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Entre colonisation européenne et impérialisme nord-américain : une brève Histoire de l’Amérique latine | | | Pierre Chaunu Histoire de l'Amérique Latine PUF - "Que sais-je ?" 2003 / 7.50 € - 49.13 ffr. / 127 pages ISBN : 2-13-053637-9 FORMAT : 11x18 cm
15ème édition.
L'auteur du compte rendu : actuellement en DEA à Paris-I, Bastien Lestang est historien américaniste. Imprimer
Pour les connaisseurs de Pierre Chaunu, il ne semble pas utile de présenter cette 15ème édition dun ouvrage paru en 1949 ! Cependant, pour les lecteurs plus jeunes ou curieux de découvrir lAmérique latine, il est hautement recommandable.
Publié dans la collection «Que sais-je ?» aux Presses Universitaires de France, louvrage rassure par sa volonté de synthèse, exercice toujours difficile lorsquil sagit de traiter de lhistoire dun continent, qui couvre pas moins de quatre siècles.
Il est divisé en trois parties : la période coloniale, le bouillonnement des indépendances et enfin la période (post)coloniale avec la problématique de lexpansionnisme nord-américain.
A la lecture de ce manuel, on mesure à quel point les entreprises coloniales ibériques ont été réalisées avec des moyens humains et matériels pour le moins limités. La conquête fut, aux dires de lauteur, une «lutte de poignées dhommes affamés et brisés de fatigue, contre des multitudes, conquête totale suivie partout dun effondrement total des cultures indigènes et de leurs organisations politiques» (p.18). Cette conquête répondait essentiellement à un trop-plein démographique auquel les ressources propres de la péninsule ibérique ne pouvaient plus suffire. Lauteur ne nous décrit pas par le menu les facteurs et la mise en uvre du processus colonial mais nous révèle avec une précision chirurgicale le sens profond de cette entreprise humaine qui diffère de lexpansion anglo-saxonne : «La conquête ibérique est une affaire dhommes, lunion avec lIndienne est une nécessité physiologique : une Amérique métisse soppose à une Amérique blanche, deux rythmes de vie, deux rythmes de production» (p.20). Cette problématique sera récurrente surtout si lon parle du fossé économique qui va séparer de plus en plus lAmérique des Treize Colonies de lAmérique latine.
Cette Amérique découverte par Christophe Colomb va être immédiatement considérée comme propriété personnelle du roi dautant plus que ce titre de propriété, si lon peut sexprimer ainsi, a été accordé par une bulle du pape Alexandre VI. Ce qui est frappant, cest que toutes les institutions créées y sont un décalque de formes politiques existant dans la péninsule ibérique. Cependant, de ces nouvelles structures naît une forte autonomie des adelantados (gouverneurs des provinces frontières) et des villes. Ce paradoxe est résolu par le pouvoir royal : «une nouvelle administration se substituant à lancienne fut construite peu à peu au XVIe siècle, au gré des nécessités complexes, savant équilibre de pouvoirs sespionnant et se limitant adroitement, calculé pour laisser au roi lointain sa liberté de décision (
)» : il est fait référence à la création de vice-royautés ainsi que des assemblées censées contrôler les velléités dautonomie politique des vice-rois. Malgré les oppositions intérieures et extérieures, Madrid et Lisbonne ont su maintenir trois siècles durant lunité et lintégrité de lAmérique ibérique.
Pierre Chaunu consacre également un chapitre complet à la société ibéro-américaine qui tend au métissage, et à la disparition des ¾ de la population indienne suite aux travaux forcés (théoriquement supprimés au XVIIIe siècle) imposés par le colonisateur. Par ailleurs, comme on peut limaginer, la société coloniale est très stratifiée : Espagnols, puis criollos (descendants dEspagnols nés en Amérique latine), métis (dEuropéens et dIndiens), mulatos (dEuropéens et desclaves Africains), zambos (Afro-indiens).
Léconomie des terres conquises apparaît clairement comme celle de laristocratie castillane, cest-à-dire une économie de type féodal et destructif. Alors que la culture de la canne à sucre épuise les terres, celle du café se développe. Détail piquant et révélateur : au Brésil, le fazendeiro, sorte de seigneur colonial, «menait au milieu de son troupeau desclaves noirs une vie patriarcale et dissolue». Le choix des mots a été mûrement pesé : lesclave africain ne bénéficie que dune valeur marchande en fonction de la quantité de travail quil peut fournir.
Léconomie latino-américaine, cest aussi lexploitation intense des mines dont on va découvrir lexistence par étapes. Si lon parle de commerce extérieur, les Empires ibériques détiennent le monopole des échanges. Toutes les marchandises doivent provenir ou aboutir aux puissances colonisatrices. Ce système permet évidemment de drainer vers Madrid des galions remplis dargent, notamment par le truchement du quinto royal (cest-à-dire limpôt sur les marchandises, une sorte de taxe douanière interne). On apprend, par la même occasion que «la Couronne espagnole organisa elle-même la contrebande» dans ses échanges avec lExtrême Orient alors que la contrebande avec le reste du monde est dune certaine façon protégée par la péninsule ! Les chiffres sont très impressionnants car la contrebande représente plus de la moitié du commerce extérieur de lAmérique latine au XVIIIe siècle.
La deuxième partie du livre est consacrée à lhistoire des indépendances. Lauteur avance deux types de causes : externes et internes. Au plan interne on peut mentionner cette difficulté de maîtriser lespace géographique cest-à-dire lunité politique des Indes de Castille. Le temps des indépendances est aussi celui du morcellement et de limpuissance. Les révolutions du XIXe siècle sont le fait des élites créoles issues des colons espagnols. Ce sont eux qui détiennent le pouvoir économique sans pour autant avoir accès aux hautes fonctions de ladministration coloniale où de lEglise. De là naquit une véritable frustration qui fut bien sûr encouragée par les idées des Lumières, dautant plus quà la même époque les universités latino-américaines sont en plein essor, sans parler de la presse écrite.
Au plan externe, la révolte des treize colonies anglaises sert dexemple aux élites créoles. Pierre Chaunu parle de «justification par lexpérience». Néanmoins la Révolution française suscita les arguments idéologiques et géopolitiques nécessaires à lexplosion indépendantiste. En rompant le Pacte colonial, lEspagne na plus été en mesure dassurer ravitaillement et protection à ses colonies. Seul le Brésil se sépara sans remous de sa métropole.
Après linvasion de lEspagne, Napoléon sefforça en vain de mettre dans son camp lAmérique espagnole. Le loyalisme à lEspagne se transforma rapidement en séparatisme. Les premières insurrections furent réprimées car les juntes insurrectionnelles navaient pas de liens entre elles, donc une faible capacité de résistance. Mais le retour à la Couronne espagnole saccompagna de violences inacceptables aux yeux des élites créoles. Aidées de lappui logistique et financier britannique qui avait tout intérêt à voir souvrir limmense marché latino-américain, conduites par les libertadores Bolivar et San Martin, les armées insurgées aboutissent partout à lIndépendance au plus tard en 1823. Lindépendance aboutit dans le même temps à un morcellement des Indes de Castille.
«Luttes intérieures et guerres interaméricaines caractérisent les années qui suivent lIndépendance». Sur le plan politique, les innombrables Constitutions copiées sur les modèles jeffersonien ou français nassurent une garantie de séparation des pouvoirs et de libertés que sur le papier : en réalité la société latino-américaine issue de lindépendance sefforcera pendant de longues années encore de perpétuer une organisation sociale paternaliste, hiérarchique et profondément inégalitaire, cest-à-dire une proie tentante pour lAmérique anglo-saxonne à léconomie toujours plus expansionniste.
Bastien Lestang ( Mis en ligne le 09/02/2004 ) Imprimer
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