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En rire… ou en rougir ?
Patrick Roegiers   La Spectaculaire histoire des rois des Belges
Perrin - Tempus 2009 /  10.50 € - 68.78 ffr. / 460 pages
ISBN : 978-2-262-02980-7
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
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D’après ce que clame la quatrième de couverture, sa première édition a tenu «trente-cinq semaines d’affilée» au hit-parade des ventes. Tout porte à croire que la version de poche de La Spectaculaire histoire des rois des Belges va rempiler dans ce palmarès, et pour cause. L’ouvrage possède en effet l’atout indispensable à un best-seller historique : le simplisme. Doublé d’une absence revendiquée de tout esprit de sérieux, il est voué à devenir une référence en la matière.

Apparemment, ce livre s’est arraché autant pour ses qualités d’écriture que pour son allure feuilletonesque, censée redynamiser et dépoussiérer l’évocation d’une nation de bric et de broc, déjà démembrée et morte aux yeux du plus grand nombre. Eh bien, sans doute faut-il s’être contenté de le «bouquiner» (soit d’en absorber une page sur dix, ou quelques chapitres au hasard) pour juger ce travail intéressant et recommandable. Qui s’y attellera d’un bout à l’autre comprendra que ce qu’on lui sert sous couleur de «flamboyante épopée» peine à se détacher du niveau ras de terre où se plaît à le maintenir son auteur.

Certes, la Belgique est un pays étriqué, dont les minuscules habitants aux microscopiques esprits ne pouvaient se doter que de médiocres monarques. Roegiers transmet à merveille, sur le mode «dérisionnel» dont est désormais labellisé son objet, ce sentiment de petitesse, ainsi que l’aberration identitaire qui en est le corollaire. «Comment peut-on être belge ?», s’interroge-t-il, en Montesquieu pointure fillette, à la fin de son enquête. Question oratoire, puisqu’il semble avoir, lui, trouvé la solution. Être belge en 2009, c’est pouvoir narrer les destinées de ce bidule si incongru en soi, la dynastie, en prenant garde d’en ricaner comme un écorché à chaque paragraphe. C’est faire du journalisme à rebours en tartinant ce que la Belgique n’a jamais pu devenir, n’a jamais été, aurait pu être si, dès 1831, blablabla... C’est faire dans le «spectaculaire» (terme au demeurant le plus pertinent du titre) en pondant un «Point de vue et images du monde» de 430 pages, une synthèse de la débilité couronnée, un panorama des atavismes, perversions, déglinguages et bévues délayés au sang noir-jaune-rouge.

L’œuvre du compilateur est à saluer, elle est courageuse et a dû nécessiter à Roegiers de minutieuses recherches. Le monument qu’il en érige n’a qu’une faiblesse, mais de taille : il repose sur des pilotis tout d’anecdotes et de vétilles. La manie la plus agaçante, omniprésente sous la plume de notre Saint-Simon lyophilisé, consiste à établir pour les personnages de sa saga la liste des surnoms dont ils se voyaient affublés – mais affublés par qui au juste ? L’entourage ? Les médias ? Le peuple ? Au vu de ces tombereaux de sobriquets surgis de nulle part et pas toujours éclairants sur celui qui le porte (tel Léopold était appelé, on vous le donne en mille… «Léo» !), on en vient à se demander si Roegiers n’en a pas forgé quelques-uns de son cru, rien que pour ajouter une dimension histrionique à ses compétences de chroniqueur.

Plus fort. Un souverain, logique, succède à un autre, même s’il s’est parfois agi de régence, de vacance du trône, etc. Mais une malsaine inspiration prend le pas sur la curiosité du lecteur lambda : savoir comment le nouveau roi va claquer. On s’empresse d’arriver à la rubrique nécrologique de chaque volet, car, accordons-lui cela, Roegiers déploie une énergie qui confine au talent quand il décrit les agonies ou les accidents fatals. La dégringolade d’Albert Ier à Marche-les-Dames a tout d’une chute depuis le sommet de l’Everest ; les cervicales d’Astrid craquent macabrement au moment de l’embardée ; on en passe et de plus beaux catafalques. Roegiers réserve ses meilleurs effets à ceux qui sont morts au lit. À l’approche de l’ultime soupir, il examine sécrétions et humeurs, pousse l’érudition jusqu’à les nommer, recueille scrupuleusement les gestes et les paroles avant le passage outre-tombe, et là où les Frères Goncourt devaient s’y mettre à deux, lui seul se hisse au sommet d’un sublime pathos, en semant son funèbre cortège d’éléments futiles.

Et pour le style de cet «amoureux de la langue» ? Cela se lit, oui, agréablement, mais c’est bien la moindre des choses. Il faudra attendre la troisième édition, revue, actualisée et corrigée, pour que le «emprunte» de la page 234 redevienne «empreinte». Puis, si les redondances et les clichés ne font guère votre miel, vous qui entrez ici, laissez toute espérance. Le paroxysme de cette grandiloquence qui tourne à vide est atteint dans le finale de l’antépénultième chapitre: «Passez muscade ! Tout est bien qui finit bien. Tout cela n’était donc qu’un mauvais rêve. La montagne a accouché d’une souris. Serait-ce grijze muis ? Méfiance ! La nuit tous les chats sont gris. C’est là que gît le lièvre. Ouvrons l’œil. Il n’y a pire eau que l’eau qui dort». Sic ! L’extrait concerne-t-il bien Albert II ou, galipette métatextuelle, la fresque dans son entier ? Nous sommes en tout cas au bout de l’énumération. Et dire que cela aurait pu continuer longtemps si Roegiers s’était malencontreusement aventuré dans la section rose du Larousse…

Bien sûr, ne pas apprécier ce livre, a fortiori quand on est compatriote de l’auteur, c’est automatiquement se ranger du côté des grincheux et des pisse-froid à qui la permanente faillite intellectuelle et politique de leur pays ne décroche même plus un rictus de compassion. Eh bien, assumons. Cet essai aurait pu, raboté d’un bon tiers, constituer une excellente suite de portraits-charges ; ainsi gonflé à la taille d’une énorme private joke, il plaira au lectorat français, qui fera mine d’en ressortir plus informé au sujet du voisin qu’il persistera pourtant à méconnaître, jusqu’au moment de devoir l’annexer partiellement.

Mais tout cela est-il si grave ? Le public aura eu ce qu’il voulait : apprendre sans prise de tête un tas de trucs faciles à oublier, et pouvoir ajouter «lol» ou «mdr» après le mot «fin». Comme s’il avait vu Coluche en représentation à Laeken.


Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 24/03/2009 )
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