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Histoire & Sciences sociales -> Poches |
| Annette Becker Oubliés de la Grande Guerre - Humanitaire et culture de guerre Hachette - Pluriel 2003 / 9.20 € - 60.26 ffr. / 396 pages ISBN : 2-01-279167-0 FORMAT : 11x18 cm
Ouvrage paru une première fois en 1998 (Agnès Viénot).
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris.
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Jusque dans les années soixante dix, la seule visibilité de la Première Guerre mondiale fut souvent la cérémonie du 11 novembre et la flamme du soldat inconnu, pâle commémoration, comparée à lécrasante représentation de la Seconde Guerre mondiale. En outre, son influence, son poids dans lhistoire récente, fut minoré par rapport au conflit suivant, conçu comme le seul véritable cataclysme du fait de sa dimension idéologique (et non plus seulement nationaliste), et auquel est réservée, faussement, lappellation de guerre «totale». Mais depuis une trentaine dannées, on a pu assister à une véritable redécouverte dun conflit désigné désormais comme la Grande Guerre (cette unicité témoigne de la reconnaissance dune singularité), en tant quévénement matriciel dun siècle qui naît en 1914. Cette réévaluation a permis aussi de déplacer langle dapproche des historiens, depuis une histoire nationale et essentiellement politique, vers une histoire sociale, voire anthropologique, qui couvre non seulement les fronts (le soldat, le prisonnier
) mais aussi larrière (les civils, les victimes
véritables «oubliés de la grande guerre»).
Les travaux récents dune équipe regroupée autour de lHistorial de Péronne (dont la réalisation même relève dun besoin de faire remonter un enjeu de mémoire) sinscrivent dans cette logique scientifique et mémorielle. A cet égard, louvrage dAnnette Becker, professeur à luniversité Paris X Nanterre, participe à la redécouverte de certaines tragédies oubliées, au cur dune occupation que lon a tendance à reléguer aux profits et pertes, en face de lOccupation, celle de la France de 1940 à 1944. Ces oubliés de la Grande Guerre repêchés par A. Becker, ce sont les civils des régions occupées, les prisonniers de guerre et les déportés civils
Ce sont aussi les neutres qui se sont dévoués aux victimes dun conflit qui leur était étranger. Ces trois types de destin trouvent leur cohérence dans un plan qui, après avoir distingué les situations particulières, les replace dans un projet humanitaire collectif.
Dans un premier temps, A. Becker se penche sur les civils victimes de loccupation allemande en France, avec lidée que leurs souffrances nont pas encore été complètement évaluées. A travers divers aspects de cette occupation, cest au processus de totalisation du conflit, qui englobe les populations civiles dans une violence subie et refusée, que louvrage se consacre. De fait, les souffrances sont de divers ordres : depuis le choc psychologique de loccupation et ses conséquences sur le moral et la vie de tous les jours, jusquà la déportation en Allemagne, avec son lot de travail forcé et dhumiliations (à cet égard, lodyssée des «brassards rouges» est particulièrement significative). Comme le souligne un général allemand, «Quand la guerre nationale a éclaté, le terrorisme devient un principe militaire nécessaire». Et de fait, les territoires occupés sinsèrent bien malgré eux (et malgré les règles de la guerre) dans la stratégie allemande.
Il en va de même pour les prisonniers : dotés depuis le début du siècle dun statut légal qui les «neutralise», doublement exilés (du front et de la patrie), ils sont pourtant aux premières loges (parfois physiquement) de la guerre. A. Becker montre bien la mise en place relativement lente des camps ainsi que leur organisation, dans une Allemagne qui nattendait pas tant de prisonniers (inconvénient dun front double), et qui ne parvient guère à les «entretenir» du fait du blocus allié. Les diverses souffrances des prisonniers, qui varient aussi selon les nationalités, marquent bien lempreinte généralisée de la guerre, à laquelle nul ne paraît pouvoir échapper
si ce nest dune manière définitive !
Dans ce paysage où le ciel semble bien loin, ou trop près, lhorizon est figuré par laction des organisations humanitaires : le Comité International de la Croix Rouge et le Saint-Siège. Ces groupes illustrent un paradoxe, celui de lexistence au sein du conflit dorganisations voulant maintenir un idéal «humanitaire», faire respecter une «humanité» qui reste alors à définir. A. Becker sattache à distinguer les objectifs et leurs limites : si incontestablement, la «diplomatie de lhumanitaire» a eu des résultats (comme cette convention de 1918 concernant les prisonniers de guerre), elle a également dû reconnaître ses limites, du fait darmes nouvelles (à lexemple des gaz), darguties juridiques (la dialectique des violations et des représailles «légitimes») voire des critiques des pacifistes
Au final, A. Becker remarque que la mémoire de ces situations «marginales» est longtemps demeurée elle-même «en souffrance» : «la gloire» qui résulte du sacrifice assumé et accepté ne reconnut que tardivement certaines souffrances, quant à la justice, déjà bien violentée lors des procès de Leipzig (1921), elle demeure, dans ce cas, fidèle à sa représentation, cest à dire aveugle.
Louvrage est la réédition dun livre publié en 1998 par les éditions Noêsis, réédition rendue désirable par des exigences universitaires ayant trait à la préparation de concours. A cet égard, cet excellent travail na plus le goût quil avait lors de sa première publication de la nouveauté, tant les écrits sur la situation des populations civiles durant la Grande Guerre se sont multipliés (et en partie du fait dA. Becker, qui a par là ouvert un sillon). Toutefois, il demeure une lecture nécessaire pour quiconque sintéresse à cette période et conçoit que la guerre ne sarrêtait plus au champ de bataille. Le processus de totalisation, démontré ici dans toute sa cruauté, impose un regard autre sur une société traumatisée bien au delà de ses combattants.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 05/12/2003 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Les fusillés de la Grande Guerre de Nicolas Offenstadt Les Juifs de France et la Grande Guerre. de Philippe-E. Landau Hommes et femmes dans la France en guerre de Luc Capdevila , François Rouquet , Fabrice Virgili , Danièle Voldman | | |
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