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Histoire & Sciences sociales  ->  Antiquité & préhistoire  
 

Un nouveau ''tour de Gaule'' et un nouveau regard
Pierre Ouzoulias   Laurence Tranoy    Collectif   Comment les Gaules devinrent romaines
La Découverte 2010 /  24 € - 157.2 ffr. / 318 pages
ISBN : 978-2-7071-5907-6
FORMAT : 13,5cm x 22,3cm

L'auteur du compte rendu : Docteur en sociologie, diplômé de l’Institut d’Etudes politiques de Paris et de la Sorbonne (maîtrise de philosophie), Christophe Colera est l'auteur, entre autre, chez L’Harmattan, de Dialogue sur les aléas de l’histoire (2010).
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C'est une tendance dominante de l'historiographie contemporaine : la remise en cause des mythes de l'histoire nationaliste et romantique du 19ème siècle, notamment celui d'une Gaule couverte de forêts et peuplée de rustres barbares qui n'attendaient que la conquête romaine pour se civiliser et constituer.... la France....

L'heure aujourd'hui est plutôt à tordre le bâton dans l'autre sens : souligner l'ampleur de la déforestation, montrer les routes, les circuits d'échange, l'importance de l'agriculture, de la monnaie, les hiérarchies sociales que cela supposait, bref une Gaule intégrée dans la "mondialisation" méditerranéenne post-hellénistique bien avant l'arrivée de César, et qui déjà y apportait sa propre touche.

Les découvertes archéologiques sous les grandes excavations des autoroutes et des TGV dans les années 1980 ont plaidé pour cet aggiornamento des connaissances. Cependant, comme le souligne le toujours subtil Christian Goudineau dans son introduction, il faut savoir aussi, par-delà les effets d'annonce rétablir la proportion exacte des phénomènes découverts (par exemple celui des cultures viticoles pré-romaines), car toute la Gaule ne marchait pas du même pas et n'était point aussi ouverte aux influences romaines que les Eduens le long du Rhône par exemple. On serait d'ailleurs tenté d'abonder dans ce sens, en se souvenant qu'il y avait aussi une culture celte qui pratiqua longtemps les sacrifices humains – comme en atteste une récente découverte archéologique en Suisse – et, si la Gaule avait été si avancée à l’arrivée de César, on ne comprend pourquoi on n’y aurait pas répandu un outil d’organisation aussi fondamental que l’écriture…

C’est en tout cas à un véritable «tour de Gaule» (mieux que dans Astérix !) des débuts de l’occupation romaine que nous convie ce très sérieux ouvrage collectif qui regroupe les actes d’un colloque international organisé par l’Institut national de recherches archéologiques préventives et le musée du Louvres.

Dans cette collection hétéroclite d'articles que constituent nécessairement les actes d'un colloque, on retiendra particulièrement la contribution de Patrick Pion sur l'urbanisation en Gaule du Nord. A partir d'une étude minutieuse de la localisation et de la structure des oppida (définitivement identifiées à des villes, bien que sur un modèle différent du monde méditerranéen) en Gaule celtique et Belgique, l’historien en vient à avancer une explication risquée (compte tenu de la rareté des sources) mais stimulante, d’une volonté géopolitique de Rome de pousser l’urbanisation chez ses alliés éduens et rèmes dès le 2ème siècle avant Jésus-Christ, volonté ardemment respectée et relayée par ses puissants clients.

Pour ce qui concerne les lendemains de la conquête, diverses contributions du livre montrent la diversité des processus de romanisation (des romanisations ou des gallo-romanisations qu’il faudrait écrire au pluriel) et qui s’adaptent à la variété des tissus économiques et des structures sociales suivant les régions. Pierre Ouzoulias montre ainsi que l’Armorique égalitaire avec ses petites exploitations agricoles diffère de la Gaule du Sud et ses grandes exploitations autour des villae, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle soit moins romanisée ni moins propice aux progrès économiques. Les structures politiques elles aussi s’adaptent à la romanité suivant des modes différents : ici l’on garde les magistratures gauloises (le vergobret), là on adopte celles de Rome. Rome elle-même tarde à organiser ses conquêtes (César ne fit rien, Auguste le premier organisa les provinces), le limes sur le Rhin mettra plus d’une génération à s’installer tandis que le sort de la Germanie restait indécis jusqu’à la défaite de Drusus, et que certains peuples gaulois continuaient de s’insurger.

Le livre met en valeur le rôle de l’armée romaine dans la constitution des villes nouvelles, le rôle des spectacles comme vecteurs de la culture romaine, mais aussi celui du vin : importé massivement d’Italie dans les décennies qui précédèrent la campagne de César, il égayait les rituels de potlatch des chefs gaulois qui s’en enivraient sans retenue – après la conquête, c’est du vin de tout le bassin méditerranéen que l’on boit en Gaule, désormais «à la romaine».

Certains chapitres peuvent déboucher sur une réflexion interdisciplinaire avec d’autres spécialités historiographiques, et d’autres sciences sociales. Tel est le cas notamment du chapitre que Wim de Clercq consacre à la civitas Menapiorum, à l’extrême nord de la Gaule belgique. Wim de Clercq qui n’hésite pas à recourir au vocabulaire du sociologue Pierre Bourdieu («habitus», «sens pratique») et à défendre une «bottom-up view» pour questionner la notion de «romanisation». L’article montre que bien que ce pays soit intégré aux courants d’échange de l’empire romain (à travers le commerce des salaisons notamment) et qu’il héberge une légion qui forme des auxiliaires locaux au maniement des armes et du latin, les habitants de cette cité conservent l’architecture de leurs maisons-étables, et, jusque dans leurs pratiques funéraires, valorisent leurs élites selon des rituels qui diffèrent du monde romain. Les emprunts au monde méditerranéen seraient plus stratégiques et complexes qu’une vague mécanique de «romanisation» qui aurait conquis le sud de la Belgique, laissant le rivage de la mer du Nord à la «barbarie» et à la pauvreté économique.

Faut-il pour autant renoncer à l’idée de romanisation ? Au sein même du livre, les avis divergent. Dans leur lecture des coutumes funéraires au centre et au sud-est de la Gaule, Frédérique Blaizot et Christine Bonnet, elles, emploient sans réserve cette notion, et montrent en quoi la romanisation fait émerger une sorte d’individualisation de la mémoire des chefs locaux au fil de l’évolution des cérémonies crématoires. De même la contribution de Véronique Zech-Matterne sur le développement de la fructiculture en Gaule du Nord décrit une «volonté de s’affranchir d’habitudes alimentaires gauloises et d’adopter un mode de vie directement inspiré de la sphère méditerranéenne» (p.266) qui tout de même rejoint largement les grilles de lectures classiques.

La reconstitution a posteriori des modes d’acculturation et de leurs effets rendent évidemment ce genre de débat difficile à trancher, mais l’analyse de plus en plus précise de traces archéologiques, dont témoigne utilement ce livre, permet d’en affiner sensiblement les termes.


Christophe Colera
( Mis en ligne le 25/05/2010 )
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