|
Histoire & Sciences sociales -> Moyen-Age |
| Laurence Harf-Lancner Le Monde des fées dans l'Occident médiéval Hachette - La Vie quotidienne 2003 / 20 € - 131 ffr. / 286 pages ISBN : 2-01-235418-1 FORMAT : 14x23 cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne (mémoire sur Les représentations du féminin dans les poèmes dHésiode) et dun DEA de Sciences des Religions à lEcole Pratique des Hautes Etudes (mémoire sur Les Nymphes dans la Périégèse de la Grèce de Pausanias). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia, il est actuellement professeur dhistoire-géographie. Imprimer
Plus personne, de nos jours, ne croit aux fées, y compris les jeunes fans de Harry Potter ou du Seigneur des Anneaux. Au Moyen-Âge, au contraire, les enfants nétaient pas les seuls à croire en lexistence de ces êtres merveilleux. Dans un univers mental entièrement étranger au nôtre, dans sa conception du divin et sa relation au sacré, la question posée par ces figures fantastiques ambiguës est moins celle de leur existence que celle de leur signification, de la place que peut attribuer la religion chrétienne à ces figures survivantes de cultes anciens. Ce nest pas la réalité du surnaturel qui pose problème, cest son interprétation.
Laurence Harf-Lancner, professeur de littérature du Moyen Âge à luniversité de la Sorbonne Nouvelle, avait déjà écrit un ouvrage sur Les fées au Moyen Âge (Champion, 1984, réédité en 1991), sous-titré Morgane et Mélusine. La naissance des fées. Elle a aussi édité les Lais de Marie de France (Le Livre de poche, 1990) et Le Roman de Mélusine de Coudrette (GF-Flammarion, 1993). Elle est donc une incontestable spécialiste du monde des fées et nous offre, dans la célèbre collection «La Vie Quotidienne» des éditions Hachette, un nouvel ouvrage sur ses créatures de prédilection.
Les fées telles que nous les connaissons sont nées au Moyen-Âge. Elles sont les héritières de deux sortes de puissances païennes. Il y a tout dabord les Moires grecques, équivalentes des Parques romaines, déesses du Destin, qualifiées dans certains textes de fata ou fatae (de Fatum, le «Destin» en latin), elles-mêmes proches, de par leurs fonctions, de divinités germaniques comme les Nornes ou les Dises. Les fées ont aussi beaucoup emprunté aux Nymphes helléniques, ces «femmes de la forêt» (sylvaticas) qui recherchent lamour des mortels. On retrouve dailleurs là, avec lunion dun mortel et dun être surnaturel, un conte-type du folklore universel (que Dumézil avait qualifié en son temps de «mélusinien», lorsquil analysait lhistoire de lApsara Urvashî).
Les fées médiévales se trouvent partagées par ce double héritage, qui distingue des «fées marraines» et des «fées amantes». Elles incarnent, dans limaginaire des hommes dalors, bien des fantasmes liés à la représentation de la femme et de la féminité.
Le premier chapitre sattache à létude des fées marraines. Elles fixent le destin du nouveau-né, et il est important de sattirer les bonnes grâces de ces susceptibles déesses en préparant un bon repas à leur intention. La littérature du Moyen-Âge a conservé ainsi à la fin du Roman de Perceforest (XIVe siècle) lune des premières versions du conte de La Belle au Bois Dormant : la belle Zellandine est victime dun sommeil magique dû à la malédiction dune fée qui avait peu apprécié de ne pas avoir de couteau lors du repas fêtant la naissance de lhéroïne.Le deuxième chapitre sintéresse aux fées amantes, images du désir. Les contes merveilleux dessinent ici une nouvelle typologie des fées, distinguant la femme fantastique qui soumet lhomme aux lois de son désir, le ravissant dans un autre monde (et dont le modèle est Morgane, maîtresse du «Val sans retour» ou de la mystérieuse île magique dAvalon) et la femme fantastique qui vient vivre parmi les mortels, «comme une femme naturelle». Mélusine en constitue le modèle ; cest une puissance «maternelle et défricheuse», bien plus positive que la fée Morgane, car bienveillante et civilisatrice, même si sa transformation en serpente la rend fort inquiétante. La bonne Dame du Lac du cycle arthurien, nourrice de Lancelot, est elle-même fort ambiguë. Elle était autrefois une demoiselle chasseresse qui a acquis sa nature féerique en trompant lenchanteur Merlin, qui était amoureux delle. Par la suite, elle enlève son fils à la mère du meilleur chevalier dArthur pour lélever dans son royaume magique, mais elle lenvoie finalement servir le roi après lavoir formé.
Le monde des fées est peuplé de bien dautres créatures, notamment masculines. Certaines sont effrayantes, tels le géant, qui incarne les forces brutales, ou l «homme sauvage» dont Merlin, le «fils du Diable», représente un modèle dans certaines versions de sa légende, ou encore les revenants de la terrible armée des morts, la mesnie Hellequin, sans parler des loups-garous qui manifestent une séparation pas toujours très claire entre les règnes de la nature. Dautres sont plus inoffensives, comme les petits êtres fées : les nains, les lutins, les gobelins, les elfes ou autres follets.
Tous évoluent dans un univers qui est à la fois très différent et très voisin du nôtre. La forêt et leau constituent des lieux de passage vers cet autre monde, où le temps lui-même est magique. Mais les deux univers doivent rester séparés, doù le caractère éphémère et secret des communications qui sétablissent parfois entre lun et lautre.
Le dernier chapitre évoque larrière-plan idéologique qui a permis la transmission des récits mettant en scène les fées et les êtres féeriques. Le premier prisme est celui des clercs, qui ne voient dans ces croyances que des survivances de cultes idolâtres : les fées et leurs comparses sont intégrés à la foule des démons ; elles sont donc satanisées. Une lecture ecclésiastique plus rationaliste rapproche les fées de sorcières ; elles ne sont donc plus que des mortelles qui ont acquis leur art magique par des moyens peu recommandables. Mais les clercs écrivent aussi pour le compte de seigneurs avides de beaux romans daventures ; ils intègrent alors le monde des fées à la nouvelle culture laïque et aristocratique qui sépanouit dans la littérature en langue vernaculaire. On est là en présence du second prisme idéologique : plusieurs lignages féodaux se dotent même de la gloire ambiguë dun ancêtre surnaturel (tels les Lusignan prétendant descendre de Mélusine). Dans ce cadre, les fées sont des puissances bien plus recommandables ; elles réactualisent la nécessité pour les élites de se doter dune ascendance glorieuse, supérieure à celle des autres humains.
La lecture de louvrage, fort stimulant, donne envie de pousser un peu plus loin létude comparative des fées du Moyen-Âge occidental avec dautres types de puissances proches dans dautres cultures : les Nymphes grecques, les Néraides byzantines et néo-helléniques, les Rosanicy ou les Rusalki du monde slave, sans parler des Apsaras indiennes. Le rapport de la féminité (avec ce quil faut de charge érotique) et de la maternité avec des éléments naturels (forêt, eaux
), le thème du passage et de la médiation mériteraient un plus ample examen, mais il faudrait aussi sattacher à létude des différences (que Marcel Detienne appelle les «dissonances cognitives») et voir ce quelles pourraient nous apprendre sur les systèmes respectifs de représentations de ces diverses cultures.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 16/02/2004 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Le Cabinet des fées de Elisabeth Lemirre | | |
|
|
|
|