| Platon Le Banquet - Edition bilingue français-grec Les Belles Lettres - Classiques en poche 2010 / 9 € - 58.95 ffr. / 174 pages ISBN : 978-2-251-80012-7 FORMAT : 10,7cm x 17,8cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Après Alcibiade, Critias, Protagoras, Gorgias, Phèdre, Lysis, Hippias mineur, Ménexène ou lApologie de Socrate, la collection «Classiques en poche» des éditions des Belles Lettres publie enfin lun des plus célèbres dialogues de Platon, Le Banquet. Cette édition reprend le texte et la traduction de Paul Vicaire, comme dans la Collection des Universités de France, mais avec une préface sous forme dentretien de George Steiner avec François LYvonnet, qui signe également les notes. Elle constitue un complément utile aux traductions par Philippe Jaccottet (Le Livre de Poche, 1991) ou Luc Brisson (Garnier Flammarion, 1998).
Le jeune dramaturge Agathon a remporté le prix de tragédie aux Grandes Dionysies dAthènes. Il organise un banquet chez lui. Socrate est linvité dhonneur de la soirée, où les convives décident de discourir sur lamour, ou plutôt léros, voire Eros car cest avant tout un dieu qui possède ses autels et ses sanctuaires. Chacun parle à son tour. Le premier discours, celui de Phèdre, un vieil ami de Socrate, est très conventionnel, faisant montre dune grande culture. Il disserte notamment sur la distinction entre lamour terrestre et lamour divin, tout en ouvrant son propos sur les relations homoérotiques, que nombre déditions du XIXe siècle essayaient de passer sous silence. Puis cest au tour de Pausanias, amant déclaré dAgathon, de prendre la parole. Il développe une sorte de sociologie de lamour, qui le conduit à différencier lamour sensuel terrestre (patronné par Aphrodite Pandémos) de lamour spirituel divin (domaine dAphrodite Ourania). Il sintéresse aux rapports entre les sexes et les âges, tentant de réconcilier lintensité légitime des sentiments érotiques avec la question de lordre dans la cité. Aristophane, lauteur de comédies, est pris dun hoquet intempestif qui loblige à passer son tour au profit dEryximaque, fils de médecin et médecin lui-même. Ce dernier développe une véritable physiologie de lamour, mettant laccent sur la nécessaire harmonie entre le corps et lâme. Cette harmonie dune belle âme dans un beau corps avait déjà été formulée par Pythagore. Mais cette idée devient problématique dans la suite du dialogue, à cause de Socrate qui était laid. Eryximaque développe aussi lidée que lharmonie entre lamour et la pensée est comme lharmonie musicale. Il sagit aussi dêtre tempéré en amour, et de se méfier de la passion. Car Eros peut égarer, rendre malade, voire criminel. Aristophane, qui sest entre temps remis de son hoquet, prend la parole. Il conte ce que lon a improprement appelé «le mythe de landrogyne», mais qui est plutôt un mythe étiologique de lamour, évoquant une humanité primitive constituée dêtres sphériques masculins, féminins ou hermaphrodites, que Zeus coupe en deux pour les affaiblir, car ils menacent le pouvoir des dieux. Dès lors, chaque moitié recherche frénétiquement son autre moitié pour se réunifier.
A ce moment-là, le banquet a changé dambiance et datmosphère : le vin est lourd, et livresse commence à gagner les convives. Cest ensuite au tour du bel Agathon de prendre la parole. Il fait léloge dEros, le plus jeune et le plus beau des dieux. Selon lui, lAmour est la source des vertus et des joies humaines. Devant son éloquence, Socrate fait montre dironie. Il affirme quil est incapable de rivaliser avec tant de talent, que son seul art est de poser des questions, dinterroger. Il rapporte le discours que lui a tenu Diotime, prêtresse de Mantinée en Arcadie, alors quil était lui-même un jeune homme comme Agathon. Cest la seule fois chez Platon quune voix de femme domine, même si elle nest pas physiquement présente. Elle utilise le discours allégorique pour faire comprendre à linterlocuteur que le véritable Eros, lEros authentique, démon intermédiaire entre les dieux et les hommes plutôt que véritable divinité, fils de Pénia (Indigence) et de Poros (Abondance), représente en fait une quête de limmortalité, qui se confond avec une poursuite du bien moral. Notre vie nest valable que si elle aspire à la vision de la beauté absolue, qui est aussi vérité. Lamour véritable est aspiration à cette beauté immortelle, mais on natteindra jamais cet absolu.
Arrive alors Alcibiade, ivre, qui fait une entrée bruyante, vulgaire et criarde, accompagné de noceurs. Il prononce un éloge passionné de Socrate, louant son intelligence, son héroïsme militaire lors de la bataille de Potidée, son endurance, et même sa laideur quil compare à celle dun silène ou du satyre Marsyas. On a affaire à une narration à la fois grivoise et pathétique du désir sexuel dAlcibiade pour Socrate. Mais le jeune homme, dont la beauté est légendaire, échoue lamentablement dans ses tentatives de séduction. Des fêtards débauchés font alors une entrée tumultueuse, et le banquet tourne à lorgie. Certains des invités sesquivent discrètement. A lapproche de laube, il ne reste plus quAristophane, Agathon et Socrate. Ce dernier oblige les deux autres à reconnaître quil appartient au même homme de savoir composer comédie et tragédie. Ses amis endormis, Socrate se lève, va aux bains, comme à son habitude, et rentre le soir dans sa maison.
Composé par Platon vers 380 av. J.-C., ce dialogue a eu beaucoup dinfluence sur la pensée occidentale. Luvre fut dabord à lorigine dun genre littéraire, illustré par Xénophon (Le Banquet), Plutarque (Erotikos, Le Banquet des sept sages, Propos de table, Sumposiaka), Athénée (Deipnosophistes) ou Macrobe (Saturnales). Plotin en donna une interprétation allégorique dans deux de ses Ennéades (I, 6 ; III, 5), et son retentissement fut considérable à la Renaissance, notamment dans lentourage néoplatonicien de Laurent de Médicis, qui fit représenter le dialogue en confiant à chacun de ses hôtes le soin dinterpréter lun des discours dans la traduction récente de Marsile Ficin. De telles représentations théâtrales ne sont pas rares, encore de nos jours, dans les Public schools anglaises. On pourrait encore citer la Comédie Française, qui a donné cette année sa propre version, dans une adaptation de Frédéric Vossier et une mise en scène de Jacques Vincey.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 04/05/2010 ) Imprimer
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