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Charlemagne : entre histoire et légende | | | Céline Bathias-Rascalou Charlemagne et l'Europe Vuibert - Instants d'Histoire 2004 / 18 € - 117.9 ffr. / 298 pages ISBN : 2-7117-4427-2 FORMAT : 16x24 cm
L'auteur du compte rendu : Historienne et journaliste, Jacqueline Martin-Bagnaudez est particulièrement sensibilisée aux questions dhistoire des religions et dhistoire des mentalités. Elle a publié (chez Desclée de Brouwer) des ouvrages dinitiation portant notamment sur le Moyen Age et sur lhistoire de lart. Imprimer
Au fait, pourquoi «Charlemagne» ? De son vivant, aussi laudatifs queussent pu être les qualificatifs adressés à la personne de Charles, celui qui fait de lui «le Grand» est inconnu. Il napparaît quà lépoque de son petit-fils, témoignage incontestable de la légende qui commence à entourer le plus célèbre des princes Pippinides. Et encore nest-il dû quà la formulation ambiguë du titre donné par Eginhard au récit de la vie de lempereur : Vita Karoli Magni Imperatoris. Selon que lon place la respiration avant ou après le Magni, on désigne Charles-le-Grand
ou seulement le grand-empereur. Déjà, on entre dans une légende qui na pas quitté la personne et luvre dun personnage dont on ne connaît même pas avec certitude le lieu, la date de naissance, ni lascendance maternelle. On sait, par contre, que cet athlète vigoureux, ce chef de guerre courageux sest toujours montré dune grande curiosité intellectuelle, bien que peu instruit.
Disons-le demblée, C. Bathias-Rascalou se propose de guider avec aisance son lecteur dans lhistoire événementielle et dynastique dune famille dont lascension débute, à lépoque de Dagobert (début du VIIe siècle), au service des rois Mérovingiens ; où ses représentants sillustrent alors dans la fonction de «maires du Palais». Lauteur a quelque mérite à démêler les écheveaux de cette histoire si compliquée : luttes dinfluences, haines fratricides, meurtres, complots, guerres, habile usage de la diplomatie (jamais aussi bénéfique que lorsquil sagit de sappuyer sur la papauté). A chaque décès dun chef de famille en place, les partages, obligés par la coutume successorale, remettent en question tout lacquis. Lauteur raconte cette histoire complexe et souligne, à juste titre, le symbole fort que va devenir, à partir de 751, la désignation royale par onction sacrée. Le règne de Charles apparaît en fait comme une parenthèse dans ce déroulement compliqué ; les mêmes causes produisant les mêmes effets, ses descendants iront saffaiblissant jusquà être éliminés en 911.
Mais si le récit des événements occupe une grande partie du livre, son propos fondamental nest pas là. Bien plutôt, il sagit de déterminer quelle place le grand empereur tient dans lhistoire de lEurope. À juste titre, ne cédons pas, suivant en cela la mise en garde de lauteur, à la tentation de lanachronisme. LEurope en question nest pas celle des XXe et XXIe siècles. Mais les pages synthétiques les plus riches de ce livre (on les souhaiterait encore plus développées), en dernière partie, suivent le devenir et les réutilisations dun Charlemagne idéalisé, promu au rang de symbole au long des siècles et jusquà lépoque nazie.
Quelques exemples suffisent à en souligner la richesse. Ce sont, en France, les Capétiens qui recherchent en alliance matrimoniale des descendantes carolingiennes, et font proclamer par leurs juristes que le roi bien quissu dune autre dynastie est «empereur en son royaume». Ce sont peut-être surtout les regalia, ces fameux joyaux utilisés pour le sacre, qui sont censés être héritage de Charlemagne. Napoléon Ier lui-même sen souviendra en 1804. En Allemagne, Aix, la ville capitale où repose lempereur légendaire, devient la ville de référence jusquau XVIe siècle. Peu importe aux poètes et écrivains du XIXe siècle lascendance austrasienne des Pippinides : le héros est pensé comme Français. LAllemand Frédéric-Barberousse, au XIIe siècle, a fait de son ancêtre supposé un saint, célébré le 28 janvier, jour de sa mort ; et même si lÉglise na jamais avalisé cette distinction, la dévotion à saint Charlemagne fut longtemps très à lhonneur dans les milieux étudiants. Quant aux célèbres chansons de geste célébrant les exploits des preux de Charlemagne, est-il plus bel exemple de récupération quand on sait que, nées à lépoque des croisades, elles substituent les Sarrasins aux adversaires de fait combattus par Charles ?
Au total, la synthèse présentée ici par C. Bathias-Rascalou constitue une étude honnête, consciencieuse (la bibliographie comporte les bonnes références, toujours en langue française) et sadresse à un large public cultivé. On appréciera la clarté de lexposé, soulignée par des sous-titres structurant bien la pensée. Les cartes qui lillustrent sont simples, mais démonstratives. Tout au plus pourra-t-on regretter labsence totale dune illustration qui serait venu égayer les pages (au demeurant peu originales) concernant la «renaissance carolingienne».
Lauteur a bien mesuré, en tous cas, le danger quil y aurait à faire du personnage le fondateur dune situation postérieure et totalement anachronique. Quil ait fédéré, de son temps, certains peuples européens autour de lÉglise latine, cest évident ; quil ait suscité un épanouissement culturel répandu parmi toute lEurope du début du IXe siècle, nul doute. Quon puisse lériger en créateur dune Europe politique, voilà qui va trop loin.
Jacqueline Martin-Bagnaudez ( Mis en ligne le 14/04/2005 ) Imprimer
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