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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Moderne  
 

Des intellectuels portés par un idéal
Jean-Marie Le Gall   Les Humanistes en Europe - XVe-XVIe siècles
Ellipses - Le monde : une histoire 2008 /  19.50 € - 127.73 ffr. / 263 pages
ISBN : 978-2-7298-3810-2
FORMAT : 16cm x 24cm

L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Âge à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion, 2002).
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Historien, professeur à l’université de Rennes II, Jean-Marie Le Gall est un des spécialistes actuels des XVe-XVIe siècles. Il est l’auteur d’une thèse remarquée : Les Moines au temps des réformes (Champ Vallon, Seyssel 2000). Avec ces Humanistes en Europe, XVe-XVIe siècles, il écrit un manuel clair sur un sujet complexe. Dans leur collection «Le monde : une histoire», les éditions Ellipses publient des textes d’historiens professionnels, reconnus, qui présentent de façon claire une période ou une question. La maquette est agréable, en fin d’ouvrage une bibliographie et un index, pas de notes de bas de page. Jean-Marie Le Gall a conçu son ouvrage en deux parties avec des titres «clins d’œil» : en première partie, «Le Monde des humanistes (Restitutio, Institutio, Renovatio)», en seconde partie «Les humanistes et le monde (Curiositas et Varietas, Pax, Libertas, Civilitas ; Reformatio et Religio)».

Qui sont les humanistes - davantage que «qu’est-ce que l’humanisme ?» - ? Telle est la question centrale de l’ouvrage de Jean-Marie Le Gall. Il s’intéresse à ces hommes qui ont porté haut, de la fin du XVe à la fin du XVIe siècle, un idéal de «gai savoir» construit d’observations neuves et de réappropriation des connaissances des anciens. En Italie, en France, dans les régions germaniques, dans les marges de l’Europe, émerge une conscience européenne, au moment où des sociétés entières basculent dans la modernité. Ces «humanistes» sont convaincus de vivre une époque de rupture, et toutes les régions européennes sont concernées, même si la chronologie de ces mouvements d’idée diffère d’un espace culturel à l’autre ; il y a Renaissance aussi ailleurs qu’en Italie, et toute la Renaissance n’est pas venue d’Italie, pas davantage qu’elle n’a été pensée et portée par les seuls humaniste, rappelle Jean-Marie Le Gall.

Dans sa première partie (pp.11-208), l’auteur analyse l’univers intellectuel et les réseaux de sociabilité des humanistes, leurs préoccupations. Il centre sa réflexion sur trois aspects : l’importance de la langue (Restitutio), celle de l’éducation (Institutio) et leur rapport fort et complexe à l’Antiquité (Renovatio). La langue est première en quelque sorte. Dans un monde dont les horizons s’ouvrent, où les circulations s’intensifient - circulation des hommes, des idées, des livres… -, la langue dans laquelle on s’exprime a une immense importance. Les humanistes cherchent à identifier une langue matricielle d’où découleraient les autres ; leur vision des langues est hiérarchisée (Latin, Grec, Hébreu). Ils disposent - et créent – des instruments neufs - dictionnaires, grammaires… -, utilisent l’imprimerie, publient des éditions savantes de textes. Les humanistes sont aussi ceux qui vont – avec Lorenzo Valla entre autres - poser les règles de l’édition critique. Entre la cacophonie de l’humanité post-babélienne et l’espoir de la glossalie de Pentecôte, les humanistes rêvent d’une langue parfaite. Ils sont aussi les promoteurs des langues vernaculaires qui se développent dans des espaces nationaux en construction. Ils se font alors les artisans de ces langues neuves, qu’il faut élaborer en triant dans les diversités régionales et sociales. Dante impose finalement le toscan, les cours - royales, pontificale, princières -, nouveaux espaces de pouvoir et de civilisation, sont également d’importants ateliers du langage. L’éducation joue un rôle fondamental pour ces humanistes dont beaucoup ont enseigné, ou enseignent encore.

Contrairement à ce que l’on a pu penser de façon rapide, ils ne renient pas l’héritage médiéval dans ce domaine. Les moines tiennent aussi leur place dans ces réformes de l’éducation, et les méthodes forgées dans les collèges à l’ombre des universités continuent à être appliquées. La Renaissance est un temps fort de création d’universités puisque Jean-Marie Le Gall note que sur 93 universités en Europe en 1550, 48 sont de création postérieure à 1400. Cependant, dans l’enseignement des universités, les humanistes valorisent essentiellement les arts libéraux, ce qui leur vaut la méfiance voire l’hostilité des théologiens et des juristes. Se fonde une «république de lettres», forte de ses réseaux de sociabilité qui se tissent au fil des rencontres, y compris autour de tablées conviviales – que renforce le souvenir du Banquet de Platon redécouvert à l’époque. Ils voyagent, échangent des correspondances (qu’ils conservent précieusement, et éventuellement publient). Ils ont parfaitement conscience de leur position sociale, et l’entretiennent avec efficacité, par divers moyens, entre autres la publication de biographies d'humanistes décédés, les pèlerinages à leur tombeau. Ils utilisent aussi l’imprimerie dont l’importance ne cesse de croître et qui leur ouvre un public neuf. Parmi les formes littéraires qu’ils apprécient, le dialogue, à mettre en relation avec la redécouverte de Platon et de Socrate.

Hommes d’un savoir neuf - sans pour autant mépriser la période médiévale donc -, les humanistes ont beaucoup utilisé l’Antiquité comme réservoir d’auteurs, d’exemples, et ce dans tous les domaines. Ils lui rendent un hommage - à nos yeux paradoxal - en pratiquant le faux : mais copier l’Antique est une façon d’en affirmer la supériorité. Ils vont y chercher des genres littéraires, le théâtre, l’art oratoire. L’Antiquité ne se borne pas aux Grecs et aux Romains : la Bible en fait partie, sur laquelle ces savants se livrent aux premiers essais d'exégèse pour restituer un texte aussi sûr que possible, dégagé des erreurs de traduction antérieure).

Dans la seconde partie (pp.112-229), Jean-Marie Le Gall analyse avec finesse et érudition le rapport au monde des humanistes. Il fait tomber un certain nombre de clichés à la vie dure : non, les humanistes n’ont pas nécessairement été des «littéraires» hésitants ou réticents devant les sciences. Il y a d’ailleurs anachronisme à distinguer au XVIe siècle entre lettres et sciences. Ils ont davantage voyagé qu’on a bien voulu le dire, et ont suivi avec intérêt les «grandes découvertes» qu’ils ont d’ailleurs dans certains cas célébrées avec enthousiasme (par exemple les humanistes portugais) ; Amerigo Vespucci, en l’honneur de qui fut nommée l’Amérique, en est un exemple. Leur curiosité et leurs culture (Aristote) les a poussés à s’intéresser à la nature, à l’observer. Ils se sont livrés à un intense travail de classification pour intégrer les connaissances neuves au savoir transmis depuis l’Antiquité. Ils se sont également intéressés au progrès et aux techniques mécaniques, et lorsque Campanella décrit sa cité idéale, le chef, Sol, connaît tous les métiers mécaniques (p.132).

Certes, ils sont moins impliqués dans le travail mécanique que les artistes, hommes d’atelier. Ils rêvent cependant d’un idéal de doctor pictus, que certains peintres du XVIe siècle ont réalisé ou approché (Mantegna, Le Greco, Rubens, Durer, Michel Ange : liste non exhaustive). Ils élaborent les prémisses d’une histoire de l’art (Vasari, Vie des plus excellens peintres, sculpteurs et architectes). Une histoire engagée : si Vasari vante les italiens, Karel Van Mander lui répond en présentant la peinture flamande (Le Livre des peintres les plus illustres des Pays Bas et d’Allemagne, Anvers, 1604). Selon eux, l’art doit répondre à l’idéal de la convenance c’est-à-dire une adéquation totale entre le sujet et la manière de le traiter. Ainsi Erasme reproche à la Chartreuse de Pavie une décoration trop profane pour un lieu religieux.

S’ils sont conscients d’appartenir à des mondes différents, humanistes et artistes ont de multiples occasions de rencontres (chantiers, éditions de manuscrits ou de livres..) et les premiers posent pour les seconds qui réalisent des portraits qui servent la renommée des uns et des autres (Erasme peint par Holbein et Quentin Metsys, par exemple). La politique est un domaine important pour ces humanistes qui voient, à la suite d’Aristote, l’homme comme un animal vivant en société. La diversité extrême des situations dans l’Europe du XVIe siècle, espace politique en construction, suscite des réponses très variées chez les humanistes, toujours partagés entre l’idéal de l’otium (loisir lettré) et celui de l’engagement militant (ravivé par les lectures de Cicéron), tandis que leurs positions sociales les contraignent dans un certain nombre de cas à servir le «prince» à la cour duquel ils vivent. Si leurs choix divergent fortement (selon les lieux et la période), en revanche les humanistes ont élaboré une science de l’Etat moderne et ont été les acteurs d’une autonomisation du politique dans le champ de la société.

Intellectuels, ces humanistes sont aussi des hommes du concret, enracinés dans des vies familiales (de qualité inégale !) avec des épouses qui, dans un certains nombre de cas, partagent leur culture et leurs préoccupations (ne serait ce que parce que règne une forte endogamie ). S’ils considèrent les monastères comme des lieux propices au recueillement de la vie intellectuelle, pour autant l’idéal de chasteté du monachisme médiéval n’est plus d’actualité : l’humaniste vit au coeur de la société de son époque. Leur lieu de prédilection est l’académie, lieu d’échanges, espace autonome, qui à ce titre suscite la méfiance et des princes et de l’Eglise. Animés d’un idéal de paix, soucieux de libertas, ils affrontent les grandes questions et réalités d’un siècle traversé par la guerre sous toutes ses formes. Hommes de paix, ils sont aussi des hommes d’ordre et condamnent vivement les diverses révoltes populaires armées (religieuses, sociales, politiques…) à la fois parce que souvent au service des princes ils s’opposent à toute remise en question du pouvoir sous cette forme, mais aussi parce qu’ils sont foncièrement partisans d’une société hiérarchisée.

Enfin ils ont vécu la question centrale de leur époque : celle des réformes religieuses qui font éclater l’Eglise. Ils y ont participé dans la mesure où eux aussi avaient de multiples reproches à adresser à l’Eglise et aux moines : leur sectarisme, les superstitions plus ou moins encouragées ou tolérées… mais dans l’ensemble ils ont été réticents – voire hostiles - aux mouvements de type anabaptiste ; ils se sont plutôt montrés des hommes du juste milieu, des «moyenneurs» comme on disait alors. Ils avaient contribué à la fin du XVe siècle à revaloriser la dignité pontificale et sont au moins jusque vers 1520 restés plutôt dans ce camp. En fait le débat reste ouvert sur la religion des humanistes : croyants ? sceptiques ? athées ? Jean-Marie Le Gall rappelle l’importance pour eux d’une «religion naturelle» qui «peut aussi constituer une réponse humaniste à l’anti-naturalisme augustinien qui voit le mal partout dans l’homme et le monde. La religion naturelle est aussi un moyen de propager le christianisme auprès des peuples qui n’ont alors que l’enseignement de la raison. C’est enfin une manière de ramener à la raison tous les fous de Dieu du XVIe siècle» (p.229).

Enfin, dans sa conclusion, Jean-Marie Le Gall s’interroge sur la fin des humanistes : on retrouve la même chronologie «flottante» que pour leurs débuts. Il voient dans leur effacement progressif la rançon de leur succès : la diffusion du savoir, son appropriation par d’autres milieux les déprécient ; le goût baroque exalte le héros davantage que le savant ; on remarque et on désigne le pédant sous le savant ; les progrès scientifiques contribuent également à cette dégradation de leur image : l’Antiquité ne suffit plus comme référence, et l'on prône l’observation et le raisonnement là où l’histoire et la poésie - disciplines appréciées de humanistes - apparaissent comme des matières ne requérant que la mémoire. La spécialisation croissante disqualifie l’humaniste.

Jean-Marie Le Gall laisse la phrase finale à Montaigne : «Les livres sont plaisants, mais si de leur fréquentation nous en perdons la gaieté et la santé, nos meilleures pièces, alors quittons les» (p.239).


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 26/05/2009 )
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