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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Moderne  
 

''Plus oultre''
Benito Pelegrín   D'un temps d'incertitude
Sulliver - Archéologie de la modernité 2008 /  26 € - 170.3 ffr. / 319 pages
ISBN : 978-2-351-22025-2
FORMAT : 14cm x 21cm

L'auteur du compte rendu : Françoise Poulet est une ancienne élève de l'Ecole Normale Supérieure de Lyon. Agrégée de lettres modernes, elle est actuellement allocataire-monitrice à l'Université de Poitiers et prépare une thèse sur les représentations de l'extravagance dans le roman et le théâtre des années 1630-1650, sous la direction de Dominique Moncond'huy.
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«Encore un livre sur le baroque !» : ainsi commençait déjà, en 1988, l'ouvrage de Didier Souiller intitulé La Littérature baroque en Europe. En effet, depuis les travaux fondateurs de Jean Rousset sur cette notion dans les années 1950, les recherches s'étaient multipliées, au risque de faire du baroque, terme exogène – car introduit entre autres par l'historien d'art Heinrich Wölfflin à la fin du XIXe siècle –, une étiquette mal définie, accolée a priori à une époque dont la réalité était tout autre (à tel point que Jean Rousset s'insurgera contre cette approche réductrice dans un chapitre de L'Intérieur et l'extérieur intitulé «Adieu au baroque ?»). C'est donc avec prudence et sans mentionner le terme de baroque dans son titre que Benito Pelegrín nous livre ici un nouvel ouvrage sur cette période, qui s'étend selon lui du dernier tiers du XVIe siècle au milieu du XVIIIe siècle, du Maniérisme au Rococo, de la Renaissance à la Révolution.

Professeur émérite, mais aussi musicologue, écrivain, poète et dramaturge, Benito Pelegrín est spécialiste du Baroque et du Néo-Baroque. Ce livre se définit comme le prolongement de ses travaux précédents sur cette période, notamment Figurations de l'infini, l'âge baroque européen (Seuil, 2000), auquel il renvoie fréquemment. Comme Didier Souiller, Pelegrín ne considère en aucune façon ce que l'on nomme baroque comme un phénomène franco-français, ou encore limité à un seul champ artistique, que ce soit l'architecture ou la littérature : il s'agit d'une esthétique, et même plus largement d'un courant de pensée, d'une conception du monde et de l'homme, ayant touché l'ensemble des sciences et des arts à une échelle européenne.

L'intérêt de ce nouvel ouvrage est d'aborder cette période à travers le prisme des notions de temps et d'incertitude, en en montrant toutes les résonances actuelles. Les différents chapitres s'établissent autour de deux parties principales, dans un renversement khâgneux : «Temps de l'incertitude» / «Incertitude du temps». La fin du XVIe siècle voit émerger un large mouvement de remise en cause qui touche tous les domaines de connaissance et infléchit la conception du temps, de la durée et de l'espace (à la fois spatial et mental). L'homme entre pour plus d'un siècle dans une «ère du soupçon», qui est aussi une période de désordre, de dérèglement et d'instabilité. S'instaure une conception de la modernité fondée sur le transitoire et l'éphémère, qui jouira d'une longue postérité, et sur les bases de laquelle nous vivons encore aujourd'hui.

L'incertitude envahit tout d'abord le monde scientifique, avec la découverte des deux infinis et l'élargissement de l'espace, du monde clos de Ptolémée et Aristote, à l'univers illimité de Copernic et Galilée. Du géocentrisme à l'héliocentrisme, le centre se déplace et se perd ; l'homme est pris dans ce mouvement centrifuge vertigineux. Parallèlement, l'Europe vieillit brutalement lorsqu'apparaît le Nouveau Monde. Avec le trouble des guerres de religion, l'unité religieuse éclate à jamais, tandis que Dieu s'éloigne et que le pessimisme augustinien accroît son influence. A l'euphorie des connaissances nouvelles, succède le soupçon d'une docte sagesse impossible à conquérir, dont les frontières sont sans cesse reculées (on pense à Montaigne), tandis que l'individu toujours fuyant ne parvient pas à se saisir lui-même. La tentation d'un scepticisme généralisé, voire d'un nihilisme stérile, est forte. La littérature du temps rend compte de ce vertige à travers les motifs récurrents du songe, de l'illusion et du theatrum mundi. L'homme est poussière et la vie n'est qu'un songe, comme nous le rappellent Shakespeare et Calderón. Benito Pelegrín nous montre une fois encore que les différentes littératures nationales sont traversées par des incertitudes communes qui se font échos : la «perle irrégulière» baroque est une image qui rend bien compte de l'indéfinition des limites spatiales et mentales, de l'éclatement des dogmes politiques, religieux et moraux. Mais cette période d'incertitude est aussi celle de la nouveauté ; elle inaugure une nouvelle façon de mesurer, de nommer et de formuler le monde.

L'auteur refuse de séparer radicalement période baroque et période classique, l'une qui serait caractérisée par sa rigueur et sa régularité ordonnée, l'autre par le désordre. Le mythe de la certitude classique n'est qu'une légende contestable. Au travers d'un large panorama étudié de manière non chronologique, en multipliant les allers-retours entre la fin du XVIe siècle et le milieu du XVIIIe siècle, Pelegrín développe des exemples dans tous les arts, mais aussi les sciences, dans un corpus français, italien et espagnol (notamment Gracián), en montrant comment tous ces différents domaines sont étroitement imbriqués. Il entend ainsi enrichir notre connaissance de cette époque lointaine, mais aussi, par un ouvrage accessible à un large public, et non réservé à un strict lectorat universitaire, nous amener à forger des passerelles avec nos propres incertitudes présentes.

Toutefois, en contestant l'étiquette de classicisme, Pelegrín prend le risque d'une dilution sans fin de la notion de baroque. On pourrait souhaiter que ce terme soit ici davantage problématisé, abordé avec distance et resitué dans son contexte critique. Son entreprise de vulgarisation captive, mais court aussi le danger de frustrer le lecteur, qui devra approfondir cette étude par lui-même s'il souhaite pousser plus loin dans l’analyse. Néanmoins, ce nouvel ouvrage témoigne une fois encore de la richesse artistique, esthétique et épistémologique de ce que l’on considère comme l'aube de l'âge moderne.


Françoise Poulet
( Mis en ligne le 10/03/2009 )
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