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Histoire & Sciences sociales -> Moyen-Age |
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Une obsession médiévale : la paix | | | Nicolas Offenstadt Faire la paix au Moyen Age - Discours et gestes de paix pendant la guerre de Cent Ans Odile Jacob - Histoire 2007 / 33 € - 216.15 ffr. / 502 pages ISBN : 978-2-7381-1099-2 FORMAT : 15,5cm x 23,5cm
Lauteur du compte rendu : agrégée dhistoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié LHistoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à lhistoriographie (Flammarion, 2002). Imprimer
Maître de conférences à luniversité de Paris-I, Nicolas Offenstadt est connu du grand public pour ses travaux dhistoire contemporaine sur la Première Guerre mondiale (Les Fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective, 1999 ; il a aussi dirigé Le Chemin des Dames, de lévénement à la mémoire,2004). Son domaine de spécialité est cependant le moyen âge (Oyé ! Haro ! Noël ! Pratiques du cri au Moyen Age, avec Didier Lett, 2003) et les éditions Odile Jacob publient aujourdhui sa thèse (soutenue en 2001) dans une édition allégée, complétée dun important appareil critique de notes, bibliographie, sources, chronologie, index des noms et des lieux, (pp.313-496). Quatre parties : «Paix de Dieu et paix des hommes», «Figures de pacificateurs et perturbateurs de paix», «Faire la paix : les cérémonies de la réconciliation», «De la paix des princes à la paix du royaume : discours de paix, pouvoir et lien social».
Pour étudier les pratiques de paix dans la société médiévale (secteur assez délaissé de lhistoriographie française), Nicolas Offenstadt choisit la période de la guerre de cent ans (des conférences dAvignon en 1344 à laccord de Péronne en 1468). Une période au cours de laquelle le royaume de France vit toutes les formes de guerre, y compris la guerre civile. L'auteur sappuie sur les méthodes classiques de lhistorien, mais fait largement appel à lanthropologie historique pour analyser rites et pratiques qui accompagnent les négociations et ensuite diffusent linformation aux sujets. Il se propose «de reconstituer une grammaire rituelle de la paix» (p.24). Contrairement aux idées reçues, la société médiévale est obsédée par la paix, dautant plus quelle sinscrit dans une culture religieuse chrétienne du Christ figure de paix et que sacré et politique sont liés de façon indissoluble. Pour analyser rites et rituels de paix, Nicolas Offenstadt se fonde sur «les actes de la pratique, les chroniques et la littérature politique» (p.26). Il lit ces sources médiévales en sefforçant aussi de les décrypter avec des excursions dans dautres périodes, lAntiquité ou la période contemporaine (cf. la référence à Brecht pour les discours de paix), ce qui est sans doute moins convaincant, même si Nicolas Offenstadt sen justifie : «les gestes de paix apparaissent assez fixes dans le temps» (p.24). Les gestes sont «fixes» sans doute mais quen est-il des sociétés ?
Cette réserve mise à part, les ouvertures que propose Nicolas Offenstadt sont fort intéressantes. Sa thèse : «la paix doit se lire comme un lien dynamique entre le pouvoir et les sujets, lien accompli par un ensemble dopérateurs dont il faut chercher à appréhender les modes daction» (p.28). La première difficulté consiste à articuler des valeurs chrétiennes qui se réfèrent constamment à un Dieu de paix, avec des pratiques de guerre conduites par des princes qui, chrétiens, se définissent aussi comme des «rois de paix». Ces rois doivent, tout en étant des chefs de guerre, mener en permanence des négociations de paix, éventuellement engager leurs corps même dans des duels, auxquels les historiens nont sans doute pas toujours accordé limportance quils méritent. A leurs côtés, les princesses jouent un rôle de médiatrice, la femme figure de paix est un emploi traditionnel (encore que là aussi le rapprochement que fait Nicolas Offenstadt avec Lysistrata et Aristophane ne soit pas très convaincant) ; ces princesses joueront encore ce rôle longtemps dans lhistoire (cf. par exemple la «Paix des Dames» au XVIe siècle). Autres arbitres de paix, dans un jeu diplomatique et politique subtil : les papes, qui interviennent en tant que souverains de lEglise (noublions pas le rôle constant que linstitution ecclésiastique joue depuis le Xe siècle pour instaurer paix et trêve de Dieu), mais sans négliger pour autant les intérêts de la monarchie pontificale. Face à ces artisans de paix : les fauteurs de guerre et au premier rang dentre eux, le diable, perturbateur efficace, qui inspire «lautre», ladversaire, lennemi : «les anglais boivent et transgloutissent le sang humain» (p.139).
Aussi, faire la paix relève dun long processus ritualisé dont on observe les temps forts : celui des négociations au cours desquelles il faut accepter pardon et oubli, et mettre en place des moyens de protection. La partie la plus novatrice de louvrage se trouve sans doute dans ces développements consacrés à l'analyse des rituels de réconciliation. Les lieux choisis pour le déroulement des cérémonies ne sont pas neutres mais au contraire fortement investis de symboles : cathédrales, abbayes, puis dans la seconde partie du rituel, des les lieux civils : hôtels de ville, maisons des consuls
avant que le prince nétablisse un lien fort avec ses sujets en faisant crier la paix dans le royaume sur les places publiques. Les sons accompagnent tous ces rituels : parole proférée solennellement du serment (bien que théoriquement lEglise interdise de jurer
). Serment que lon prête pour la période la plus ancienne sur les reliques, et ensuite plutôt sur les évangiles. Serments de diverses natures, qui engagent à différents degrés. Les cloches retentissent dans le royaume pour célébrer lévénement et avertir, les cris de joie explosent, à la mesure de limmense attente de paix que ressent lhistorien. Les cérémonies de réconciliation se déroulent selon des rituels complexes, jamais figés. Une fois la paix signée, il faut la faire connaître, et une diffusion est organisée dans tout le royaume, les archives lenregistrent. Le pouvoir ne néglige en rien ce moment de communication essentiel qui sadapte aux différents usages des régions. Il est essentiel dassocier en permanence les sujets aux rituels de paix, pour assurer à celle-ci des bases pérennes. On voit ainsi naître une opinion publique qui nest pas totalement dénuée dinfluence sur le pouvoir.
Dans une société du geste et du paraître, les signes de paix sont fondamentaux et mis en scène : baisers, banquets, échanges de cadeaux (de la vaisselle ou encore des animaux
), toujours accompagnés dun discours qui explicite les intentions. Tables ouvertes, dressées dans la rue, invitent chacun à se réjouir, des divertissements sont offerts à loccasion de ces fêtes de la paix. Et lorsque malgré tout la guerre reprend, le prince maintient son discours, le répète, incantation nécessaire pour persuader ses sujets de sa bonne foi, de son rôle de roi de paix. Incantation répétée que nont pas toujours entendue ni comprise les historiens ultérieurs qui lont lue en y voyant une trahison de la parole donnée, alors que Nicolas Offenstadt propose de lire la plutôt comme un discours de justification.
Concilier linconciliable, rendre les contradictions acceptables, au nom dun sens que nous ne lisons plus toujours de façon immédiate aujourdhui, tout ceci a justifié des efforts considérables de la part des différents acteurs de la société médiévale (princes, diplomates, hommes déglise, guerriers, simples sujets
), efforts plus ou moins efficaces. Efforts que na pas toujours reconnus la postérité en faisant souvent de la période médiévale une période de violences et de conflits, alors que les sources dépouillées et analysées par Nicolas Offenstadt témoignent de ce constant «bricolage» en faveur du retour de la paix. Laissons la conclusion à l'auteur : «En définitive, la paix des royaumes à la fin du Moyen Age nest ni une essence, ni une affaire de princes. Elle doit être lue et comprise comme un opérateur dynamique du lien social et de la constitution concurrentielle des identités politiques.»
Destiné plutôt à un public universitaire, Faire la paix au Moyen Age doit dépasser ce milieu un peu restreint, et toucher quiconque sintéresse au thème de la paix ; il a par ailleurs le mérite de sortir des images habituelles des XIVe et XVe siècles occupés par la seule entreprise de guerre et de montrer lingéniosité dont on a fait preuve pendant la guerre de cent ans pour chercher sans cesse des solutions de paix acceptables et en convaincre les opinions.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 20/11/2007 ) Imprimer
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