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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
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Poétiques spatio-temporelles en Grèce ancienne | | | Claude Calame Pratiques poétiques de la mémoire - Représentations de l'espace-temps en Grèce ancienne La Découverte - Textes à l'appui 2006 / 29 € - 189.95 ffr. / 321 pages ISBN : 2-7071-4798-2 FORMAT : 13,5cm x 22,0cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement élève conservateur à lEcole Nationale Supérieure des Sciences de lInformation et des Bibliothèques. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Cest à un concept bien abstrait que sattaque Claude Calame dans son nouveau livre. En effet, la réflexion sur les conceptions grecques du temps sest souvent déployée dans une perspective philosophique : temporalités circulaires, clôture structurale du monde du mythe, coupure entre le profane et le sacré, contraste entre léphémère humain et la permanence divine
Mais lauteur préfère une approche plus anthropologique, afin de savoir ce que les Grecs en pensaient eux-mêmes. Il apparaît que ceux-ci considéraient le déroulement du temps dans un espace précis et concret (donc bien loin des abstractions philosophiques !), dans lequel passé, présent et futur naviguaient entre mémoire poétique et pratique sociale. Les formes poétiques assumées par cette mémoire collective ritualisée reposaient chez les Grecs sur de remarquables facultés de création symbolique, entre narration et pratiques cultuelles.
Cette approche anthropologique sexplique aisément quand on sait que Claude Calame, après avoir été pendant longtemps professeur de langue et littérature grecques à lUniversité de Lausanne, est maintenant directeur détudes à lEcole des Hautes Etudes en Sciences Sociales à Paris, et pleinement membre du Centre Louis Gernet de recherches comparées sur les sociétés anciennes, fondé en 1964 par Jean-Pierre Vernant. Son étude se situe donc dans la lignée des travaux de Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet et Marcel Detienne, même sil prend parfois quelque peu ses distances par rapport à certaines de leurs conclusions, notamment les travaux de Vernant sur le mythe hésiodique des «races» (il préfère au reste parler des cinq «espèces humaines»).
Un premier chapitre pose les préalables théoriques de létude, ne négligeant pas douvrir la réflexion sur nos manières contemporaines de mettre en discours les concepts de temps et despace. A linstar de Marcel Detienne, l'auteur loue les mérites dun comparatisme rénové, qui doit se centrer davantage sur les différences et les contrastes que sur des similitudes qui ne peuvent être que le résultat de la construction formalisante de lanthropologue ou de lhistorien. La comparaison des manifestations culturelles et symboliques de la Grèce ancienne, soit avec celles dune civilisation historiquement voisine dans lespace et dans le temps, soit avec celles dune culture exotique moderne présentant dans ses traditions un profil analogue, est indispensable. Mais pour en animer la dimension critique et réflexive, la comparaison doit être nourrie par un regard oblique, en retour, sur nos propres pratiques culturelles. De là la nécessité dun «triangle comparatif et critique» (p.82) quil applique aux chapitres suivants, qui ont chacun pour objet une représentation discursive du temps dans sa logique propre et en relation avec lespace de son développement. Il procède également à chaque fois à un bref retour sur lun ou lautre des paradigmes qui, en sciences humaines, ont fortement influencé la recherche sur le monde grec ancien dans le cours des quatre ou cinq dernières décennies : structuralisme, études de genre, nouvel idéalisme philosophique et néo-mysticisme.
Il sintéresse tout dabord au «récit hésiodique des cinq espèces humaines», mythe de succession des âges (or, argent, bronze, héros, fer) quil associe à une pragmatique poétique de la justice, et qui a fait les délices détudes structuralistes quil nuance très fortement. Il éclaire le déroulement narratif du récit à travers une étude de lénonciation et de largumentation dans le texte Les Travaux et les Jours, recontextualisant ce discours au sein des deux autres qui lentourent : le récit de Pandora, et la fable de lépervier et du rossignol. Les comparaisons avec des références indo-européennes (Livre des conquêtes de lIrlande qui présente la succession catastrophique de cinq races) ou sémitiques (Daniel et le rêve vétéro-testamentaire de Nabuchodonosor) sont surtout intéressantes par les contrastes quelle présentent avec le récit hésiodique.
Le troisième chapitre a pour objet la fabrication du genre et de lidentité héroïque entre la légende (passé) et le culte (présent), à travers ce quil appelle la «création politique de Thésée» (p.143) par le poète lyrique Bacchylide. Il y expose les liens entre les relations sociales de sexe (bien mises en lumière par les gender studies) et les représentations spatio-temporelles. Il se livre à un essai danalyse sémio-narrative, avant de confronter le discours hellénique (renvoyant à des rites de passage) à linitiation tribale masculine des Iatmul et aux rites de puberté féminins des Abelam, sur les rives du Sépik, en Papouasie-Nouvelle Guinée. Le quatrième chapitre sintéresse aux régimes dhistoricité liés à des logiques oraculaires, à travers lexemple de la fondation de la cité de Cyrène, en Libye, colonie de Théra. Il étudie linscription dite Serment des fondateurs. Par ce texte épigraphique officiellement consacré dans un sanctuaire, il sagit pour la communauté des citoyens autant de se donner une représentation mémoriale de son passé que de réaffirmer institutionnellement sinon rituellement ce passé dans le présent de la cité pour en orienter le futur. Lintérêt est de réaffirmer une identité communautaire dordre temporel, mais aussi dordre spatial. La comparaison ne se fait pas avec dautres cultures, mais avec le texte dHérodote qui présente les deux versions, théréenne et cyrénéenne, du récit de la fondation de Cyrène, en insistant sur le rôle joué par loracle dApollon à Delphes. Se dégage de cette étude une conception du temps bien à lécart de la traditionnelle perspective philosophique, et bien éloignée des interprétations idéalisantes quelle na pas manqué de susciter.
Le dernier chapitre évoque les itinéraires rituels et initiatiques vers lau-delà, à travers une étude du temps et de lespace dans les lamelles dor. Ces extraordinaires documents, souvent retrouvés dans des tombes, renvoient généralement à des rituels dionysiaques, et ont parfois un peu trop hâtivement été qualifiés d«orphiques» par des auteurs cédant un peu trop facilement aux sirènes du néo-mysticisme. La comparaison se fait ici avec les représentations iconographiques des Enfers sur les vases apuliens, présentant Orphée mais aussi Dionysos charmant Hadès et Perséphone. Là aussi, laccent est mis plus sur les dissonances que sur les ressemblances dun type de document à lautre.
En conclusion, Claude Calame nous invite sagement à tenir dans le domaine des sciences humaines une position de «modestie relative» (p.298), tenant compte de nos propres insertions et repérages spatio-temporels. Un peu comme sil était conscient de ses propres schémas de pensée dhomme occidental du XXIe siècle, sans grande illusion, peut-être, sur la manière dont ses propres recherches et constructions intellectuelles seront reçues dans le futur
Peut être un nouveau Socrate qui saurait quil ne sait finalement pas grand-chose ?...
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 19/09/2006 ) Imprimer
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