieg ou de la guerre de mouvement opérationnelle moderne, et utilisaient de ce fait son image comme une arme psychologique contre lennemi».
Afin que soit préservée intacte cette statue érigée de son vivant, Rommel bénéficia de la part des médias dune discrétion extrêmement prudente à propos de ses revers et de ses échecs. Il ne sagissait pas de décevoir le peuple allemand qui, dans son entier, sétait persuadé que «Tant que Rommel reste en Afrique, rien ne peut nous arriver». À la suite du retrait de ses troupes dAfrique du Nord, Rommel se vit affecté très peu de temps à la campagne dItalie puis fut désigné en novembre 1943 au renforcement du Mur de lAtlantique. Commence alors au château de La Roche-Guyon lultime chapitre de son existence, dont la postérité allait offrir une version assez floue, sinon passablement biaisée.
Il sest en effet bâti une véritable légende à propos du Rommel devenu lopposant farouche dHitler, recevant en son quartier général même les conjurés du complot Staufenberg et commanditant lattentat qui devait débarrasser lAllemagne de son tyran. Lemay rétablit quelques vérités à ce propos, et montre notamment à quel point limplication de Rommel fut exagérée et instrumentalisée par des conspirateurs tels que Hofacker ou Speidel. Lintention de Rommel était bel et bien, au moment du Débarquement, de traiter en secret une paix séparée avec les Britanniques. Mais ce projet, si insensé apparaît-il aujourdhui, ne remettait nullement en question son affirmation de fidélité au Führer. Apprenant la nouvelle de lexplosion dans le bunker alors quil était hospitalisé, Rommel montra à quel point il désapprouvait cet acte quil jugeait sans honneur, réaffirma son allégeance à Hitler et comprit alors seulement lintrigue dans laquelle il avait été pris au piège. Devant la cour dhonneur qui tentait de débrouiller laffaire, Speidel mouilla définitivement Rommel en déclarant que ce dernier était au courant de la date de lattentat et ne lavait pourtant pas transmise au commandement suprême. Une irréfutable preuve à charge.
Le 14 octobre 1944, les généraux Burgdorf et Maisel se présentent à la villa de Rommel, avec ordre dagir «courtoisement et correctement». Ils linforment de la promesse de Hitler : sil se suicide, le peuple allemand ne saura rien de sa trahison, il aura droit à des funérailles nationales et à un monument commémoratif. Au même instant, à la gare toute proche du chemin de fer dUlm, sa couronne funéraire est livrée par wagon spécial. Ironie du sort : cet homme qui aurait pu mourir mille fois sur la tourelle dun tank en pleine ruée est contraint de sempoisonner sur la banquette arrière de la voiture, à larrêt, des émissaires du Reich. Il meurt revêtu de sa tunique de lAfrikakorps
La quatrième de couverture du livre navait pas menti : cest bien le récit paradoxal «dun soldat dexception au service dun régime criminel» quon vient de lire. Lemay résume en ces termes la faute dont sest rendu coupable Rommel : «Il partageait la tragédie allemande non seulement parce quil était resté loyal à Hitler, mais aussi, parce que, convaincu quil faisait son devoir militaire, il avait ignoré les conséquences non militaires de ses actes. [
] Cest dans cet aveuglement que se trouve plus précisément la tragédie de Rommel. Selon lui, il servait sa patrie. Selon le jugement de lHistoire, il servait un despote. [
] Comme bien dautres Allemands, Rommel sétait laissé tromper par la propagande nazie qui présentait les buts de Hitler comme étant identiques aux intérêts du Reich».
Louvrage de Lemay ne redore aucun blason. Il explique, sans lexcuser, la destinée dun homme enivré par les idéaux guerriers de son temps. Il dévoile le revers obscur de médailles dont lavers nest que sable et folie humaine.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 22/02/2011 ) Imprimer
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