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Histoire & Sciences sociales  ->  Antiquité & préhistoire  
 

Alésia, morne butte
Jean-Louis Brunaux   Alésia - 27 septembre 52 av. J.-C.
Gallimard - Les journées qui ont fait la France 2012 /  22.50 € - 147.38 ffr. / 384 pages
ISBN : 978-2-07-012357-5
FORMAT : 15,0 cm × 22,0 cm

L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.
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Dans la culture collective, et patriotique, c’est la défaite originelle, celle qui annonce les suivantes, Waterloo, 1940… Une défaite revisitée par Napoléon en son temps, si traumatique que son lieu même faisait naguère l’objet de débats, sur le mode d’une résilience tardive. L’idéal-type de la défaite en somme, joliment mise en scène par l’art pompier du XIXe siècle et le tableau de Royer (1889) qui orne la couverture de cette étude. Vercingétorix y figure en vaincu méprisant, devant un César victorieux et hautain. La nation, qui s’inventait alors avec Ernest Renan et son célébrissime discours de 1882 (Qu’est-ce qu’une nation ?), cultivait ce genre de symboles, celui d’une nation gauloise originelle, encore «pure», vaincue mais fière, allusion à peine voilée à 1870. Bref, une défaite qui, pour éloignée qu’elle soit, semble à la fois familière, quasiment inscrite dans une génétique nationale, et, paradoxalement, méconnue.

Archéologue, directeur de recherche au CNRS et grand spécialiste de la Gaule et des druides, Jean-Louis Brunaux revient, avec ce nouvel opus des ''Journées qui ont fait la France'', sur cette défaite fondatrice, pour en revisiter les fondements. Et d'abord les fondements archivistiques : si César en a laissé le récit le plus ample (et pour cause) dans sa Guerre des Gaules, c’est tout de même le récit d’un vainqueur, et d’un homme politique anxieux de soigner son image dans une période difficile. «Veni, vidi, vici», certes… mais quelle est la part de mise en récit, d’omission et de dramatisation dans ces mémoires à la troisième personne ? Bien sûr, il existe des récits ultérieurs, tel celui de Dion Cassius, mais à plus de deux siècles de distance, la critique doit être exigeante et l’historien doit une fois de plus rendre à César ce qui lui revient. Or le tableau que fait César de l’affaire est tout sauf objectif : un Vercingétorix grimé en imperator des Gaules à la tête d’armées immenses et redoutables, une stratégie romaine maîtrisée de bout en bout… Une victoire absolue qui dévoile le génie de César, génie militaire et politique, confronté à un adversaire immense. Il y a dans ce récit non pas des mensonges, mais des semi vérités et une forme de travestissement à destination «du Sénat et du peuple romain», que Jean-Louis Brunaux éclaire très habilement, en reprenant le texte de César à l’aune d’une analyse historique solide.

La démarche est tout d’abord d’histoire militaire : la campagne des Gaules, le choix d’Alésia comme lieu d’une bataille décisive sur le modèle de Gergovie, l’analyse du terrain (force et faiblesse de l’oppidum de Reine au Mont Auxois) et des stratégies menées par César – qui fait la démonstration d’une maîtrise de la poliorcétique, l’art du siège - et Vercingétorix, indéniablement habile également. Politique et tactique se conjuguent, chaque chef tentant d’affermir ses arrières (romains ou gaulois), de rassembler ses alliés et de dissuader ceux de l’adversaire. Le tableau d’une diplomatie antique plus élaborée qu’il n’y paraît affleure. De là, le tableau des forces en présence avec une armée romaine réduite, mais aguerrie, prise en sandwich par… une immense armée gauloise. Alésia où la bataille que les Gaulois ne pouvaient pas perdre…

Mais toute la question brillamment posée par l’auteur est de savoir si Vercingétorix est bien le chef incontesté qu’on a dit, si cette armée gauloise est aussi adéquate et disciplinée qu’on a voulu le croire et, plus largement de ce que c’est que «les Gaulois» en 52 av JC. Pour ce faire, l’auteur entreprend un périple passionnant dans les Gaules, un périple historique, politique, ethnologique et culturel, depuis les premiers récits de voyageurs grecs jusqu’à César – dont les considérations sur la Gaule, inspirées par d’autres, méritent relecture. On en ressort avec une vision renouvelée d’une société riche, dense, complexe, moins stéréotypée qu’il n’y paraissait. Une société structurée autour d’une culture orale, d’un corps (les druides) aux fonctions amples, et qui s’est, pour des raisons de politique, ouverte aux Romains après avoir su intégrer une part de culture grecque (via la colonie de Massalia). Mais une société dominée par des conflits importants entre tribus, confédérations et alliances, dont Alésia sera finalement la conclusion (et le naufrage). Et c’est là tout l’intérêt de ce bel ouvrage, auquel il manque une iconographie et une cartographie plus développées : partant d’une bataille et d’un siège, l’auteur nous fait toucher du doigt la réalité d’une nation confrontée à une crise politico-militaire, une nation qui, progressivement, se construit, s’invente, se dote d’organes de décision (le conseil de Bibracte) mais demeure otage de rivalités et de politiciens.

Le style importe également. Or Jean-louis Brunaux a l’art de la formule et sait, avec talent, jouer des stéréotypes et images d’Epinal pour illustrer les enjeux de l’histoire et mettre en lumière, par contraste, la réalité de cette bataille et de son arrière-plan. Aussi cet ouvrage est-il, de bout en bout, captivant, en ce qu’il ne se réduit pas à la simple bataille d’Alésia et à ce siège double, si singulier (Alésia, assiégée par une armée romaine, assiégée par une armée confédérale gauloise), mais qu’il sait prendre de la hauteur et replacer Alésia dans une histoire et une géopolitique gauloise. Une belle démonstration d’histoire, appliquée à un mythe fondateur.


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 27/11/2012 )
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