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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
| Georges Le Rider Alexandre le Grand - Monnaie, finances et politique PUF - Histoires 2003 / 32 € - 209.6 ffr. / 363 pages ISBN : 2-13-052940-2
L'auteur du compte-rendu: Yasmina Benferhat a fait des études de Lettres classiques à la Sorbonne. Après l'agrégation de Lettres classiques en 1994, elle a préparé une thèse
sur l'histoire des idées politiques à la fin de la République romaine (Les épicuriens et l'idée de monarchie de Sylla à Octave en Italie). Elle est actuellement maître de conférences (en latin) à l'Université de Nancy 2.
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Louvrage de G. Le Rider, éminent spécialiste de numismatique grecque, membre de lInstitut et professeur honoraire au Collège de France, a pour sujet la politique monétaire dAlexandre et, partant de là, les aspects financiers de sa conquête. Lauteur se propose en introduction de répondre à une question dintérêt historique et philosophique : le macédonien a-t-il voulu créer une monnaie unique dans son empire, ce qui aurait été faire uvre civilisatrice dans des contrées peuplées de Barbares ?
Louvrage se compose de sept chapitres : le premier consiste en une présentation des deux principales monnaies alexandrines, les deux suivants sont consacrés à la Macédoine, dabord sous Philippe et au début du règne dAlexandre, ensuite sous Antipatros de 334 à 321 après le départ du jeune roi. Le quatrième chapitre porte sur les monnaies dAsie Mineure occidentale, puis lauteur Etudie le monnayage en Cilicie, Phénicie, Syrie et Chypre, avant de sintéresser à lEgypte, et pour finir à la Babylonie et aux confins de lempire dAlexandre à lest du Tigre. On le voit, lordre choisi par G. Le Rider suit la progression dAlexandre dans sa conquête de lAsie.
Lauteur choisit de sintéresser principalement au tétradrachme dargent à tête dHeraclès et au Zeus assis (deux divinités particulièrement honorées en Macédoine), et au statère dor à tête dAthéna et à la Victoire. Trois questions se posent de manière rituelle pour chaque monnaie: que signifient les motifs qui lornent, quand a-t-elle été frappée et où, dans quel atelier monétaire ? G. Le Rider présente ses hypothèses de datation : le tétradrachme aurait commencé dêtre frappée à Tarse vers 333-32 et les monnaies dor ne seraient pas apparues avant lété 332 après la prise de Tyr. En effet, à ce moment-là Alexandre serait apparu comme le roi de lAsie et aurait indiqué sa domination absolue sur terre et sur mer par une Victoire ornée dune stylis (une décoration sur les navires de lépoque équivalente à létendard pour les troupes terrestres).
La suite de lexposé, consacrée aux différentes régions de lempire dAlexandre, pourra surprendre : tout dabord, le jeune roi, loin de vouloir se distinguer de son père en faisant battre une nouvelle monnaie qui lui aurait permis de se faire connaître de ses sujets, se serait contenté de continuer dutiliser les philippes pendant plusieurs années. Les ateliers monétaires Etaient au nombre de deux : à Pella et à Amphipolis, le plus important selon lauteur. Chemin faisant, celui-ci aborde la question très intéressante des rapports du roi de Macédoine et des Macédoniens qui semble-t-il avaient une certaine marge dautonomie pour les finances locales. La frappe de la monnaie alexandrine naurait commencé que sous Antipatros, laissé à la tête de la Macédoine par Alexandre : il avait besoin de numéraire pour faire face aux dépenses diverses quentraînaient, dune part, les demandes répétées de renforts dAlexandre, de lautre, le maintien de lordre en Grèce continentale. Les dernières années du règne dAlexandre, avec la Guerre lamienne et les dernières exigences du conquérant, furent marquées par des émissions monétaires à un rythme soutenu.
Un autre aspect souvent mal connu des conquêtes dAlexandre est le financement de son effort de guerre : le roi est parti en Asie avec très peu de moyens au vu de ce quil allait entreprendre ! Il navait sans doute pas de quoi payer ses 90.000 hommes et comptait sur le butin pour arriver à ses fins. Le quatrième chapitre aborde justement ce sujet ainsi que celui de ladministration de lempire : Alexandre, très pragmatique et, semble-t-il, admiratif devant le modèle perse, ne fit que reprendre le système des satrapes, mais en divisant systématiquement les pouvoirs (militaires, administratifs et financiers) dans chaque région entre Grecs fidèles et parfois aussi des autochtones particulièrement brillants.
Savoir si et pourquoi Alexandre créa sa propre monnaie dans cette région est une question qui a soulevé de nombreuses hypothèses : Newell, grand numismate anglais de la première moitié du XXe siècle, pensait que les émissions avaient commencé en 330 à Sardes. Une autre spécialiste jugea que ces Emissions avaient pour but de payer la solde des mercenaires et des soldats macédoniens renvoyés chez eux par Alexandre. Néanmoins, il savère que les ateliers monétaires de la région furent en plein essor après la mort de ce dernier : ces émissions furent donc très probablement luvre des Diadoques alors en pleine guerre dans cette partie de lempire. Ils auraient repris les types dAlexandre et même ceux de son père, pour des questions de propagande mais aussi des raisons pratiques (les liens économiques de lAsie Mineure avec la Macédoine étaient très importants) : des émissions posthumes navaient rien de surprenant alors.
Cest plus au sud, en Cilicie, Phénicie, Syrie et à Chypre (conquises entre 333 et 332) quAlexandre aurait commencé à faire frapper sa propre monnaie, et non en Asie Mineure occidentale : peut-être par volonté de marquer une continuité avec le Grand roi dont il prenait en quelque sorte la suite, peut-être mais moins vraisemblablement par respect de lautonomie des cités grecques dAsie.
G. Le Rider pense que cette décision vit le jour après la victoire dIssos (automne 333) et que cest Tarse, ville stratégique entre la Syrie et lAsie Mineure occidentale, où se trouvait depuis longtemps un atelier monétaire (le satrape y faisait battre des monnaies à leffigie dun dieu local, Baaltars) qui eut lhonneur de produire les premières monnaies alexandrines. Lauteur considère quAlexandre aurait commencé par les fameux tétradrachmes en argent : revenant sur les motivations du conquérant, lauteur considère raisonnablement que les raisons pratiques, et non psychologiques (trop fragiles), sont à privilégier. Une monnaie est créée pour répondre à des impératifs fiscaux et économiques. Mais lauteur formule lhypothèse que le conquérant aurait aussi voulu se présenter comme le nouveau roi dAsie après sa victoire à Issos.
Un autre atelier serait à placer à Tyr : il aurait été créé après la prise de cette ville pour répondre aux besoins dAlexandre qui y organisa de grandes fêtes et fit construire une nouvelle flotte. Il est particulièrement intéressant de relever le souci manifeste dAlexandre de choisir des types grecs pour ses monnaies, mais pouvant être rapprochés de cultes orientaux (Zeus-Baaltars, Heraclès-Sandan qui est un dieu de Tarse représenté avec un lion). Athéna, présente sur les monnaies en or, frappées pour la première fois après le siège de Tyr (à Tarse selon G. Le Rider qui insiste sur le rôle militaire de cette ville), était bien connue en Asie comme patronne non seulement dAthènes mais surtout de la Ligue Corinthienne dont Alexandre était le chef. A côté de Tyr et de Sidon, on connaît dautres ateliers monétaires, moins importants, dans la région, à Damas (Phénicie), à Salamine (Chypre) et surtout à Arados (Phénicie du Nord), grâce au trésor de Demanhour en particulier. La fin du règne dAlexandre ne fut pas marquée par une augmentation des émissions : les plus importantes eurent donc lieu au début de son règne et après sa mort. Il est important de signaler quà côté de ces monnaies alexandrines, il existait toujours des monnaies locales, parfois de taille minuscule (comme pour les Aradiens) qui répondaient parfaitement aux besoins des cités, et Emises pour des raisons fiscales (le change permet à une cité de faire entrer de largent dans ses caisses).
LEgypte offre un cas de figure original, dans la mesure où Alexandre (présent entre novembre 332 et avril 331) ny fit jamais frapper de monnaies à son nom : cette province, qui lui fut livrée par le satrape, connaissait déjà lusage de la monnaie avec des émissions de tétradrachmes pseudo-athéniens, même si lon a soutenu lidée que la monétarisation ny aurait commencé quavec la présence des Macédoniens, et fut dirigée par Cléomène de Naucratis, un autochtone. Ce dernier, pour faire face aux dépenses énormes entraînées par les demandes de ravitaillement dAlexandre, probablement, et surtout la fondation dAlexandrie, dut trouver des expédients en plus des rentrées habituelles du tribut, des taxes diverses et de lapprovisionnement en blé : il malmena le clergé local pour lui extorquer de largent et créa une taxe sur le blé à lexportation. Il se servit de la monnaie locale et du numéraire fourni par les exportations. La monnaie alexandrine frappée en Egypte (à Memphis ou plutôt à Alexandrie, selon lauteur) le fut sur ordre du successeur de Cléomène, le futur Ptolémée.
La région de Babylonie eut, elle, un atelier monétaire (le plus important de lempire après Amphipolis) pour répondre aux besoins énormes dAlexandre. Plusieurs types de monnaies circulèrent en même temps : les alexandrines, des monnaies du Grand roi et des imitations dAthènes, on suppose, pour des Grecs résidant dans les environs. La datation des monnaies alexandrines est toujours lobjet dhypothèses : plusieurs spécialistes proposent une datation haute (vers 331) mais lauteur pense quelles ne furent pas frappées avant 325/324 à un moment où Alexandre multipliait les dépenses somptuaires.
Les hommes placés à la tête de cette province, Harpale puis Antimène, durent eux aussi trouver des solutions pour équilibrer leurs finances : la plus originale est sans aucun doute lassurance imposée par Antimène aux propriétaires desclaves en cas de fuite. La conquête des territoires situés à lest du Tigre offre un peu le même cas de figure que lEgypte : on ny connaît pas datelier ayant frappé des monnaies alexandrines. Il semble quAlexandre se soit servi de lénorme réserve de butin quil avait toujours avec lui, composée de dariques et dobjets précieux, pour payer ses soldats. En effet, les populations locales ignoraient lusage de monnaies frappées et signées, ayant recours au troc et au métal précieux non travaillé.
Ce livre sera donc précieux pour les étudiants en histoire et les universitaires mais également pour un public plus large qui y trouvera matière à réflexion sur le rôle de la monnaie et lorganisation financière dun Etat, dautant que le style très clair de son auteur rend sa lecture particulièrement agréable. Les Anciens navaient rien à apprendre de nous en matière dingéniosité fiscale et financière : les expédients trouvés par Antimène en particulier (assurance sur les esclaves et création de magasins officiels pour vendre à un prix avantageux pour lui une partie du butin de guerre aux soldats et autres Grecs de passage) sont très intéressants. On notera la présence bienvenue de deux cartes des territoires conquis par Alexandre et de plusieurs planches de monnaies à la fin du livre.
Yasmina Benferhat ( Mis en ligne le 21/08/2003 ) Imprimer | | |
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