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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
| Bernard Eck La Mort rouge - Homicide, guerre et souillure en Grèce ancienne Les Belles Lettres - Etudes anciennes 2012 / 35 € - 229.25 ffr. / 448 pages ISBN : 16,4 cm × 24,0 cm FORMAT : 978-2-251-32682-5
L'auteur du compte rendu : Emmanuel Bain est docteur et professeur agrégé en histoire. Imprimer
La guerre et le meurtre : voilà deux thématiques qui irriguent une grande partie de la littérature grecque antique ! Cest donc à un vaste sujet que sest attaqué Bernard Eck, maître de conférences à lUniversité de Bourgogne, dans La Mort rouge. Homicide, guerre et souillure en Grèce ancienne. Son angle dapproche est toutefois plus précis puisquil sagit détudier le phénomène de la souillure dans ces moments de violence. Dans cette perspective, il se fonde sur une très large palette de sources qui inclut aussi bien des textes littéraires (en particulier lIliade et lOdyssée ainsi que les tragédies du Ve siècle) que les écrits des historiens, les discours des orateurs ou les textes juridiques.
Après un chapitre introductif qui étudie notamment le rôle complexe, et pas uniquement lié à la souillure, des Érinyes, B. Eck aborde successivement deux domaines détude : celui de la guerre puis celui meurtre. La guerre fait lobjet de trois chapitres dans lesquels lauteur entend souligner la cruauté de la guerre et renverser lidée selon laquelle les combattants ne seraient pas souillés par la guerre. Le chapitre 2, fondé sur des sources de natures et dépoques diverses, présente plusieurs exemples dans lesquels une armée ou un guerrier éprouvent le besoin dune purification après le combat, que celui-ci se soit tenu dans le cadre dune guerre civile (stasis) ou dun affrontement plus classique. Le chapitre 3 est, en revanche, entièrement consacré à Homère : à nouveau, lintention de B. Eck est de souligner la présence de la souillure chez Homère en lien avec la guerre. Il sappuie pour cela sur quatre passages de lIliade et surtout sur lépithète dArès qui est dit miaiphonos, cest-à-dire souillé par le meurtre, ou qui tue en souillant. Il en ressort donc une conclusion, étonnante à nos yeux, à savoir que la guerre, chez Homère, saccompagne de souillure, mais pas le meurtre. Cest ainsi dans la violence extrême et déshumanisante de la guerre homérique, étudiée au chapitre suivant avec des descriptions et une approche qui évoquent étonnamment lhistoriographie de la Première Guerre mondiale que le sujet découvrirait la souillure et le souci de purification : ces textes constituent «des indices probants pour soutenir que la guerre laisse des traces au fond de soi et que ce mal-être sexprime parfois par un désir de se purifier» (p.116). Cest aussi cette description qui pousse lauteur à soutenir quHomère dénonçait la guerre et nexaltait lhéroïsme guerrier que par concession au genre épique et aux valeurs dun public aristocratique (p.210).
La seconde partie de louvrage, consacrée à la souillure quaccompagne le meurtre, est elle aussi composée de trois chapitres. Lobjectif est ici linverse de celui de la partie précédente : nuancer lidée selon laquelle le meurtre serait systématiquement entaché de souillure. Si cette notion est présente dans la tragédie, B. Eck soutient quelle nest pas pour autant centrale. Mais largumentation repose principalement sur létude des discours juridiques : un orateur comme Antiphon, au Ve siècle, exploite, à lenvi, la thématique de la souillure dans les plaidoyers fictifs réunis dans les Tétralogies, mais utilise peu cet argument dans les discours réellement tenus (chap.5). Cest que la législation pénale ne se situe pas à ce niveau religieux ou psychologique et nutilise donc pas cet argument (chap.6). Celui-ci ne réapparaît que dans un cadre politique bien particulier, celui des lois autorisant le meurtre du tyran qui soulignent vigoureusement quun tel meurtrier demeure pur (chap.7).
La Mort rouge est écrit dans un style clair et fluide. Toutefois, il demande une lecture attentive sensible aux nuances, car il peut parfois sembler se contredire ce qui reflète la divergence des sources. Surtout cest une lecture propre à stimuler la réflexion. En effet lauteur, dune honnêteté intellectuelle scrupuleuse, signale systématiquement les auteurs qui ne partagent pas ses positions et surtout ne craint pas de citer les textes qui vont à lencontre de la thèse quil défend, comme ce passage de Lois 9, 869c qui montre que la guerre nengendre pas de souillure, cité à plusieurs reprises. Il fournit ainsi à la fois une synthèse globale sur la souillure en Grèce ancienne et un corpus pour réfléchir sur cette notion en sécartant éventuellement des positions de lauteur.
Emmanuel Bain ( Mis en ligne le 11/12/2012 ) Imprimer | | |
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