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| Albert Soboul Les Sans-culottes Seuil - Points histoire 2004 / 7 € - 45.85 ffr. / 256 pages ISBN : 2-02-005255-5 FORMAT : 11x18 cm
L'auteur du compte rendu : Cécile Obligi est l'auteur d'un mémoire de maîtrise d'histoire intitulé Images de Jean-Sylvain Bailly, premier maire de Paris, 1789-1791. Imprimer
Lobjectif de la magistrale étude de Soboul est de tenter de cerner la composition sociologique, les aspirations, les pratiques et les idées politiques et sociales de ceux que lon a appelés les «sans-culottes» sans jamais les définir clairement.
Le sans-culotte est reconnaissable à son apparence : il ne porte pas lhabit («sans-culotte»), mais une veste courte nommée «carmagnole», et vient à la section coiffé du bonnet rouge (emblème de la liberté que portaient les esclaves affranchis). Son comportement est lui aussi bien défini : il est bon père, bon mari, bon camarade, prêt à partir se battre aux frontières pour défendre sa patrie (la femme étant cantonnée dans un rôle domestique). De plus, il est utile car il possède un savoir-faire ouvrier ou artisanal. De manières simples, il tutoie ses camarades et nhésite pas à jurer.
Le cadre de la vie du sans-culotte est la section. Paris avait été découpé en 60 districts pour les élections aux Etats généraux de 1789, mais les Parisiens ont continué à se réunir dans ces districts après ces élections. Après le règlement du 21 mai 27 juin 1790, les 60 districts sont remplacés par 48 sections qui doivent en théorie uniquement servir de cadre aux élections. Les sections se réunissent malgré tout régulièrement (la permanence des sections est une des revendications des sans-culottes) et demeurent comme les précédents districts des lieux de vie politique. La majeure partie des procès verbaux de ces séances est perdue mais ce quil en reste permet de dire quenviron 5 à 10 % des citoyens actifs participent à ces réunions. La participation varie en fonction de lenjeu, mais il apparaît que les militants sont peu nombreux et que les cadres dirigeants changent peu.
Soboul est le premier à sêtre intéressé précisément à la composition sociale du mouvement populaire, cest lui qui a montré quil sagissait de petits patrons, dartisans, de boutiquiers, des «petits bourgeois» en somme
Les sans-culottes ne se définissent pas positivement, mais par opposition à dautres groupes sociaux. Lennemi principal du sans-culotte est «laristocrate» qui désigne en fait tout adversaire, quil ait été noble ou non. Les «aristocrates», ironiquement qualifiés d«honnêtes gens», sont les riches, les rentiers, ceux qui manifestent de lorgueil ou du mépris pour les sans-culottes.
Les aspirations sociales des sans-culottes manquent de cohérence et de précision mais peuvent cependant être décrites. Légalité est un thème majeur de revendication ; le moyen daboutir à cette égalité (notamment «légalité des jouissances») est simple : il suffit de retirer aux riches ce quils ont de «superflu». Cette idée, souvent répétée, ne suppose absolument pas de remise en cause de la propriété : les sans-culottes, eux-mêmes propriétaires, sont très attachés à ce principe. Leur objectif, dans ce domaine comme dans dautres, est la «limitation» afin de garantir une juste répartition. Les revendications portent dabord sur lalimentation (le pain, la viande et le vin) : on a souvent souligné que les sans-culottes étaient soudés par la faim. Lun des autres points de friction récurrents est le montant des loyers.
Si les idées en matière sociale sont assez floues, les buts et pratiques politiques sont en revanche assez clairement définis. Cest cet aspect qui marque, daprès Soboul, loriginalité de ce groupe, quil considère comme le «moteur de la Révolution». Les sans-culottes sont attachés à la souveraineté populaire et donc à labolition de la distinction entre citoyens actifs (seuls détenteurs du droit de vote) et passifs ; ils la décrètent dailleurs en juillet 1792, avant labolition officielle consécutive au 10 août. Ils déduisent de ce principe le droit de participer à lélaboration des lois (par lintermédiaire de nombreuses pétitions) mais aussi de contrôler, et éventuellement de révoquer les élus. La séparation des pouvoirs est une idée qui leur est étrangère. Lultime conséquence de la souveraineté populaire telle que la conçoivent les sans-culottes est le droit à linsurrection. Les sans-culottes sont donc armés (la pique en est devenue le symbole) et ne rejettent pas la violence comme moyen daction. Chaque section possède plusieurs compagnies (en fonction de son nombre dhabitants), une compagnie étant composée de 126 hommes.
La pratique politique des sans-culottes est imprégnée de deux principes : la publicité et lunité. Les assemblées sont publiques, et les votes se font à haute voix. Peu à peu, simpose la pratique du vote par acclamation et du vote par assis ou levés, peu propices à lexpression des opinions dissidentes. Car lunité est une obsession du mouvement sans-culotte ; ainsi les pétitions sont toujours collectives. Lunité se fait au moyen de la correspondance entre les sections, ainsi que de la fraternisation. Soboul souligne que lentraide et le partage règnent entre eux. Mais lindifférence est insupportable au sans-culotte ; lindifférent est immédiatement suspect.
Soboul montre que la bourgeoisie jacobine a utilisé le mouvement sans-culotte pour parvenir à ses fins, même si les sans-culottes ont parfois réussi à lui imposer des mesures dont elle ne voulait pas (notamment le maximum). Mais pour l'auteur, le gouvernement révolutionnaire, installé grâce à laide des sans-culottes, est incompatible avec lexercice de la démocratie sans-culotte. Cest la raison pour laquelle elle a ensuite cherché à sen débarrasser en réduisant ses possibilités dactions. La disparition des sans-culottes sexplique donc à la fois par son divorce davec la bourgeoisie jacobine, par la professionnalisation des cadres sectionnaires, de plus en plus inféodés au pouvoir, et tout simplement par lessoufflement du mouvement. La fin de leur influence est symbolisée par leur désarmement après les émeutes de germinal et de prairial.
Cette étude de Soboul reste un classique. Elle reflète très nettement les convictions politiques de son auteur qui cherche à chaque chapitre une inexistante «conscience de classe». Ces quelques lignes tirées de la conclusion illustrent bien sa pensée : «Formée déléments divers, ne constituant pas une classe et donc dépourvue de conscience de classe, il manqua toujours à la sans-culotterie parisienne, malgré quelques timides tentatives de coordination, un instrument efficace daction politique : un parti strictement discipliné et pour cela, reposant sur un recrutement de classe comme sur une sévère épuration.» (p.240)
Cette réédition gagnerait probablement, presque cinquante ans après la rédaction de la thèse de Soboul, à être précédée dune introduction précisant le contexte dans lequel elle a été écrite, et faisant le point sur les apports dun travail qui reste aujourdhui une référence.
Cécile Obligi ( Mis en ligne le 24/11/2004 ) Imprimer
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