| Charlotte Guichard Les Amateurs d'art à Paris au XVIIIe siècle Champ Vallon - Epoques 2008 / 29 € - 189.95 ffr. / 387 pages ISBN : 978-2-87673-492-0 FORMAT : 15,5cm x 24cm
Lauteur du compte rendu : agrégée dhistoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié LHistoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à lhistoriographie (Flammarion, 2002). Imprimer
Les éditions Champ Vallon publient le beau travail de Charlotte Guichard, consacré aux Amateurs dart à Paris au XVIIIe siècle. Agrégée dhistoire et docteur en histoire de lart, Charlotte Guichard est chargée de recherches au CNRS, et ce livre est issu de sa thèse. On retrouve toutes les qualités de lérudition scientifique, mise au service dun beau sujet. Si louvrage est écrit dans une perspective dhistoire de lart - comprendre le rôle de «lamateur» dans la vie artistique au XVIIIe siècle -, Charlotte Guichard ouvre aussi une réflexion dhistoire sociale et institutionnelle, qui fait loriginalité et lintérêt de son propos.
Son travail est partagé en trois parties : «LInstitution de lamateur», «De la collection à lamateur», «Une culture mondaine de limage». Il répond aux exigences scientifiques en saccompagnant dun bel appareil critique : notes infrapaginales, sources, bibliographie abondante. Des illustrations nombreuses, mais, et cest la seule réserve, ces illustrations en noir et blanc ne sont pas à la hauteur de la qualité du livre, souvent peu lisibles, des reproductions décevantes. Certes on comprend les contraintes financières lourdes qui pèsent sur lédition (dautant que Champ Vallon est un éditeur a la fois remarquable, exigeant et courageux), mais on ne peut sempêcher dexprimer un regret.
Charlotte Guichard inscrit ses recherches dans des perspectives ouvertes par K. Pomian (Collectionneurs, amateurs et curieux. Paris-Venise, XVIe-XVIIIe siècles), F. Haskell (La Norme et le caprice. Redécouvertes en art. Aspects du goût, de la mode et de la collection en France et en Angleterre, 1789-1814 et Mécènes et peintres. Lart et la société au temps du baroque italien) ou D. Poulot (Une histoire des musées de France, XVIIIe-XIXe siècles).
La couverture du livre, qui reproduit le portrait que Jean-Baptiste Greuze fit de Claude Henri Watelet en 1765, introduit le propos : la relation entre lartiste et lamateur, cet amateur qui, au milieu du XVIIIe siècle, acquiert un statut spécifique, grâce à lAcadémie royale de peinture et de sculpture. Homme de goût, mais également expert, il participe activement au renouvellement esthétique de son époque. Lobjet de Charlotte Guichard est de montrer en quoi lamateur dart est une figure centrale de la vie artistique au milieu du XVIIIe siècle : médiateur entre les artistes et dans les réseaux de sociabilité, il joue un rôle que louvrage se propose danalyser. Amateur, un mot dont le sens évolue au cours de la période ; en 1694, le dictionnaire de lAcadémie Française note : «Qui aime. Il ne se dit que pour marquer laffection quon a pour les choses, et non celle quon a pour les personnes. Amateur de la vertu, de la gloire, des lettres, des arts, amateur des bons livres, des tableaux». Avec lEncyclopédie, le terme a évolué : «cest un terme consacré aux beaux Arts, mais particulièrement à la Peinture» (p.15). Cependant le mot va connaître une forte dévalorisation durant la période pré-révolutionnaire, alors que la naissance dun marché de lart aux conditions nouvelles de commercialisation remet fortement en question lamateur des générations précédentes, et tandis que le critique impose ses goût esthétiques.
Charlotte Guichard se pose en premier lieu la question de linstitution de lamateur, qui se met en place à une période de réforme de lAcadémie royale de peinture et de sculpture (fondée en 1648). En 1663, les statuts prévoient la classe des honoraires qui participent à la vie de lAcadémie et à ses décisions. Ils sont alors, dans une logique administrative, assez largement choisis dans le milieu de lAdministration centrale des Bâtiments du roi. En 1747 est fondé le statut dassocié libre (8 en tout) ; ces derniers ont droit de séance mais non de délibération. Désormais on note limportance des parlementaires, des représentants du monde de la finance, des politiques
essentiellement des parisiens, un autre type de recrutement social que celui qui avait présidé au choix des honoraires. Dans une célèbre conférence, intitulée De lAmateur, prononcée le 7 septembre 1748, le comte de Caylus pose la définition de lamateur, figure indispensable de lAcadémie : «le véritable amateur, jentends toujours celui que vous avez accueilli parmi vous», «un homme, que lamour de vos arts et votre choix rendent amateur». Charlotte Guichard montre bien comment lamateur se construit dans ce paysage institutionnel et artistique où lAcadémie tient une place fondamentale ; en même temps, lamateur renforce la position de lAcadémie par le jeu des réseaux de sociabilité et le renouvellement du regard. Le visuel prend à lépoque une place centrale dans les émotions artistiques alors que le goût pour lAntiquité se restructure à la faveur des voyages à Rome et des sociabilités qui sy créent.
Caylus illustre ces relations très fortes entre artistes et amateurs, qui se déclineront sur le modèle de lamitié tout en étant structurellement inégales, compte tenu des rangs sociaux de chacune des deux parties. En raison de la personnalité et du statut social du comte, il y a donc un «moment Caylus» dans les années 1747-1765, lamateur participant pleinement au système artistique de la monarchie dans les arts visuels et à la place centrale alors de lAcadémie, dans ce système. Caylus certes nest pas seul et les amateurs de lépoque nous ont laissé une impressionnante galerie de portraits, résultat de leurs commandes (p.48).
Dans une seconde partie, intitulée «De la collection à lamateur», Charlotte Guichard analyse le statut de la collection, différent au XVIIIe siècle de ce quil sera au XIXe. Il faut noter la naissance dun marché de lart pour lequel des individus vont concevoir des stratégies nouvelles : éditions de catalogues, organisation de ventes aux enchères dans des hôtels de vente. Lorsquen 1721 Watteau réalise LEnseigne de Gersaint, il illustre pour ce marchand dart la tendance nouvelle. Les catalogues, la technique de la gravure qui se diffuse, la constitution de recueils de collections, autant de façons de faire connaître des uvres mais aussi de contribuer à la réputation de celui qui les a rassemblées, cette réputation lui permettant de tenir sa place dans le marché de lart. Les ventes publiques deviennent de vrais spectacles que décrit Gabriel de Saint-Aubin dans ses dessins ; le public y vient nombreux, lamateur y est toujours présent, dominé par la curiosité et la soif de la collection
Jean-Baptiste Lebrun, époux de la peintre Elisabeth Vigée-Lebrun, est marchand dart et organise des ventes dans lhôtel quil fait construire rue de Cléry (inauguré en 1787) ; tout Paris s'y presse, en raison aussi de lefficace réseau mondain que J.-B. Lebrun entretient dans les dîners quil donne chez lui, alors quE Vigée-Lebrun est une portraitiste mondaine renommée, appréciée de la reine elle-même.
Dans ces lectures nouvelles, les collections se modifient, deviennent spécialisées (alors quaux siècles précédents elles étaient souvent hétéroclites
) ; pour répondre à ces exigences neuves, les collectionneurs sentourent dintermédiaires, de marchands et dexperts amateurs aptes à les conseiller utilement. Désormais lhôtel particulier est aménagé afin que la collection soit mise en valeur (et non comme un élément de décor) ; ouvrir sa collection aux visites, dans des conditions précises, acheter, recevoir lobjet désiré, le déballer, linstaller : autant détapes importantes, qui affinent le choix esthétique. Il existe une communauté damateurs qui se reconnaît, vit en cercles relativement étroits, fonde et relaie les réputations. Enfin, ces amateurs vont largement contribuer au XVIIIe siècle à diffuser un goût neuf pour le dessin.
Dans une troisième partie très stimulante, Charlotte Guichard étudie «Une culture mondaine de limage», dans une société où désormais le visuel a pris toute sa place, la première ! Elle se livre à une analyse fine des réseaux de sociabilité, à Rome et à Paris ; des carrières de peintres soutenues par ces réseaux, par exemple Joseph Vernet qui se spécialise dans les marines et les paysages et remplit son carnet de commandes lors de dîners mondains, et a tenu un livre de raison fort éclairant ; ou encore Hubert Robert. Dans ses dîners du lundi, Madame Geoffrin réunit amateurs et peintres. Ces amateurs, qui ont appris le goût, se livrent à des pratiques artistiques : leau forte, la gravure (Watelet peint la main posée sur louvrage ouvert à la page de la gravure quil vient de réaliser de la Vénus Médicis), le dessin. Ils se passionnent pour Rembrandt quils reproduisent en gravures ; des recueils de dessins et de gravures sont édités, contribuant à la formation du goût. On cherche à apprendre auprès de maîtres, les femmes et les enfants se livrent au dessin, dont létude fait partie de la formation intellectuelle, et finalement cette pratique mondaine contribue à la diversification du public. Lartiste se met en scène : ainsi lautoportrait célèbre dElisabeth Vigée-Lebrun, qui se représente en chapeau de paille, subtile allusion à Rembrandt, avec ses instruments de peintre.
Cependant, les très belles heures de lamateur sont comptées dans le climat pré-révolutionnaire, tandis que saffirment les critiques, personnages neufs, dont Diderot est lillustration ; lamateur devient lobjet de fortes contestations. On lui reproche la privatisation des collections, on conteste son goût, la mode est alors au «patriotisme» y compris dans le domaine artistique. Écoutons Louis Sébastien Mercier qui imagine un salon idéal : «Il nexistait plus aussi de ces hommes épais quon nommait amateurs, et qui commandaient au génie de lartiste, un lingot dor en main. Le génie était libre, ne suivait que ses propres lois, et ne savilissait plus» (p.313). Les pratiques neuves de la souscription ouvrent la voie à dautres formules.
En conclusion, lamateur a représenté un moment privilégié entre lépoque du mécène et celle du collectionneur. Un livre tout à fait intéressant, bien écrit, de lecture aisée, même si le sujet peu apparaître ardu ; servi par une érudition présentée de façon simple et claire, Les Amateurs dart à Paris au XVIIIe siècle devrait intéresser au-delà du milieu universitaire, un public cultivé, curieux dhistoire de lart et dhistoire sociale du XVIIIe siècle.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 04/02/2009 ) Imprimer
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