| Habib Boularès Hannibal Perrin 2000 / 19.69 € - 128.97 ffr. / 299 pages ISBN : 2-262-01712-3 Imprimer
<i>Hannibal ad portas ! Tel est le cri de terreur quauraient poussé les habitants de Rome en 211 à lapproche de larmée carthaginoise commandée par Hannibal Barca, né en 247 avant J.-C. Lauteur de cette nouvelle biographie du général carthaginois voit en lui non seulement lincarnation du mythe du conquérant, mais surtout le dernier rempart des états-cités de la Méditerranée face à limpérialisme naissant et agressif de Rome. Mieux encore, il serait le premier héros tunisien de lHistoire, ce qui nest pas sans étonner, pour un homme qui aura passé moins de temps en Afrique quà guerroyer en Espagne et en Italie.
Non sans raisons, lauteur dénonce une vision des guerres puniques trop influencée par les auteurs latins ou favorables à Rome. La trace des écrits dHannibal et de ses deux biographes antiques, Sosylos de Lacédémone et Sélénos de Sicile, a été perdue. Lauteur tente donc, avec lapport des dernières études historiques et archéologiques (MHamed Hassine Fantar, Carthage, Approche dune civilisation, Tunis, 1993) de rendre justice à son personnage, mais aussi aux peuples écrasés par Rome et oubliés de lhistoriographie latine et occidentale.
Dans lintroduction et le premier chapitre, lauteur revient sur la naissance de Carthage, héritière de Tyr la phénicienne, sur son organisation politique et commerciale et sur les premières confrontations entre celle-ci et Rome. Le contentieux nest en effet pas né avec Hannibal, mais en 284 avant J.-C., quand Carthage se trouve entraînée dans une guerre contre Rome en Sicile à la suite de la défaite de son allié Hiéron de Syracuse. Dans cette guerre, Amilcar, père dHannibal, dirige larmée carthaginoise. En 241, Carthage, battue par abandon, acceptera de signer un traité par lequel elle perd ses comptoirs de Sicile, Sardaigne et Corse. Cette première guerre naura été que la préfiguration de la suivante.
Partant de lEspagne méridionale, Hannibal franchit les Pyrénées et les Alpes en 218. Arrivé en Italie avec la moitié de ses troupes, il écrase les légions romaines au Tessin et à la Trébie ( pour une étude plus militaire des campagnes dHannibal, voir Histoire militaire des guerres puniques, par Y. Le Bohec, Editions du Rocher, 1996). Mais ses deux victoires les plus célèbres sont celles remportées en 216 à Trasimène et Cannes. Alors quHannibal tente de se maintenir en Italie, Carthage envoie des armées reprendre la Sicile et défendre ses comptoirs Mal lui en prend, elles sont écrasées en Sicile en 211, puis en Espagne en 206. En 204, les légions romaines menées par Scipion débarquent en Afrique. En 203, Hannibal doit quitter lItalie pour porter secours à Carthage. En vain, son armée est battue à Zama en 202. Lannée suivante, Carthage doit ratifier une paix humiliante : elle perd lEspagne et sa flotte de guerre, brûlée sous ses murailles. Elle doit verser des indemnités de guerre pendant dix ans et ne peut plus envoyer son armée hors dAfrique. Dans cette guerre, Hannibal naura rien gagné, il aura perdu plusieurs de ses parents ainsi que la colonie créée par son père en Espagne.
Dun physique résistant, dormant peu, habitué à la vie des camps dès lâge de quatorze ans, Hannibal est un stratège prudent mais décidé, choisissant le terrain de ses batailles et pratiquant une guerre de terres brûlées pour neutraliser certains théâtres dopérations de la péninsule. Cultivé, parlant plusieurs langues et marié à une Ibère, il est aussi un fin diplomate qui sait rallier à lui certains alliés latins de Rome.
Les historiens ont fait justice des accusations de perfidie et de cruauté proférées par certains de ses ennemis. Hannibal a commis cependant quelques erreurs dont la plus grave est davoir cru pouvoir entraîner Carthage dans une guerre nécessaire face à lappétit territorial romain, mais dont celle-ci ne voulait pas. On relèvera aussi ses échecs répétés dans les opérations de siège des villes dItalie et sa défaite finale à Zama. Rentré à Carthage, Hannibal est élu à la haute magistrature en 196. Soucieux dembellir la ville et de diminuer le pouvoir du Sénat dominé par les familles commerçantes, il est adulé du peuple, mais doit sexiler en 195. Poursuivi par la haine des Romains, il se suicidera en 183.
Carthage, puissance économique multinationale avant la lettre, vivant par et pour son commerce, nétait ni moralement ni démographiquement prête pour une lutte entre puissances. Entravée par lopposition entre commerçants et conquérants, le pouvoir politique carthaginois soutenait peu et mal ses chefs militaires commandant des armées cosmopolites où les Puniques ne représentaient quune minorité.
En face, Rome, avec son armée de citoyens, mobilisa toute son économie dans une politique impérialiste de domination, dabord de ses voisins, dont elle fit ses alliés, volontaires ou non, puis de lensemble des peuples de la Méditerranée. Rome bâtissait un Empire, devenant une puissance économique et maritime au fur et à mesure de ses conquêtes, alors que Carthage tentait dentretenir des comptoirs et des routes commerciales.
Lauteur décrit comment le mouvement décrasement des royaumes et des cités de Méditerranée par Rome continue après la défaite carthaginoise, suivant le processus contre lequel Hannibal avait tenté de sopposer. Les tribus gauloises du Nord de lItalie écrasées en 199, cest ensuite le tour de la Macédoine en 197, de lEmpire séleucide en 188, de lEspagne à partir de 147 et de Carthage elle-même en 146. Lannée où Scipion Emilien rase Carthage, dautres troupes romaines rasent Corinthe en Grèce. Carthage renaîtra pourtant de ses cendres. LAfrique donnera même un empereur à Rome, Septime Sévère (146-211 après J.-C.). Et Rome, devenue une puissance commerçante défendue par des armées mercenaires, subira le sort de Carthage six siècles après celle-ci.
Plus quune biographie, Habib Boularès nous livre donc ici une réflexion sur lhistoire de Carthage à travers Hannibal, acteur-clé de lhistoire de lécrasement des royaumes et cités de Méditerranée par la puissance romaine.
Martin Barros ( Mis en ligne le 09/08/2000 ) Imprimer | | |