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Histoire & Sciences sociales  ->  Antiquité & préhistoire  
 

Greek way of life
Florence Dupont   Emmanuelle Valette-Cagnac    Collectif   Façons de parler grec à Rome
Belin - L'antiquité au présent 2005 /  24 € - 157.2 ffr. / 286 pages
ISBN : 2-7011-4071-4
FORMAT : 14x21 cm

L’auteur du compte rendu : Agnès Bérenger-Badel, maître de conférences d'histoire romaine à l'Université de Paris Sorbonne (Paris IV), est une spécialiste de l’histoire politique et administrative de la Rome impériale. Elle a rédigé plusieurs ouvrages liés au programme de l'agrégation et du CAPES (dont L'Empire romain au IIIe siècle après J.-C., Textes et documents, SEDES, 1998, et Rome, ville et capitale, de César à la fin des Antonins, Hachette, 2002).
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Cet ouvrage collectif rassemble sept contributions qui ont été présentées au cours de séminaires du Centre Louis Gernet-EHESS, de 2000 à 2002, sous le titre général “Façons romaines de faire le Grec”.

L’introduction d’Emmanuelle Valette-Cagnac revient sur une question qui a suscité de nombreux débats au cours des dernières décennies, celle du bilinguisme à Rome. La capacité des Romains à maîtriser aussi bien le grec que le latin a souvent été analysée comme une conséquence de l’hellénisation de Rome à la suite de ses conquêtes. Plus récemment, a été mise en œuvre la notion de “choix de langue”, qui présuppose que le choix de telle ou telle langue s’effectue selon le contexte du discours produit. L’ambition de l’ouvrage est d’analyser la place de la langue grecque, qui, paradoxalement, se situe à la fois à l’extérieur et à l’intérieur de la culture romaine et jouit donc d’un statut ambivalent, fait d’attirance et de répulsion.

Les Romains ont donc construit une langue grecque, des pratiques grecques et des Grecs imaginaires. Dans le premier chapitre, Emmanuelle Valette-Cagnac se penche sur le “Grec imaginaire des Romains” et en premier lieu sur le grec utilisé par les Romains, qui ne devait pas être une langue érudite et purement livresque. En fait, les Romains se sont livrés à un véritable travail de création linguistique et ont créé un certain nombre de néologismes. Ce type de grec spécifique permettait de le distinguer de la langue utilisée par les esclaves et affranchis d’origine grecque et fonctionnait donc comme un signe de reconnaissance entre aristocrates. Pierre Cordier s’est demandé pourquoi les équipements de loisir romain portaient des noms à la grecque et montre bien comment les Romains ont repris des termes grecs mais en leur attribuant un sens qu’ils n’ont jamais eu dans leur langue d’origine. Il s’agit donc “d’un néologisme à forme étrangère forgé pour désigner une réalité spécifiquement romaine”. Ainsi, le terme xystus ne désigne pas, comme en grec, la piste de course dans un gymnase, mais une allée de jardin. Ce détournement est conscient : un espace voué dans une cité grecque à la formation du corps des citoyens devient un simple équipement de loisirs et le signe de l’urbanité.

Catherine Baroin part de l’anecdote relative à l’invention du bronze de Corinthe, mélange fortuit d’objets en métal fondus durant l’incendie qui suivit la prise de la ville en 146 av. J.-C., pour démontrer que les Romains ont inventé un art grec à usage romain. C’est à l’occasion de la conquête romaine que naît le bronze corinthien, dont on peut alors dire qu’il a été “inventé” par les Romains ; l’engouement pour ces bronzes conduit certains d’entre eux à des conduites ridicules ou vicieuses. Les Romains ont transformé des statues grecques en statues romaines en en faisant des monuments du pouvoir romain, en général par le biais d’une inscription sur son piédestal, mais ils ont aussi créé des lieux “à la grecque” à Rome en y transférant des objets qui “font grec”. Ces espaces de grécité restent des espaces privés, réservés à l’otium, le loisir aristocratique.

Deux chapitres sont consacrés à l’œuvre de Cicéron. Celui de Renaud Boutin analyse le rôle des orateurs grecs dans la définition cicéronienne de l’éloquence. Cicéron présente en effet Démosthène comme l’orateur idéal, qui constituerait un modèle pour les Romains, et pour ce faire il doit lui attribuer fictivement les qualités attendues de l’orateur romain, dont une grande efficacité dans la persuasion de l’auditoire et des capacités d’adaptation exceptionnelles. Ainsi en fait-il une figure idéale qui réconcilie la théorie rhétorique grecque et la pratique oratoire romaine. Clara Auvray-Assayas a étudié les dialogues de Cicéron dans lesquels des Romains exposent les doctrines philosophiques des Grecs. La scénographie dans laquelle il installe certains de ses dialogues délimite un espace intellectuel évoquant des lieux grecs, éléments du passé glorieux de la Grèce, mais une Grèce réinventée et radicalement modifiée.

Certains genres littéraires font aussi l’objet d’analyses minutieuses. Florence Dupont se penche sur la comédie romaine appelée fabula palliata (où les acteurs portent des costumes grecs) afin de se demander s’il s’agit d’une comédie grecque en latin. Quand l’auteur affirme “traduire” un auteur grec comme Ménandre, il s’agit pour lui de faire parler en latin des auteurs grecs dans le contexte énonciatif nouveau des jeux romains, en adaptant le texte à l’événement. La dimension grecque du spectacle est souvent exacerbée, mais il s’agit là encore d’une Grèce de fiction. Maxime Pierre se demande si la poésie augustéenne imite la poésie grecque. Horace, en présentant la première poésie latine comme grossière et rustique, isole une romanité originelle dépourvue de civilisation. Il peut ainsi poser le projet d’une nouvelle poésie romaine, qui respecte les canons grecs en matière de métrique et s’affirme comme à la fois grecque et romaine. Ainsi peut être définie, comme le propose Florence Dupont en conclusion,, une “altérité incluse”, qui “transfère les qualités énonciatives d’un discours dans un autre contexte qui va changer les modalités énonciatives”. Il s’agit finalement de s’approprier l’autre en exaspérant l’altérité de ce dernier pour construire sa propre identité. La Grèce telle que la réinventent les Romains est liée à l’otium et à la culture de loisirs, aux raffinements de la culture matérielle et intellectuelle.

Ce riche volume présente une cohésion certaine autour de thèses clairement identifiées et stimule la réflexion du lecteur tout en ouvrant des pistes qui seront sans aucun doute explorées ultérieurement.


Agnès Bérenger-Badel
( Mis en ligne le 03/08/2005 )
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