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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
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Mœurs et sexualité en Hellénie | | | John-J. Winkler Désir et contraintes en Grèce ancienne Epel - Les Grands classiques de l'érotologie moderne 2005 / 44 € - 288.2 ffr. / 446 pages ISBN : 2-908855-59-3 FORMAT : 13,5cm x 20,5cm
Traduit de l'anglais par Sandra Boehringer et Nadine Picard.
Préface de David-M Halperin.
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement élève conservateur à lEcole Nationale Supérieure des Sciences de lInformation et des Bibliothèques. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Les études sur la sexualité en Grèce antique ont pendant longtemps été recouvertes dun voile pudibond, notamment en ce qui concerne la pédérastie et lhomosexualité, mais aussi les femmes et le féminin. Les gender et autres gay and lesbian studies ont eu quelque mal à simposer en France, la communauté scientifique ne regardant pas toujours dun bon il ces nouveaux sujets souvent suspects de confondre recherche et engagement militant. Cela explique peut-être la traduction française relativement tardive dun des classiques du genre, The Constraints of Desire, The Anthropology of Sex and Gender in Ancient Greece, paru en langue anglaise en 1990. Le défi a été relevé par les éditions Epel, dans la collection «Les grands classiques de lérotologie moderne», qui vise à ce que souvre un débat critique entre champ LGBT (lesbiennes, gays, bis, trans) et champ psychanalytique freudien (bien loin des anathèmes réciproques sur les questions du mariage gay et de lhomoparentalité !).
Lauteur, John J. Winkler, sengagea dans les luttes féministe et gay après avoir été moine bénédictin et avoir entrepris de brillantes études classiques à luniversité du Texas, à Austin. Enseignant et chercheur à luniversité de Yale puis de Stanford, il fut lun des premiers, dans les années soixante-dix, à militer contre les pratiques de harcèlement sexuel dans les universités américaines. Il mourut du sida en 1990, lannée même de la publication de Constraints of Desire. Dernier pied de nez à lacadémisme des défenseurs les plus conservateurs des «humanités», la fondation du John J. Winkler Memorial, créée par son ami David M. Halperin (lui-même figure éminente des gay and lesbian studies, et dont plusieurs ouvrages traduits sont disponibles aux éditions Epel dans la même collection), offre chaque année un prix à létudiant auteur du meilleur article dans un domaine inédit ou marginal des études classiques aux Etats-Unis !
Désir et contraintes en Grèce ancienne aborde léthique grecque en se démarquant à la fois de lhistoire intellectuelle, de lhistoire des idées, de lhistoire des mentalités et même du New Historicism des années 1980, avec son mélange danthropologie culturelle et dhistoire des discours. Winkler évite, contrairement à son ami Michel Foucault, de se concentrer sur les textes théoriques et prescriptifs. Il préfère sattacher aux documents susceptibles dindiquer comment les anciens Grecs se comportaient en réalité et comment ils jugeaient mutuellement leur conduite dans la vie quotidienne. Il cherche à montrer que la morale sexuelle grecque ne sappliquait que dans certaines limites et de façon variable selon les catégories de personnes. Ainsi, il explique comment les femmes grecques résistaient ou échappaient aux pressions brutales du patriarcat antique, parvenant parfois à revendiquer une certaine autonomie, réelle ou de pensée.
Lécriture de Winkler est bien éloignée du style académique propre aux travaux universitaires. Il nhésite pas, par exemple, à utiliser la première personne du singulier, et débute son livre par une justification du choix de son sujet de recherche qui sonne comme un coming-out : «Ce qui mattire dabord comme tant dautres, jen suis sûr vers létude de la Grèce antique fut la rencontre envoûtante de mythes passionnants et de corps splendides» (p.19). Il poursuit en évoquant la première Gay Pride dAthènes, où les conversations lui rappellent, par leur structure, celle du dialogue platonicien ! Il reconnaît au reste que les scènes de la Grèce contemporaine (et la lecture de ses anthropologues ou «laographes», pour employer une terminologie néo-hellénique) ont modifié sa lecture des textes anciens, postulant une certaine continuité de la «mentalité méditerranéenne». Mais le militantisme ne doit pas donner des illères à lhistorien. Selon lui, «la recherche, quelle soit féministe ou gay, sest à ce point développée quelle peut maintenant se permettre détudier les sociétés anciennes, non pour y trouver des arguments politiques au service dune cause actuelle, mais pour leur seule et surprenante différence» (p.21).
Le sexe et le genre sont au centre de ce travail, qui présente en fait un recueil darticles remanié. Pour Winkler, la priorité est de retrouver les postulats ou les conventions tacites qui régissaient les propos publics chez les anciens Grecs. Ce que les hommes disaient des femmes et deux-mêmes nétait, pour une bonne part, «quun pur et simple bluff» (p.25). Létude des femmes dans lAntiquité doit donc saccompagner dun examen tout aussi minutieux des hommes et de la manière dont ils construisaient leur identité de sexe et de genre. Cest pourquoi ce recueil commence par trois essais sur les hommes (Andres), qui forment la première partie de louvrage. Dans le discours androcentrique, parmi toutes les facettes à retenir du comportement sexuel, les Grecs insistaient de façon constante sur la domination et la soumission, mises en acte dans la pénétration phallique. Notre meilleur témoin qui fait lobjet du premier chapitre en est Artémidore, interprète des rêves, qui, précurseur dans ce domaine du bon docteur Sigmund, passa des années à étudier les significations sociales que les individus moyens assignaient à leurs rêves. Sa théorie et sa pratique de linterprétation font de lui un témoin unique des conceptions communes (Winkler inclut en annexe la traduction du texte dArtémidore sur les rêves érotiques).
Le chapitre suivant sintéresse à la supervision du comportement sexuel des hommes dans lAthènes classique, cristallisée autour de lopposition entre hoplites et kinaidoi (hommes passifs et efféminés). La rigueur de léthique sexuelle sappliquait ainsi individuellement aux citoyens lorsquils briguaient une charge politique à Athènes : chacun deux se soumettait alors à une enquête publique sur sa vie privée, y compris sur ses comportements sexuels, et traiter un adversaire politique de kinaidos équivalait à jeter le doute sur sa capacité à surmonter ses passions et donc à gouverner la Cité. Ce masque dissimulait néanmoins selon lauteur une attitude plus laxiste envers les attitudes réelles. Winkler sintéresse ensuite aux charmes magiques, qui regorgent de violentes images où lamant pratique une cérémonie dont le but est de faire en sorte que la femme quil désire brûle et souffre, jusquà ce quelle se donne à lui. Pourtant, le scénario latent suggère que cest lamant lui-même qui projette symboliquement sa propre détresse sur sa victime supposée. Dans un interlude de transition, lauteur passe ensuite de la pratique sociale à sa représentation dans la littérature, montrant comment, dans le Daphnis et Chloé de Longus, deux adolescents amoureux font très différemment leur éducation sentimentale à travers lexpérience de la violence sociale. Même si le texte est luvre dun homme, il introduit avec acuité la perspective de lhéroïne dans la socialisation érotique.
Cela nous amène tout naturellement à la seconde partie, qui aborde la question des modes de vie et des représentations des femmes (Gunaikes). Lentreprise est ici plus délicate car les sources sont plus ténues et la plupart du temps filtrées par la vision masculine. Il sagit de reconstruire la dignité et lautonomie restreinte des femmes grecques, sous-estimées aussi bien par les hommes grecs de lAntiquité que par les théoriciens modernes de la victimisation. La première étude sattache à la Pénélope dHomère, au moins aussi rusée que son mari «aux mille tours», puisquelle le dupe pour mieux sassurer quil sagit bien de lui. A travers elle, le poète semble rendre hommage au rôle de lépouse grecque, le plus souvent discrète et efficace, qui sait gérer son foyer en collaboration avec son époux. Les représentations que les femmes grecques se faisaient de leur propre expérience peuvent être envisagées à partir des poèmes de Sappho, qui contiennent les traces significatives dune perspective féminine sur la construction culturelle du genre. De plus, tout comme les communautés linguistiques minoritaires que lon oblige à être bilingues, la poétesse de Mytilène en comprend davantage sur les pratiques «dominantes» des hommes queux-mêmes nen comprennent sur la «soumission» des femmes.
Le dernier chapitre examine des rites religieux accomplis par des femmes en lhonneur dAdonis et de Déméter. Il tente de mettre au jour une autre compréhension des apports des hommes et des femmes à la perpétuation de la famille en étudiant le symbolisme de deux fêtes célébrées respectivement par les épouses des citoyens (les Thesmophories) et par les femmes en général (les Adonies). Winkler égratigne au passage ce quil appelle la perspective «masculiniste» et «patriarcale» (pp.376-377) de Marcel Detienne, coupable à ses yeux détablir une distinction nette entre les courtisanes et les épouses légitimes, qui recouperait strictement celle entre Adonies et Thesmophories. Il lui reproche surtout de penser que la signification de ces fêtes associe les hommes au travail productif et les femmes au plaisir éphémère. Winkler suggère le contraire : les femmes auraient perçu leur travail comme englobant et soutenant celui des hommes, dont la contribution à la production des enfants et des récoltes aurait été relativement brève et éphémère.
Le livre de Winkler, souvent provocateur, peut prêter à bien des controverses. On peut critiquer sa référence sans nuances à la «mentalité méditerranéenne» conçue comme inchangée dUlysse à Zorba. Sa charge contre Marcel Detienne est inutilement polémique, dautant plus que les deux auteurs se rejoignent dans une même dénonciation des interprétations ethnocentriques qui ont pendant longtemps dominé y laissant des traces jusquà nos jours la tradition des études classiques.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 20/02/2006 ) Imprimer
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