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Histoire & Sciences sociales -> Moyen-Age |
| Michel Zink Nature et poésie au Moyen Age Fayard 2006 / 22 € - 144.1 ffr. / 274 pages ISBN : 2-213-62882-3 FORMAT : 15,5cm x 23,5cm
L'auteur du compte rendu : Professeur de Lettres Classiques dans les Alpes-Maritimes, Sylvain Roux est l'auteur, chez LHarmattan, de La Quête de laltérité dans luvre cinématographique dIngmar Bergman Le cinéma entre immanence et transcendance (2001). Imprimer
Nous autres, contemporains, habitons désormais un technocosme où les artéfacts ne cessent de prendre la place du donné. Lhomme de lextrême modernité, à la fois prométhéen et démiurgique, sest non seulement rendu, selon la formule cartésienne, «comme maître et possesseur de la nature», mais il prétend de surcroît se passer dun réel trop imprévisible dans son altérité à partir dune artificialisation croissante de lunivers.
Cest pourquoi, à lère prosaïque de léclipse de la nature, louvrage de Michel Zink, Nature et Poésie au Moyen Age, constitue une enquête aussi passionnante quérudite qui dépasse son cadre détude pour éclairer magistralement notre situation présente. Redécouvrir la représentation médiévale de la nature, cest aussi prendre conscience de notre propre sensibilité à lêtre naturel en nous et hors de nous.
Dans son éminente Introduction, lauteur sattache à fonder la légitimité de son entreprise qui consiste à aborder la nature dans sa relation à la poésie à lépoque médiévale. Si la pensée de la nature englobe toute la philosophie de lAntiquité et du Moyen Age, que peut nous enseigner le langage poétique ? Cest que la poésie respecte la pudeur de la nature et sa propension à se cacher grâce au voile du sens figuré. Plus fondamentalement, ce qui fait question, cest la définition des mots eux-mêmes de «nature» et de «poésie» au Moyen Age. Michel Zink distingue clairement deux types de poésie. Dune part, la poésie cosmogonique, philosophique et théologique, de la nature créatrice ou créée Nature personnifiée et essentiellement conçue comme louvrière de Dieu et ordonnatrice par ses lois de la génération et de la corruptibilité du monde créé ; nature soffrant à la contemplation et à la compréhension comme un «livre du monde». Dautre part, lévocation poétique de la «belle nature» (prés, arbres, fleurs, oiseaux) qui occupe dans le lyrisme médiéval une place primordiale. La difficulté réside dans le fait que le mot «nature» na jamais, avant le XVIIe siècle, le sens de «belle nature». Cest dire que le lien entre la poésie de la nature créatrice et le lyrisme printanier ne va pas de soi. Pourquoi le Moyen Age ignore-t-il le sens moderne du mot «nature», alors que cette signification paraît être la seule à rendre compte de sa poésie ?
Certes, le premier courant emprunte au spectacle de la nature pour incarner le personnage de Nature et le second fait appel à la philosophie pour fonder la relation entre le spectacle de la nature et les sentiments. Certes, la notion de métamorphose permet la jonction des deux natures. Mais Michel Zink montre quil faut approfondir lappréhension médiévale de la nature si lon veut pénétrer le sens de lomniprésence des strophes printanières dans le champ poétique. La comparaison avec lapproche romantique de la nature révèle que le Moyen Age ignore, en fait, le spectacle de la nature et ne connaît que la participation à la nature. Jamais les évocations de la «belle nature» ne décrivent un paysage, mais elles suggèrent toujours un contact avec la nature. La nature médiévale est une puissance génératrice de toute la création ; cest pourquoi lhomme, qui dépend étroitement delle, qui est pleinement englobé par toutes ses manifestations, ne peut prétendre la contempler du dehors. La double nature de la poésie médiévale trouve sa source dans ce sentiment dimmersion dans le grand tout de la nature. La poésie théologique replace lhomme dans le plan de la création, et la poésie, attentive aux sensations produites par les cycles naturels, exprime la soumission des créatures à la loi de lamour. Puisant dans la littérature mythologique de lAntiquité et dans limaginaire chrétien, la poésie médiévale de la nature se fonde sur lidée que cette nature est le livre où se lit la présence de Dieu : cest pourquoi le merveilleux du Moyen Age nest déchiffrable quà partir de la cosmologie chrétienne.
Tout louvrage de Michel Zink sorganise à partir de cette élucidation du mot «nature» dans ses multiples acceptions médiévales. Ainsi, il nous propose une magnifique analyse du thème de la tempête depuis les textes de Boèce jusquau Tristan de Thomas. Lenquête sur les strophes printanières dans la littérature lyrique insiste sur lidée du changement comme essence fondamentale de la nature. Ces considérations sur le caractère métamorphique de la nature conduisent lauteur à mettre en évidence non seulement le lien qui se noue dans la poésie du Moyen Age entre le temps qui passe et le temps quil fait, mais aussi lidentification de la poésie de la nature à une poésie de lamour et du désir. Sous ce nouvel éclairage, des uvres comme Le Conte du Graal, La Prise dOrange, Le Chevalier au Lion ou Le Roman de la Rose, prennent un sens inédit, et notre perception de la sensibilité médiévale sen trouve renouvelée et enrichie. Létude consacrée à la relation entre lamour et la mort chez Jean de Meun est lune des plus captivantes du volume en ce sens quelle révèle comment la pensée de la Nature sarticule avec le sujet central de luvre, qui est la lutte de la vie contre la mort.
Dans Nature et Poésie au Moyen Age, Michel Zink se montre à la hauteur de la périlleuse gageure qui consiste en la tentative dinitier le lecteur contemporain aux arcanes de lunivers (poétique) du Moyen Age. En commentant avec érudition et clarté des uvres largement citées dans leur version originale accompagnée dune traduction en français moderne, il nous fait non seulement redécouvrir et aimer la poésie médiévale dans toute sa richesse, mais il contribue, plus généralement et de façon originale, à mettre au jour lêtre-au-monde de lhomme du Moyen Age. Et un tel parcours ne se limite pas à nourrir notre compréhension dune époque révolue, mais a, de plus, limmense mérite dinterroger lhumanité de lindividu (post)moderne qui, lui, vit la disparition de la Nature comme celle de la «belle nature». Un livre qui nous en apprend autant sur nous-mêmes est assurément un grand livre.
Sylvain Roux ( Mis en ligne le 19/09/2006 ) Imprimer | | |
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