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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
| Nicolas Lyon-Caen Un roman bourgeois sous Louis XIV - Récits de vies marchandes et mobilité sociale : les itinéraires des Homassel PULIM 2008 / 18 € - 117.9 ffr. / 145 pages ISBN : 978-2-84287-457-5
L'auteur du compte rendu : Diplômé de l'Ecole nationale des chartes et de l'Ecole nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques, Rémi Mathis est conservateur, responsable de la bibliothèque de sciences humaines et sociales Paris-Descartes-CNRS. Il prépare une thèse sur Simon Arnauld de Pomponne à l'université Paris-Sorbonne sous la direction de Lucien Bély. Imprimer
Le genre de la biographie sest considérablement renouvelé depuis vingt ans. Sans aller jusquaux expériences extrêmes de Carlo Ginzburg ou de Joël Cornette traçant la biographie dun meunier frioulan ou dun révolutionnaire ordinaire, le hasard des archives permet parfois des études sur des personnes qui nont pas marqué lhistoire mais constituent par là de bons indicateurs de la vie quotidienne dun milieu donné et peuvent être employés comme mètre étalon pour des études sociales, économiques ou culturelles. À travers le parcours singulier dun individu, on éclaire le monde qui lentoure.
Ce sont donc deux vies qui sont ici analysées. Deux vies qui se questionnent lune lautre tant elles sont dissemblables. Dune part, Jacques Homassel, riche marchand dAbbeville, de lautre Catherine Homassel, très modeste couturière à la vie de piété tout entière consacrée à la recherche du salut ; ils sont frère et sur. Une dimension nouvelle vient sajouter quand on sait que Jacques a laissé une autobiographie et que la vie de Catherine a été retracée par sa nièce, qui la considérait comme un modèle de piété. Ces textes personnels sont une porte dentrée pour létude du parcours de ces personnes, de leur mobilité sociale et des représentations queux-mêmes et leur milieu pouvaient sen faire. Il convient pour cela de les analyser en ayant recours à des archives dune grande diversité, ce que fait parfaitement lauteur.
Sil nest pas ordinaire, le parcours de Jacques na rien dexceptionnel. Originaire de Lorraine, ce dernier tente sa chance dans le commerce à Paris où son père a résidé quelques années après avoir renoncé à son rôle de compagnon des enfants du comte d'Harcourt. Il ne faut cependant pas y voir une stratégie sur le long terme : les parents de Jacques n'ont pas cherché à lui donner une formation de marchand et son installation à Paris est presque fortuite. La réussite sociale qui suit n'a donc rien d'évidente, d'autant plus que les marchands bourgeois de Paris constituent un milieu fermé pour qui ne possède pas un capital social et financier suffisant. Après un apprentissage, Jacques parvient cependant à s'intégrer à la corporation des merciers pendant la décennie 1660 : il travaille chez des marchands de dentelle pendant plusieurs années, ne restant guère plus de trois ou quatre ans chez le même employeur. Mais le dernier de ces employeurs se trouve être protestant et Jacques profite de la révocation de lédit de Nantes pour prendre le contrôle de sa manufacture : la fabrique de moquette dont il soccupe à Abbeville lui permet doccuper une place honorable dans la vie de la cité et de sintégrer à sa bourgeoisie. Jeune veuve, Michelle, sa sur, sest, elle, placée sous la direction de Jean Soanen, prédicateur de cour, qui finira par être nommé évêque de Senez. Proche des Oratoriens, elle passe une vie retirée mais non pas inconnue, les voies de la sainteté pouvant elles aussi être considérées comme une stratégie sociale.
Ce livre est issu des recherches qu'a menées Nicolas Lyon-Caen sur les familles parisiennes au XVIIIe siècle pour sa thèse de doctorat, en relation avec le groupement de recherche du CNRS sur les écrits du for privé. Lanalyse qui est faite du parcours des membres de la famille Homassel en plus de son intérêt pour létude des mobilités sociales et des réseaux familiaux sert donc dintroduction à lédition des deux textes rédigés par Jacques et Michelle. Elle met surtout en valeur ces témoignages un peu arides, dont lintérêt scientifique est certainement plus grand que lintérêt littéraire
Le texte de Jacques est inédit, celui de Michelle avait été partiellement édité au XIXe siècle : tous deux méritaient une édition critique, qui permette leur dialogue et soit le prétexte à une analyse fouillée de leur contenu, de leur statut littéraire et de leur rôle familial et social.
À partir de textes a priori bien éloignés lun de lautre, tant en ce qui concerne le but dans lequel ils ont été écrits que dans leur style, de textes a priori purement individuels touchant au «for privé», Nicolas Lyon-Caen fait uvre utile. Il utilise ces deux textes dans une visée comparatiste, en les interrogeant à la lumière de la mobilité géographique et sociale, et à celle de la norme telle quédictée par une société, ne les considérant pas seulement comme un témoignage historique mais également comme des pièces issues dun contexte précis qui a présidé à leur rédaction. Cest sans doute à ce prix que des écrits ordinaires peuvent se révéler riches denseignements.
Rémi Mathis ( Mis en ligne le 14/10/2008 ) Imprimer | | |
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