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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
| Benedetta Craveri Reines et favorites - Le pouvoir des femmes Gallimard - Folio 2009 / 7 € - 45.85 ffr. / 484 pages ISBN : 978-2-07-037973-6 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Traduction d'Eliane Deschamps-Pria. Imprimer
Cet ouvrage de Benedetta Craveri, édité pour la première fois en Italie en 2005, part dun paradoxe : en France, contrairement à dautres monarchies européennes, les femmes ont très tôt été exclues de la succession au trône par la loi salique, qui réservait aux descendants mâles le rôle dassurer la continuité dynastique. Dès le XIVe et le XVe siècles, la phrase «Le roi est mort, vive la reine» fut un non sens et lépouse du roi eut pour seule fonction de porter les enfants de celui-ci et de lui apporter un héritier mâle pour assurer sa succession.
Pourtant, on constate que les femmes nont jamais été aussi présentes à la tête de lEtat quau cours des siècles suivants, notamment au XVIe et au XVIIe siècles, que ce soit de manière directe, pendant les périodes de régence (Louise de Savoie, Marie de Médicis, Anne dAutriche), ou de manière plus masquée, par linfluence quelles exercèrent sur leurs fils (Catherine de Médicis) ou par le pouvoir érotique quelles eurent sur le roi en tant que favorites. Ainsi, malgré la prédominance du système patriarcal et la dévalorisation du rôle des femmes au sein de la société de lAncien Régime, celles-ci ont exercé une influence politique réelle au cours de cette période et ont joué un rôle important au sein de lHistoire. Lobjectif de cet ouvrage est donc de répondre à ce paradoxe en montrant comment ces femmes ont pu renverser leur statut dinfériorité en une véritable force politique : «Je me propose ici de raconter lhistoire de ce pouvoir sui generis qui sait faire de la faiblesse une force et de la condition dinfériorité un atout, et de témoigner du courage, de lintelligence, de limagination qui furent les caractères constants des femmes françaises de lAncien Régime» (p.21).
Professeur duniversité en Italie, Benedetta Craveri est spécialiste de la période classique en France. Elle sest notamment intéressée à Madame du Deffand, en publiant une biographie de celle-ci, intitulée Madame du Deffand et son monde (1986), récompensée entre autres par le prix du Meilleur Livre étranger. Dans Reines et favorites, elle sattache tour à tour aux grandes reines du XVIe au XVIIIe siècle (Catherine de Médicis, Marguerite de Valois, Marie de Médicis, Anne dAutriche, Marie-Thérèse dAutriche, Marie Leszczynska et Marie-Antoinette), mais aussi aux plus célèbres maîtresses ou favorites des rois Henri II (Diane de Poitiers), Henri IV (Gabrielle dEstrées), Louis XIV (Marie Mancini, Louise de la Vallière, la Montespan, Madame de Maintenon), Louis XV (les surs Mailly-Nesle, la Marquise de Pompadour et Madame du Barry).
Reines et favorites décrit lexistence de ces femmes illustres en mettant fortement laccent sur leur part de romanesque : les rencontres prennent la forme de véritables coups de foudre, les sentiments sont passionnés, les ruptures deviennent de terribles déchirements. En témoigne entre autres exemples la relation de la première rencontre entre Henri IV et Charlotte de Montmorency : «Foudroyé par cette vision, le souverain sévanouit» (p.127). Il faut reconnaître toutefois que ces destins furent bien plus mouvementés que dautres : tandis que les reines étaient soumises aux décisions de leurs fils, parfois sans ménagements à leur égard, les maîtresses et favorites demeuraient sous la menace permanente de linconstance et des caprices du cur des souverains. Les plaisirs adultérins des rois étant toujours violemment attaqués par le parti dévot, ces amantes privilégiées par le sort devaient sans cesse lutter pour que leur influence reste la plus forte. Ainsi, lexistence de ces femmes refléta à de nombreuses reprises les épisodes que lon trouvait à la même époque dans les grands romans héroïques et sentimentaux, ou même dans les tragédies : Gabrielle dEstrées mourant dans datroces souffrances au moment même où Henri IV semblait sapprêter à la couronner reine de France, ce même Henri IV poursuivant de ses ardeurs lépouse du prince de Condé, conduit à passer à lennemi pour échapper aux cornes, etc.
Benedetta Craveri insiste sur les grandes étapes dramatiques de ces contes de fées qui tournèrent souvent à la tragédie ; dans son ouvrage, elle met en valeur les aspects scandaleux, indécents et sulfureux de la vie sentimentale des rois de ce temps, qui nhésitaient pas à puiser à pleines mains dans le trésor royal pour combler de faveurs celles quils aimaient. Mais elle montre aussi comment les reines ont pu être parfois privées de tout rôle politique, tandis que les favorites, par leur influence, parvenaient à diriger les nominations et les disgrâces et finissaient ainsi par régir en sous-main les enjeux cruciaux de la situation géopolitique de la France sur la scène européenne.
On pourra reprocher toutefois à lauteur de montrer parfois trop dempathie envers ces femmes illustres. Si elle ne masque pas leurs défauts, elle a tendance à contredire systématiquement la légende noire que la fin du XIXe siècle a construite autour delles, sans nécessairement peser le pour et le contre et sinterroger avec franchise sur linfluence politique que ces reines et maîtresses ont réellement eue. Les ambitions démesurées de certaines favorites royales deviennent pour elle des stratégies dautodéfense bien justifiables : «[
] lambition, lorgueil, la cupidité, le désir de domination qui lalimentent sont dailleurs des armes indispensables pour surmonter les obstacles, les doutes, les amertumes, les humiliations qui émaillent la route dune favorite ; on ne peut défendre les positions acquises quen faisant taire sa pitié et sa conscience» (p.194). Benedetta Craveri tend à présenter une vision un peu trop édulcorée de lAncien régime, en accréditant par exemple la légende du roi magnanime Henri IV (p.126), en érigeant Anne dAutriche en victime humiliée et tourmentée par la Fronde (pp.167-168), ou encore en faisant de Marie-Antoinette une martyr tombée aux mains des barbares révolutionnaires, alors que sa seule faute était davoir montré un peu trop de morgue aristocratique. Il manque à cette étude historique davantage de recul et de distance sur la part de responsabilité incombant réellement à ces femmes.
Malgré tout, cet ouvrage nous offre un portrait passionnant des arcanes du pouvoir à lâge classique. A une période où les distinctions entre public et privé sont toutes relatives, on sétonnera de voir à quel point la petite histoire, celle des boudoirs et des alcôves, a pu régir la grande Histoire et les fondements de la monarchie française.
Françoise Poulet ( Mis en ligne le 26/05/2009 ) Imprimer | | |
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