| Andreï Makine Cette France qu’on oublie d’aimer Seuil - Points 2010 / 5 € - 32.75 ffr. / 92 pages ISBN : 2-08-068986-X FORMAT : 11cm x 18cm
Première publication en avril 2006 (Flammarion) Imprimer
Cest le genre de livre quil faut commencer par la fin, pour ne pas regretter davoir aimé le début. Car ce petit essai passéiste, qui se présente comme une vibrante célébration du «mystère français» approché par un Russe, telle que certains hédonistes anglais savent aussi en tourner, nen vient aux reproches amers quaprès vous avoir amoureusement ligotés. Et lon regrette davoir dabord succombé à son charme.
Makine a pour la France lamour aveugle du zouave, le zèle ardent du converti. «Fort éloigné des milieux politiques», il semble en revanche assez proche de certains slogans. «La France, tu laimes ou tu la quittes», convenons-en, est assez grossier. Le sien est plus élégant : «Si vous nêtes pas français, soyez dignes de lêtre.», Normal, cest une décalcomanie de Corneille, pas le chanteur franco-rwandais, lautre. Car Makine a de saines et vieilles lectures, Pouchkine, Voltaire, Tolstoï, Bernanos, mais aussi Fabre-Luce, La Rocque et René Benjamin du bout des doigts, certes, «et pourtant
»
Pour sinformer sur le monde, il préfère toutefois la télé. La mise en scène des jacqueries urbaines doctobre 2005 la drôlement impressionné. «La France est haïe», et son cur saigne. Dire quil sest trouvé un rappeur («vomissures du rap» !) pour appeler à «baiser la France. Makine la lu dans LExpress. Mais ce refrain, depuis, a été repris par Villepin. Comment, la France si bonne, si laïque, si généreuse, ses cités «arrosées de milliards deuros» (sic)
Se pourrait-il quelle ait été trop charitable ? Ici, ne pas prononcer le mot «colonisation» : «la décolonisation fut désastreuse pour les décolonisés», balaie Makine. De deux bienfaits, sans doute fallait-il choisir le moindre.
Dailleurs, lauteur sait de quoi il parle. Nest-il pas lui-même «un métèque à qui il est inutile de raconter des salades sur leffroyable racisme des Français» ? Sans doute, mais un grand métèque aux yeux bleus, qui pleurniche au souvenir des «plus beaux soldats de la vieille France». Un métèque goncourisé, non sans mal, mais qui na pas subi les vexations immondes dun René Maran, prix Goncourt 1921 pour son «roman nègre» Batouala. Voilà ce quil en coûte davoir été biberonné à la «France éternelle», comme il la raconté dans Le Testament français. Il ne faudrait pas mettre de cocaïne dans le lait des enfants.
Certes, Makine ne prononce pas le mot «dénaturalisation», mais on sent quil lui brûle les lèvres à lévocation d«une part de la population dite française», entendez par-là ces drôles de «petits Beurs et gentils Blacks» qui ne respectent pas le couvre-feu social et mordent la main qui les nourrit. Il redoute la «police de la pensée et de larrière-pensée quexercent les antiracistes professionnels» (il y a donc de sots métiers), dénonce «limposture idéologique du multiculturalisme» (ce mensonge qui nous a fait tant de mal ?) et la «machine destructrice » quest devenue «la saine alternance démocratique», paroles stupéfiantes sous la plume dun ex-citoyen soviétique. Et lidéalisme, alors ? Au rebut, avec le défunt siècle des idéologies. Regrettable confusion, mais reconnaissez que les deux mots se ressemblent.
Andreï Makine, comme Mme Carrère dEncausse, estime quil y a en France des sujets quil est interdit daborder. Ceux quil indique, pêle-mêle, prouvent le contraire : «la menace de lislamisme», «limmigration déferlante», «lactivisme excessif de toute sorte de minorités, homosexuelle entre autres» et, soyons justes, «lantisémitisme des Français». Mais aussi, cerise sur le gâteau, «le sauvetage physique de la France» par Philippe Pétain, qui valait bien une «défaite morale». Au détour de ce touchant hommage aux résistants, un fameux scoop : les «vrais responsables» de la défaite de 1940 nétaient pas les boucs émissaires embastillés par Vichy, ni même le rouleau compresseur nazi, cétait, abracadabra, «les Français eux-mêmes» ! Ce «tour de force de lucidité», Makine ne la pas réussi tout seul : il la recopié dans Le Printemps tragique de René Benjamin. Aucun risque que vous trouviez cet opuscule à la Fnac : le barde maréchaliste, antisémite distingué, ny est plus référencé depuis 1944.
On laura compris, ce Makine est un petit ouvrage très jeune desprit, bien dans lair du temps. La France quil nous enjoint daimer est une vieille institutrice, une baronne de Staff, une soldate inconnue, une Marianne fantomale, une Jeanne dArc en armure, une «cavalière dairain» qui fait plus peur quenvie. Mais lamour ne se commande pas. À qui sadresse-t-il en exhortant la «capacité des Français de dire assez» ? Personne naime voir cracher sur la France. Mais ce nest pas nettoyer un crachat que de létaler. À quoi bon nous peindre une France aux outrages, si cest pour laccabler ? Pourquoi lui faire payer tout ce chagrin ? Aussi nattendez pas que Makine soulage la France sur son chemin de croix. Après tout, elle la bien cherché. Pourtant, un roman lui aurait fait plaisir.
Nous noublierons pas daimer la France, cest promis. Mais quAndreï Makine ne nous en veuille pas, cette fois, doublier son livre, quelque stimulant soit-il.
Olivier Philipponnat ( Mis en ligne le 16/03/2010 ) Imprimer
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