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Histoire & Sciences sociales  ->  Moyen-Age  
 

Le choc de la chose vue
Gil Bartholeyns   Pierre-Olivier Dittmar   Vincent Jolivet   Image et transgression au Moyen Age
PUF - Lignes d'art 2008 /  22 € - 144.1 ffr. / 195 pages
ISBN : 978-2-13-056765-3
FORMAT : 15cm x 21,5cm

L'auteur du compte rendu : Historienne et journaliste, Jacqueline Martin-Bagnaudez est particulièrement sensibilisée aux questions d’histoire des religions et d’histoire des mentalités. Elle a publié (chez Desclée de Brouwer) des ouvrages d’initiation portant notamment sur le Moyen Age et sur l’histoire de l’art.
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Que font dans les marges des livres de piété ces figures mêlant le grotesque au monstrueux ? Pourquoi les chanoines ont-ils choisi de s’adosser sur des miséricordes ornées, en plein chœur des églises, de motifs carrément obscènes ? À notre époque, on s’amuse à l’occasion de ces paradoxes, mais ces images paraissent surtout incongrues, elles dérangent, voire scandalisent, parce qu’elles vont au-delà de ce qui semble convenir à leur emplacement. Fine remarque pourtant : sur le plan théologique, le christianisme n’est-il pas en soi transgression, qui propose un dieu en trois personnes, une vierge qui enfante ?

Travaillant à trois mains, les anthropologues auteurs de ce court mais dense essai nous introduisent aux singularités de figurations que peu d’historiens ont cherché à expliquer. Leur cadre chronologique est étroitement délimité : entre le XIIIe siècle, époque qualifiée d’épanouissement de l’image, et le XVIe, période d’une codification normative consécutive au concile de Trente. Est pris en compte le sujet de l’image, et non le style, et sa réussite d’un point de vue artistique n’a évidemment rien à faire ici. Et c’est dans le monde des «frontières» (marginalia des manuscrits, quadrilobes des porches d’églises, objets d’usage courant liés au sacré) délimitant les sujets centraux des représentations, qu’ils entraînent le lecteur.

Rien d’autre que la chose vue pour guider dans l’interprétation, le Moyen Âge n’ayant pas édicté de norme en matière de représentation. Les images considérées par cet ouvrage pourraient se classer dans deux séries. D’abord les «hybrides», ces êtres formés pour parti d’attributs humains et pour parti d’éléments animaux ; et souvent dans des positions impossibles, à supposer que la notion de norme puisse s’appliquer à un être imaginé. L’imagination, pourtant, n’est pas aussi débridée qu’on pourrait le penser. Car si l’imagier a la latitude de les créer, ces êtres sans réalité matérielle obéissent à des codes, selon un langage dont les auteurs du livre décryptent le lexique. On va ainsi au-delà du moral : c’est que l’hybride, mêlant l’homme et l’animal, rompt avec les catégories voulues par Dieu, il signifie la confusion, traduit la fraude, le bouleversement des catégories par le mal.

Autre série, les représentations de ce qui touche au sexe. La pudeur, la décence, interdisent de faire voir tout et n’importe quoi ; ce n’est qu’à l’aide de codes, ici encore, qu’on peut savoir ce que représente un couple figuré au cours de l’acte sexuel : l’accomplissement du devoir conjugal, l’adultère, ou le viol. Quand les représentations réalistes de sexes apparaissent, par exemple sur des bâtons de pèlerinage, elles n’ont rien de gratuit ni de pornographique, expliquent les auteurs, mais elles remplissent une fonction : celle de repousser le mal en le rendant présent. Quant aux gentils lapins qui courent dans les bordures, il importe d’y voir le «conin», terme désignant le sexe de la femme dans le français d’alors.

Les éléments donnés à voir créent ainsi une image tolérable du mal qu’ils présentifient, ce qui est désigné comme des «contre-modèles». L’image médiévale peut tout signifier, fût-ce par le moment et la façon dont on a cherché à la détruire, le seul véritable tabou se traduisant par la non-représentation : ainsi l’absence de figuration du musulman, la rareté du juif. Dans cette mise en scène, l’image ne peut être considérée isolément. La place qu’elle occupe, le montage des éléments dans le tout participent de sa signification. C’est parce qu’il est en dehors de la figuration centrale que l’hybride s’oppose à la norme. Mais la marginalité, en principe moralement négative, peut aussi revêtir une signification inverse : lorsque l’auréole d’un saint, les bras d’un Christ en croix débordent hors de leur cadre, la transgression devient théologiquement positive.

On notera l’à-propos des allers et retours établis entre la transgression médiévale et ces données contemporaines que sont le cinéma (usant lui aussi de codes pour suggérer ce qu’il ne peut montrer sans entrer dans le pornographique), les tags (s’appropriant un espace inaccessible, comme faisaient les graffiti sur les constructions médiévales), l’utilisation d’éléments insolites mais signifiants dans les oeuvres des peintres et des sculpteurs contemporains comme médiévaux.

On aurait aimé que l’illustration de l’ouvrage, pourtant remarquablement mise au service du propos, fût de meilleure qualité. Et on fera crédit au sérieux de l’étude en ne voyant qu’une coquille dans la date donnée (1223-25, soit un décalage d’un siècle) pour la rédaction de l’Apologie de Bernard de Clairvaux (p.95), ce rare texte médiéval qui réfléchit sur l’image.

Impossible en tout cas, à la lecture de ce livre, de ne pas modifier le regard que l’on porte sur des figures qui prennent, à la lumière de l’anthropologie, une dimension que ne peut révéler l’histoire de l’art. Et finalement si la notion de transgression existe bien dans le Moyen Âge considéré par les auteurs, il est clair qu’elle n’est pas là où nous l’avions vue spontanément.


Jacqueline Martin-Bagnaudez
( Mis en ligne le 23/09/2008 )
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