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Histoire & Sciences sociales -> Poches |
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En finir avec les invasions barbares | | | Alessandro Barbero Le Jour des barbares - Andrinople, 9 août 378 Flammarion - Champs 2010 / 8 € - 52.4 ffr. / 291 pages ISBN : 978-2-08-122055-3 FORMAT : 11cm x 18cm
Première publication française en août 2006 (Flammarion)
Traduction de Jean-Marc Mandosio.
L'auteur du compte rendu : Antoine Picardat est agrégé dhistoire et diplômé en études stratégiques. Il a enseigné en lycée, en université, aux IEP de Paris et de Lille, et été analyste de politique internationale au ministère de la défense. Il est actuellement élève-administrateur territorial à lInstitut national des Études territoriales à Strasbourg. Imprimer
Alessandro Barbero est décidément un bien curieux médiéviste. Il a publié chez Flammarion un Waterloo, qui, pour être très bon, nen traite pas moins dun sujet assez éloigné de sa période de spécialité. Il recommence avec Le Jour des barbares. Andrinople 9 août 378, qui nous emmène dans lAntiquité tardive. En plus de cela, Alessandro Barbero est lauteur de deux romans. Bref, ça sent le touche-à-tout-sauf-à-sa-période. Enfin, touche-à-tout mais surtout à la guerre. Parce que Waterloo et Andrinople ont en commun dêtre des batailles. Même des batailles importantes, qui ont largement décidé du destin de leurs époques respectives.
Waterloo, tout le monde connaît. Mais Andrinople ? Ce jour-là, larmée romaine dOrient fut anéantie par les Goths. Lempereur Valens mourut dans le désastre. Pour bien des auteurs, Andrinople marque le début de la fin de lempire romain. Le début des invasions barbares qui devaient emporter cet empire, au moins sa moitié occidentale, près dun siècle plus tard.
Les lecteurs de Waterloo seront déçus sils attendent un récit du même type, croisant les témoignages et les analyses, fourmillant de précisions techniques, multipliant les changements déchelle, du simple troufion version Fabrice del Dongo, au général ou à lEmpereur. Rien de tout cela dans Le Jour des barbares. Tout simplement parce que lon ne sait pratiquement rien de cette bataille ! On connaît mal les forces en présence, même si lorganisation générale de larmée du Bas-Empire est assez bien connue, lemplacement du champ de bataille fait débat et l'on ignore à peu près tout de son déroulement. Et comme nous navons aucun témoignage, pas même de malheureuses trouvailles archéologiques (on ne sait pas où chercher) : voilà une étude mal embarquée. Nous navons en fait que deux récits de contemporains, Ammien Marcellin et Eunape de Sardes. Ils ne furent pas des témoins de la campagne ou de la bataille, mais au moins eurent-ils sans doute accès à dassez bonnes sources. Comme en plus Ammien Marcellin était un ancien militaire et que son récit est complet, à la différence de celui dEunape, on fera avec !
Alessandro Barbero commence par dresser un tableau de lempire romain dans la deuxième moitié du IVe siècle. Un empire qui se christianise, qui sorientalise et qui se barbarise. La christianisation officielle a été marquée par lédit de Milan en 313 puis la conversion de Constantin. Sil reste de nombreux païens, et que les croyances traditionnelles demeurent très fortes, le problème principal est celui de larianisme, décrété hérésie à la suite du concile de Nicée en 325, mais qui demeure extrêmement dynamique. Lorientalisation est symbolisée par le transfert de la capitale dans la ville nouvelle de Constantinople. LOrient est plus riche, culturellement plus florissant et il abrite les principaux patriarcats chrétiens. La division entre Orient et Occident est déjà en route. Depuis près dun siècle dailleurs, le pouvoir est exercé par deux empereurs (sans compter les usurpateurs plus ou moins heureux), les augustes, qui règnent sur les deux parties de lempire, assistés de deux césars.
Reste la barbarisation. Le terme nest pas très académique, mais il désigne la pénétration croissante des barbares dans lempire romain. Ici encore, il faut se situer dans la durée. Cette pénétration, au rythme très irrégulier, remonte au moins au milieu du IIIe siècle. Depuis cette époque, des peuples entrent dans lEmpire, parfois de force, souvent pacifiquement. Ils sinstallent et sintègrent au monde romain, fournissant des artisans, des agriculteurs, des soldats, mais aussi des fonctionnaires ou des généraux. Loin de constituer un ensemble homogène et figé, lempire romain connaît donc de lentes mais perpétuelles transformations humaines. Vient ensuite le récit de la campagne de Thrace, qui débuta en 376 lorsque des Goths, poussés par la misère et les Huns, franchirent le limes danubien. Cette irruption dans une riche province dOrient déclencha une crise qui dégénéra vite en guerre. Elle se conclut par lécrasante victoire des Goths emmenés par Fritigern.
Il apparaît vite que le but dAlessandro Barbaro nest pas uniquement de donner un récit militaire. Il veut corriger lidée reçue «dinvasions barbares», éclairer notre présent à laide de ce passé. Depuis Edward Gibbon qui publia en 1776 LHistoire du déclin et de la chute de lEmpire romain jusquà des films comme La Chute de lEmpire romain (1964) ou Gladiator (2000), limage dune fin cataclysmique de Rome sest imposée. Pour reprendre les termes dAndré Piganiol «la civilisation romaine nest pas morte de sa belle mort. Elle a été assassinée» (LEmpire chrétien, 1947). Et le coupable est connu : les barbares. Nous sommes de retour à Andrinople.
Les catastrophes fascinent et celle-ci plus que dautres : une civilisation décadente vautrée dans le luxe et les orgies, des barbares sauvages, assoiffés de pillage et de sang, des foules hurlantes. La connaissance historique peine à corriger toutes ces idées reçues. La persistance même de lexpression «les invasions barbares», ou au mieux les «grandes invasions», témoigne de leur vivacité. Les notions de migrations, pas toujours pacifiques cest indéniable, de préférence aux invasions, de mélange de civilisation et dintégration des barbares, dans un monde romain qui nétait plus celui de César et dAuguste, plutôt que de choc, ont été depuis longtemps défendues par les historiens, qui ont également montré que lEmpire romain du IIIe s. était tout sauf en déclin. À son tour, Alessandro Barbero apporte sa contribution à ce véritable chantier historiographique.
Son deuxième projet est moins convaincant. Il est évident dès les premières pages que l'auteur veut établir un parallèle entre lAntiquité tardive et lépoque actuelle. Il emploi pour cela des expressions comme «puissance mondiale», «urgence humanitaire», «réfugiés» ou «choc des civilisations». Il veut montrer quaujourdhui comme hier, le repli sur soi, la construction de limes et autres murs de séparation, la peur et lignorance de lautre ne sauraient être des réponses valables aux écarts de prospérité et aux différences de culture. Il a sans doute raison, mais le mélange des genres, où lhistoire sert de prétexte pour glisser un message qui relève de lessai, nest pas ce quil a fait de mieux.
Antoine Picardat ( Mis en ligne le 07/09/2010 ) Imprimer
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