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Histoire & Sciences sociales  ->  Antiquité & préhistoire  
 

Barbares et métèques
Marie-Françoise Baslez   L'Etranger dans la Grèce antique
Les Belles Lettres - Realia 2008 /  25 € - 163.75 ffr. / 412 pages
ISBN : 978-2-251-33827-9
FORMAT : 14cm x 22cm

L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de l’I.E.P. de Toulouse, est titulaire d’une maîtrise en histoire ancienne et d’un DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de l’Institut Régional d’Administration de Bastia et ancien professeur d’histoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne.
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Marie-Françoise Baslez, professeur d’histoire grecque à l’Université de Paris Est, réédite son ouvrage de 1984 consacré à l’étranger dans la Grèce antique. Dans l’avant-propos, elle prend soin de souligner que cette question s’est renouvelée ces vingt dernières années, ce qui justifie l’actualisation du livre. Née dès le XIXe siècle, privilégiant l’approche juridique et institutionnelle (en termes de statuts notamment), l’étude des étrangers en Grèce ancienne s’est ensuite élargie et diversifiée avec le développement de l’histoire anthropologique (avec la question identitaire) et de la sociologie, ainsi que l’introduction de nouvelles problématiques liées aux sciences humaines, y compris à travers un intérêt croissant pour l’économie grecque, qui s’intéresse notamment aux flux migratoires et à la position des travailleurs ou des investisseurs étrangers dans les activités de production et d’échange. Faire l’histoire des étrangers dans l’Antiquité grecque n’est pas sans risque : il s’agit notamment d’éviter tout anachronisme.

Du point de vue de la Cité, la situation ne semble guère avoir évolué depuis la période archaïque, tant la discrimination entre citoyens et non-citoyens est demeurée déterminante, y compris aux périodes hellénistique et impériale. Le concept de «cosmopolite» est diffusé à partir du IIIe siècle av. J.-C. par le stoïcisme, mais il n’a pas alors le sens de «citoyen du monde» ; c’est juste que, pour les Grecs, l’homme reste un animal politique, qui continue de véhiculer le modèle de la cité, mais à une échelle plus large.

Mais pour apprécier la place de l’étranger dans la cité grecque, le statut juridique (citoyen, métèque…) n’est pas le seul critère. Il faut faire leur place également aux rapports que la cité entretient avec lui, directement ou par l’intermédiaire des associations (cultuelle, professionnelle, ou regroupant des personnes de même origine géographique). En fait, plus encore que la différence entre «l’étranger politique», le non-citoyen, et «l’étranger culturel», le Barbare, c’est la distance entre «l’étranger résidant» et «l’étranger de passage» qui apparaît la plus importante, ce dernier étant longtemps jugé incapable d’intégration.

La première partie de l’ouvrage traite des traditions d’hospitalité dans la cité archaïque, qui manifestent une certaine ouverture à l’étranger, bien que les voyages soient restés essentiellement des aventures individuelles. Il faut nuancer l’idée avancée par certains historiens, suivant laquelle la cité archaïque aurait constitué une cellule politique, religieuse et sociale très fermée, exclusive à l’égard de l’étranger. Certes, une certaine méfiance subsiste : l’étranger demeure l’inconnu, en cette époque aux voyages difficiles et hasardeux. Mais au niveau des grandes familles aristocratiques et des gouvernants, les contacts avec l’étranger sont une nécessité. Moins généralisée, l’incorporation de l’étranger dans le cadre de la cité semble être surtout caractéristique de certains gouvernements, tyranniques ou démocratiques, désireux d’affaiblir les structures gentilices. Les étrangers ne constituent alors ni une catégorie juridique, ni une catégorie politique. L’intérêt de la cité se fixe plutôt sur l’étranger déraciné, celui dont l’établissement a de plus fortes chances d’être durable, et que la communauté peut espérer s’approprier.

La seconde partie s’intéresse aux rapports entre le citoyen et l’étranger dans la cité classique. Les guerres médiques (490-478) marquent en effet une rupture essentielle. Le monde est bipolarisé : d’un côté l’empire perse menaçant puis vaincu, soumis à un pouvoir despotique ; de l’autre les Grecs victorieux parce que libres, solidaires et raisonnables. Ces implications politiques et morales figent et radicalisent le concept de Barbare, figure de l’altérité. La cité classique n’agit pas comme une structure d’intégration ; elle est au contraire une communauté de naissance, une communauté d’origine, où seul le citoyen participe à la gestion des affaires publiques. L’étranger a cependant une utilité dans ce dispositif. Le corps civique exerce la souveraineté sans partage, mais il peut déléguer certaines fonctions militaires (aux mercenaires), diplomatiques (aux proxènes), économiques (artisans…) ou fiscales (les riches métèques). Les étrangers qui remplissent ainsi un «service public» sont admis parmi les justiciables, les contribuables ou les bienfaiteurs. Ainsi, le citoyen s’est peut-être fait contre l’étranger, mais la cité ne se construit pas sans lui. De plus, malgré certains préjugés contre les Barbares, leur situation dans la cité n’est guère différente de celle réservée à l’étranger grec. C’est que la définition fonctionnelle de l’étranger l’emporte sur toute discrimination ethnique ou même culturelle. Ainsi, malgré son malthusianisme (bien peu d’étrangers sont intégrés comme citoyens), la cité classique ne connaît pas le problème de l’immigration tel qu’il se pose de nos jours, car elle n’appréhende pas la présence étrangère comme un tout uniforme. Elle envisage au contraire une pluralité de distinctions qualitatives ou fonctionnelles.

Le cosmopolitisme de la cité hellénistique fait l’objet de la troisième et dernière partie du livre. Avec les conquêtes d’Alexandre, le monde grec connaît une extension sans précédent, et la perception du monde et des autres peuples se renouvelle, bien que le point de vue demeure toujours hellénocentriste. La vision bipolaire est abandonnée, car la menace barbare disparaît quasiment, une fois chassées ou casées les dernières vagues gauloises. L’étranger ne paraît plus si étrange, et de toute façon la différence attire. Les échanges, notamment commerciaux, s’intensifient, les transports de troupes et les cargos de fort tonnage apparaissent. C’est aussi l’époque des villes énormes et cosmopolites, comme Alexandrie ou Antioche, tandis que certains ports anciens connaissent un nouveau développement (le Pirée, Corinthe, Rhodes, Délos…). Mais il n’y eut pas de fusion réelle et complète des populations et des modes de vie, malgré le rêve impossible de quelques philosophes. Le cadre de la cité-État ne disparaît pas ; au contraire, il devient un modèle politique et social destiné à se généraliser. Cela reste donc le cadre dans lequel doit s’intégrer l’étranger, et la discrimination entre citoyen et non-citoyen demeure fondamentale. L’organisation des royautés hellénistiques voit cependant l’émergence d’une classe politique internationale, une noblesse de cour qui se définit plus par sa proximité avec le monarque que par son appartenance à une cité.

Marie-Françoise Baslez montre bien dans cet ouvrage les relations de réciprocité engagées par les Grecs et les autres peuples, et la variété des situations des étrangers, même si certaines constantes demeurent (le faible nombre de naturalisations à toutes époques, par exemple, qui n’autorise pourtant pas la xénophobie). On trouve à la fin du livre une chronologie, trois lexiques – des termes techniques (signalés par un astérisque dans le corps du texte) ; des auteurs anciens ; et des personnages historiques et mythologiques cités – ainsi qu’une bibliographie actualisée, commentée et classée thématiquement (en fonction du plan du livre). On ne peut donc que saluer la réédition de cet ouvrage, qui, s’il traite d’histoire ancienne, n’en fait pas moins écho à des problématiques contemporaines, tout en montrant la différence des conceptions entre les anciens Grecs et nous.


Sébastien Dalmon
( Mis en ligne le 12/05/2009 )
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