| Frédéric Chauvaud Jean-Claude Caron Collectif Les Campagnes dans les sociétés européennes - France, Allemagne, Espagne, Italie (1830-1930) Presses universitaires de Rennes - Histoire 2005 / 20 € - 131 ffr. / 270 pages ISBN : 2-7535-0172-6 FORMAT : 15.5 x 22 cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Vertu des questions de concours, elles amènent nombre de publications sur le sujet du jour : manuels synthétiques, colloques dopportunité, tables rondes problématisées
bref, elles offrent à des chercheurs loccasion, pour un temps assez bref, de proposer une synthèse des travaux existants et des pistes explorées, ainsi quun point de vue sur une historiographie. On quitte ainsi le cercle des spécialistes pour un public peut être moins critique mais plus exigeant, celui des candidats. Et actuellement, ce sont les campagnes qui sont à lhonneur avec la question au programme du CAPES et de lagrégation 2005/2007 : les campagnes dans les évolutions sociales et politiques en Europe, des années 1830 à la fin des années 1920 : étude comparée de la France, de lAllemagne, de lEspagne et de lItalie. Dans la foulée de nombre déditeurs, les Presses universitaires de Rennes profitent de loccasion pour publier sous la forme dun ouvrage de synthèse un ensemble darticles émanant de divers spécialistes universitaires français et étrangers sur la question, comme un état des lieux de la recherche. Précisions demblée quil ne sagit pas là dun manuel, mais dun complément sous forme darticles.
Demblée, louvrage démarre par une introduction programmatique. La démarche est nécessaire : cet exposé problématique permet de défricher la question et la manière de la comprendre. Définition des termes (la «campagne», le «paysan» et ses représentations, les «sociétés rurales», «modernisation», «émancipation») et articulation des divers niveaux danalyse (les plans local, régional national et européen) : tout cela permet aux étudiants comme aux enseignants de saisir les enjeux du sujet. La dimension comparatiste entre les diverses nations paysannes, autre axe majeur de la question, est également envisagée, mais de ce point de vue, louvrage laisse un peu sur sa faim (cest du reste le cas pour la plupart des publications sur la question). La bibliographie finale, classée par pays et par thèmes, relativement développée tout en restant accessible, constitue lannexe indispensable à ce qui sapparente à une conférence inaugurale.
La première partie de louvrage traite de lhistoriographie de la question : figure imposée pourrait-on dire, mais qui ne doit pas virer à la bibliographie commentée. A cet égard, P. Cornu et J-L. Mayaud ont choisi une approche thématique originale en sintéressant à une notion, centrale, lagrarisme, dans la France et lAllemagne de lère industrielle. Il sagit dune réflexion au confluent de lhistoire sociale et de lhistoire politique, dans la foulée des travaux pionniers de P. Barral, sur la définition même de la «campagne» comme objet historique, sociologique et, somme toute, scientifique
après un discours assez convenu sur la «question rurale», sa légitimité scientifique et son intérêt pédagogique (ce besoin de toujours justifier les questions de concours par une hypothétique «attente du public» devient risible, quand on connaît les modalités du choix des questions). Si le jargon sociologique est souvent au rendez-vous (sans les références bibliographiques adéquates), la réflexion est utile et illustre un premier rapport des campagnes à lEtat comme à la modernité politique.
Les articles suivants, portant sur les autres pays au programme, sont plus classiques. Une déception pour lAllemagne, pour laquelle Mme Aldenhoff-Hübinger se contente dune banale liste douvrages en allemand, sans esquisser le moindre raisonnement historiographique. Par contre, lhistoriographie italienne est fort bien décortiquée dans larticle de Simone Visciola qui fait le point avec efficacité pour le public français.
Une deuxième partie sattaque au grand sujet de la modernisation des campagnes, modernisation envisagée principalement de manière politique : larticulation entre le local et le national, le processus de politisation, lidéal réformiste dans lEspagne libérale et enfin, comme un aboutissement, lirruption de la guerre et les bouleversements de laprès-guerre. Les articles se complètent : si N. Petiteau traite surtout du premier XIXe siècle et ne pousse guère au-delà des années 1830, elle introduit bien le bel article de L. Le Gall, mise au point à la fois historiographique et problématique sur la notion de politisation en partant des travaux de M. Agulhon, et qui rendra bien des services. Le pendant espagnol, esquissé par Ramon Villares, entre dans le vif du sujet (et dautant plus utilement que les références espagnoles en langue française sont rares) mais il suppose une certaine connaissance du XIXe siècle espagnol. Enfin, larticle dÉric Kocher-Marboeuf, en connexion avec le sujet précédent sur les guerres, est lun des plus stimulants, en ce quil esquisse une synthèse sur trois pays, autour dun thème, et dune période, celle de la Grande Guerre et des années 20 : Les campagnes dans les sociétés européennes (France, Italie, Espagne, 1914-1929). La présentation ne sattarde par sur les faits, mais sintéresse aux conceptions, aux représentations de la guerre et de laprès-guerre, avant délaborer un bilan, pas forcément négatif, de la Grande Guerre des paysans.
Dans un troisième temps, louvrage sintéresse aux conflits, et, plus généralement, aux rapports sociaux au sein de la communauté rurale. Ainsi, F. Chauvaud esquisse une riche typologie des conflits dans la société rurale, du «conflit souterrain» jusquà la crise de 1907, point dorgue de lopposition entre lEtat et les campagnes. J.C. Farcy livre, dans un article sur la jeunesse au village, un utile résumé de son petit ouvrage de 2004 sur la question (La Jeunesse rurale dans la France du XIXe siècle). Enfin, lanticléricalisme au village étudié par J. Grévy permet daborder, à la marge, la question religieuse au village, étrangement absente en tant que telle est-ce leffet dun rejet idéologique ? - mais que lon retrouve dans de nombreux articles (le curé de campagne est malgré tout une valeur sûre de la société rurale). Larticle, très synthétique, évoque les rapports entre religion «officielle» et religion «populaire», théorisant ainsi une spécificité des pratiques religieuses («la foi des humbles») dans lespace rural, et la politisation progressive des identités religieuses comme des consciences.
A partir de quand estime-t-on quun ouvrage de concours est indispensable ? Celui-ci nest pas la synthèse européenne attendue (rêvée même) par les candidats aux concours, mais il livre des analyses ponctuelles, certaines stimulantes, dautres plus attendues. Il semble donc nécessaire de le connaître, de le pratiquer et de savoir à quel moment, tant à lécrit quà loral, il convient de lutiliser, comme un bon colloque sur ces questions. Quant aux amateurs dhistoire rurale et aux chercheurs en ce domaine, louvrage les intéressera forcément, comme une somme de travaux dans un secteur qui semble tout de même un peu délaissé.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 27/04/2006 ) Imprimer
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