Philippe Le Guillou Stèles à De Gaulle - Suivi de Je regarde passer les chimères Gallimard - Folio 2010 / 5,60 € - 36.68 ffr. / 279 pages ISBN : 978-2-07-043748-1 FORMAT : 11cmx18cm
Première publication en avril 2000 (Gallimard) Imprimer
On ne trouvera pas dans ce livre une analyse rationnelle de laction du général De Gaulle, encore moins une critique historique de la France des années gaulliennes : ces pages ne renferment que de lémotion. Le Breton Philippe Le Guillou, auteur de romans et dessais, livre en effet ici une vision très intime du gaullisme et des thèmes qui lui sont associés. Et cette production contraste avec tous les ouvrages qui fleurissaient sur De Gaulle à lheure de son entrée dans la bibliothèque de la Pléïade (2000, année de la première publication du présent essai, aujourd'hui en ''poche'' chez Folio).
Car cest justement cet événement qui donna à Philippe Le Guillou le prétexte de ce livre : à travers ces cinquante-huit lettres, cest bien un écrivain qui sadresse à un autre écrivain, et leur langage commun est alors forcément celui de lémotion. Pour Le Guillou, la figure gaullienne de lécrivain "transcende le prophète davant-guerre, lhomme du non, le politique au désert, le fondateur de la République parce que ces divers avatars neurent jamais quune même arme, le verbe".
Dans la lettre ouverte quil adresse directement au Général en préambule à son ouvrage, Philippe Le Guillou se remémore son enfance et le rôle quy joua la figure de De Gaulle. Les interventions télévisées, lannonce du départ, lIrlande et lélection de Pompidou, la mort de lhomme du 18 juin, plus tard la panthéonisation de son plus fidèle lieutenant, André Malraux, en 1996 : autant dévénements qui marquèrent lenfant puis lhomme du Finistère et qui, dans ce livre, sont aussi le départ de différents "morceaux de prose".
Et en les parcourant, le lecteur navigue entre Lille et lElysée, Péguy et Pétain, Malraux et Debré, Anne et Colombey, la Russie et lAlgérie, la Monarchie et la République, le Petit-Clamart et Baden-Baden : il entre dans un univers unique, celui de la convergence imaginaire entre deux personnes qui ne se rencontrèrent jamais. Ces cinquante-huit essais très personnels composent le champ commun à Philippe Le Guillou et Charles De Gaulle : le premier puise dans lexistence du second les thèmes qui parlent à sa sensibilité, et cest pourquoi on nest pas étonné de retrouver autant De Gaulle que Le Guillou dans ces fragments. Parlant notamment de la mystique, de la religion, de la Bretagne, de lIrlande et de lunivers celtique, Philippe Le Guillou parle de lui autant que de son destinataire.
Quand il évoque la fugace possibilité queut la Résistance de sinstaller à la pointe de la Bretagne, les phrases ont laccent de lunivers de son Livre des Guerriers dor : "des vagues, des rochers, Brocéliande et la presquîle de Crozon offriraient les caches et les sites attendus pour lédification du bastion breton. [Mais] il faudrait partir, survoler Brocéliande obscurcie par les nuages de fumée des dépôts de munitions qui y brûlaient, Brocéliande à la lisière de laquelle était en train de mourir la mère du général, oublier ce rêve dune résistance glorieuse dans les enclaves granitiques".
Les Douze années dans lenfance du monde, récit sacré sur les premières années du Christ imaginées par Philippe Le Guillou, trouvent aussi un certain écho dans la croyance en une transcendance, exprimée par un vocabulaire religieux omniprésent dans ces fragments. Cest par un "novembre de foudre et de révélation" que Le Guillou parle de la mort du Général. A Colombey, "le haut magistrat se fait prêtre, récitant dune geste accomplie, cest loffice du soir, dans le cabinet suspendu, le service du Dépossédé". Senfonçant dans la mer à bord du sous-marin lEurydice, il "sembarque pour une méditation des abysses et une messe des naufragés dont il sera lunique officiant". Et les conférences de presse chères au Général deviennent de véritables "liturgies".
Il y a certainement entre les deux hommes des sensibilités communes, et notamment le sentiment dune mystique qui les dépasse tous deux : cet irrationnel, quon peut appeler religion, création artistique ou grandeur de la France, reste présent chez les deux êtres, sous la forme dune force métaphysique qui va au-delà deux, vole comme un Guide impérieux, exigeant, au-dessus deux.
Exercice difficile que ces fragments personnels, un peu inégal aussi : Philippe Le Guillou est en position dadmirateur, de soupirant, et presque de flatteur. De Gaulle est haut, très haut dans son estime : le Général est comme une Muse que lartiste ne discute pas, et qui impose sa propre vision des choses. La Muse ne parle pas à lécrivain : elle lui ordonne. De Gaulle atteint ici une dimension quasi-divine qui nous fait comprendre le mécanisme de ces Stèles : un exercice de style, qui fait puiser linspiration créatrice dans un personnage historique, et fait passer lHistoire au second plan, loin derrière lArt. Tout se passe comme si De Gaulle finalement nétait quun médium, au service de la création.
Gageons que le Général, amateur éclairé des Lettres et écrivain lui-même, aurait été flatté de cette nouvelle corde quon ajoute à larc de ses vocations : il aurait certainement apprécié cet hommage original et sincère, une véritable déclaration damour.
Thomas Bronnec ( Mis en ligne le 27/04/2010 ) Imprimer |