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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
| Maurizio Bettini Giulio Guidorizzi Le Mythe d'Oedipe Belin 2010 / 15 € - 98.25 ffr. / 276 pages ISBN : 978-2-7011-4995-0 FORMAT : 15cm x 21,5cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Depuis Sigmund Freud, le mythe ddipe a fait couler beaucoup dencre, et pas seulement chez les psychanalystes et les hellénistes. Dans cet essai, Giulio Guidorizzi nous offre une étude exhaustive de ce mythe. On compte actuellement trois autres livres parus dans la même collection, sur les mythes dHélène, de Narcisse et des Sirènes. Comme pour ces derniers ouvrages, lexposé de Giulio Guidorizzi est précédé dune nouvelle de Maurizio Bettini, qui nous offre une mise en scène très contemporaine du mythe, avec une transposition dans le domaine du cinéma et de lécriture de scénarios.
La première partie sintéresse aux origines familiales ddipe, à savoir la maison royale de Thèbes descendant du Phénicien Cadmos, mais aussi des guerriers Spartoi issus des dents dun dragon semées dans la terre par le héros fondateur. Il est en fait surtout question du père ddipe, Laïos. Celui-ci peut apparaître comme une sorte de «double» obscur de son fils, tout aussi violent et transgressif. Il enlève et viole le jeune Chrysippos, fils de Pélops qui le maudit pour cela. Averti par loracle de Delphes de ne pas donner naissance à un fils, il commet la faute de sunir à son épouse un soir où il a trop bu. Il en naît un enfant que Laïos fait exposer sur le mont Cithéron, après avoir pris soin de lui faire percer les pieds. Le père ddipe apparaît donc comme un mauvais hôte, un mauvais initiateur, un mauvais époux et un mauvais père.
La deuxième partie, intitulée «La préhistoire ddipe», traite des récits antérieurs aux tragédies de Sophocle, dipe Roi et dipe à Colone (qui nous ont fourni la version la plus répandue du mythe). On sait ainsi quil existait un poème épique intitulé ldipodie, dont on na conservé que quelques fragments, et un autre appelé la Thébaïde. Homère donne à la mère et épouse du héros le nom dEpicasté, mais reste allusif, de même quHésiode. Le mythographe archaïque Phérécyde lui donne trois épouses, car il aurait épousé après Jocaste une certaine Euryganie mère dEtéocle, Polynice, Antigone et Ismène puis une certaine Astyméduse. Pindare narre une version du mythe sensiblement analogue à celle des auteurs tragiques, comme Eschyle dans les Sept contre Thèbes.
La troisième partie sintéresse au lieu dexposition ddipe nouveau-né, sur la montagne du Cithéron, dans un espace où les distinctions entre bêtes sauvages, Nymphes, arbres, créatures divines et humaines semblent brouillées. Malgré son adoption par le roi de Corinthe Polybe, dipe possède une nature autant sauvage que civilisée. Lauteur esquisse ici une lecture initiatique de cette histoire, que lon retrouve aussi dans lépisode de la Sphinx.
Le corps du héros fait lobjet de la quatrième partie. Avec dipe «aux pied enflés», on est bien loin du modèle du beau héros au physique parfait. Cette infirmité dorigine est encore plus accentuée lorsquil se crève les yeux et devient aveugle après la découverte de sa véritable identité. A la suite de Marie Delcourt, Giulio Guidoriwi développe le parallèle du mythe ddipe avec dautres récits à peu près contemporains mettant en scène plusieurs héros ou infirmes célèbres, y compris le dieu Héphaistos.
La cinquième partie porte sur le meurtre du père, à un carrefour de trois routes entre Delphes et Daulis, après qudipe a consulté loracle dApollon. Cet assassinat prend place dans un acte de violence que Giulio Guidorizzi rapproche de manière un peu curieuse de la possession par les Nymphes, la nympholepsie. Mais dipe ne fait que répondre à laction violente de Laïos. Lauteur rappelle là aussi dautres récits de parricides involontaires, comme le meurtre dUlysse par Télégonos, le fils quil a eu de Circé, ou celui du roi de Crète Catrée par son fils Althaeménès. Néanmoins, le parricide appartient à la catégorie des crimes les plus graves.
La sixième partie a pour fil conducteur le pouvoir de la parole, exprimé à travers des oracles, des énigmes et des discours ambigus ou à double sens. Loracle dApollon à Delphes est particulièrement retors. Il prédit à Laïos que son fils le tuera, mais aussi à dipe, ignorant sa véritable identité, quil tuera son père et épousera sa mère. Croyant déjouer cette annonce funeste, dipe fuit alors Corinthe et ses parents adoptifs, ignorant quil prend ainsi la voie que le destin lui a préparée. Loracle apparaît ainsi comme une communication boiteuse et maladroite, souvent incomplète et trompeuse. Au début ddipe Roi, loracle dApollon aux Thébains impose de chasser lassassin de Laïos, mais tait son nom ; dipe se maudit alors lui-même sans le savoir. Il se heurte au devin Tirésias qui refuse de lui répondre clairement, même sil lui annonce, dans un enchevêtrement dallusions et dénigmes, le destin qui lattend. dipe est cependant connu pour savoir résoudre des énigmes ; cest ainsi quil a vaincu la Sphinx. Giulio Guidorizzi va cependant peut-être un peu trop loin quand il affirme que «son enquête sinscrit parfaitement dans latmosphère de la culture technique et laïque, de lenquête intellectuelle sur les phénomènes de la réalité qui a fait la gloire de la civilisation athénienne du Ve siècle» (p.173). Il est en effet difficile de parler de «pensée laïque» dans un contexte où le religieux, le social et le politique sont autant imbriqués.
Les femmes ddipe font lobjet de la septième partie. La vie du héros est en effet soumise à linfluence de plusieurs présences féminines. La reine de Corinthe Périboea ou Méropé suivant les versions le sauve et lélève. La Pythie lui révèle son destin. La Sphinx laffronte dans un duel à mort. Jocaste qui sappelle Epicasté chez Homère lui donne naissance, labandonne et, bien longtemps après, devient son épouse. Enfin, sa fille Antigone laccompagne dans ses dernières années, en le guidant sur la route de lexil. Toutes ont pour point commun un certain rejet du destin traditionnel de la femme dans la société grecque. La femme stérile, la vierge inspirée, le monstre sanguinaire, lépouse incestueuse et la jeune fille qui natteindra pas le jour de ses noces sont en effet bien loin du modèle de la bonne épouse obéissante qui engendre une descendance à son mari.
Comme dans les autres ouvrages de la même collection, une partie intitulée «Lectures» traite de la fortune du mythe ddipe de lépoque impériale (avec notamment les tragédies de Sénèque dipe et Les Phéniciennes) à lépoque contemporaine (Gide, Cocteau, Pavese, Durrell, Robbe-Grillet, Anouilh, Testori
sans oublier le film de Pasolini, mais en ignorant curieusement Bauchau), en passant par le Roman de Thèbes médiéval, largement inspiré de la Thébaïde de Stace, ou les opéras et les réécritures théâtrales de lépoque moderne (Corneille, Tesauro, Voltaire
). Les «Témoignages» citent les différentes sources du mythe, tandis quune autre partie est consacrée aux sources iconographiques, des vases grecs à Louise Bourgeois. Le tout forme un ouvrage très riche et agréable à lire sur lun des plus connus des mythes grecs.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 19/04/2011 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Le Mythe de Narcisse de Maurizio Bettini , Ezio Pellizer Le Mythe d’Hélène de Maurizio Bettini , Carlo Brillante | | |
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