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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
| Jean Castarède 1610 : l'assassinat d'Henri IV - Un tournant pour l'Europe ? France-Empire 2009 / 18 € - 117.9 ffr. / 386 pages ISBN : 978-2-7048-1061-1 FORMAT : 15,5cm x 24,1cm
L'auteur du compte rendu : Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, Agrégé d'histoire, Docteur ès lettres, sciences humaines et sociales, Nicolas Plagne est l'auteur d'une thèse sur les origines de l'Etat dans la mémoire collective russe. Il enseigne dans un lycée des environs de Rouen. Imprimer
Comme le dit J. Castarède, la figure dHenri IV a été la plus populaire parmi celles de nos rois, même à la Révolution, en raison dun caractère jovial (gascon) «rabelaisien», dune simplicité avec les humbles, dune attitude de pragmatisme tolérant en matière religieuse, dune politique de pacification intérieure et de redressement économique («la poule au pot le dimanche», la saine gestion économe du ministre Sully, Olivier de Serres et son Théâtre dagriculture), mais aussi dune volonté dindépendance nationale. Règne trop court dun «bon roi» proche de son peuple, tragiquement interrompu par un événement traumatisant (le régicide, sorte de parricide, et puni cruellement en place publique). Fort habilement, Louis XVIII de retour dexil utilisa ce prestige du premier des Bourbons pour retisser les liens entre sa dynastie «restaurée» et la nation révoltée, pour refonder la royauté de droit divin comme Henri IV lavait fait au sortir des longs troubles et des haines fanatiques de son temps. On sait ce quil advint de ces retrouvailles
Il nempêche que la France du XIXe siècle et la Troisième République (Michelet, Lavisse) gardèrent, dans leur synthèse nationale et leur panthéon de la grandeur, ce roi à la fois grand serviteur de lEtat et modernisateur, mais aussi profondément humain et en quelque manière libéral et (par une analogie discutable) démocrate desprit au moins avant lheure. (Le romancier allemand Heinrich Mann, francophile, républicain de gauche et admirateur de Zola, donna aux Allemands au protestantisme trop lourd et tentés par lautoritarisme militariste ou nazi ce roi français paternel et tolérant, charmeur, économe du sang de son peuple : lantithèse des Hohenzollern guindés et arrogants, dont il avait fait la satire dans son roman Le Sujet).
Disons-le demblée, sans penser à mal : ce livre, bien écrit et agréable à lire, enlevé, plein de verve et de citations, napporte rien de nouveau scientifiquement. Il prend prétexte du quatrième centenaire de lassassinat dHenri IV en mai 1610 pour célébrer les mânes du grand roi. Il y a dailleurs une sorte de clin dil à cette image dEpinal et aux manuels dautrefois dans le bandeau du livre de Castarède : «Il y a quatre siècles, ce roi a sauvé la France !» Les éditions France-Empire vous le disent ! Castarède y ajoute le thème européen : «un tournant pour lEurope ?». Mais disons-le : cest là aussi davantage la réactualisation «opportuniste» dun thème historique connu sur fond de crise de la construction européenne. La démarche d«uchronie» de Castarède à ce sujet nest pas de nature à compenser le manque de données nouvelles significatives (sil est possible den avoir) sur de nouveaux faits ou détayer une nouvelle interprétation de lévénement. En fait, lassassinat sert surtout de prétexte à raconter le règne.
Et que Jean Castarède ait fait le voyage de Saint-Pétersbourg pour regarder des cartons darchives achetés par la Russie de la Grande Catherine, ny change rien. On savait dailleurs depuis longtemps que la Russie des Lumières avait acquis non seulement des bibliothèques de grands écrivains français, mais des documents sur notre Ancien régime, doù la fameuse dispute savante entre le Soviétique Porchnev et le Français Roland Mousnier (signalé sous le nom de «Robert» dans la bibliographie de Castarède), controverse internationale (sur fond de Guerre froide) sur linterprétation des archives du XVIIe siècle et la nature des révoltes paysannes que ces rapports officiels des intendants et officiers royaux relatent à destination du pouvoir royal. Pour le marxiste-léniniste, un épisode de la lutte de classe et une preuve de la nature de classe de la société dAncien régime ; pour lautre, monarchiste Action française, anti-marxiste proche de lEcole des Annales, des révoltes populaires du long siècle tragique de la Guerre de Trente ans et des coûteuses guerres de Louis XIV, des résistances à une pression fiscale et étatique devenue insupportable, un phénomène typique de la mise en place de lEtat avec ses prétentions absolutistes et centralisatrices (ce monstre froid), révoltes où se mêlent conservatisme et attachement aux privilèges provinciaux ! Justement selon R. Mousnier, on est en «société dordres», hiérarchique et inégalitaire de droit, où la position des catégories officielles de la société nest pas liée à un rapport aux instruments de production : le sujet se définit par ses «privilèges», les lois privées, spéciales qui sappliquent à son ordre, dabord en vertu de sa naissance, mais aussi de sa fonction dans la tripartition fonctionnelle des prêtres, des guerriers et des producteurs. La société de classe se mettra en place avec la révolution industrielle, lEtat et la domination bourgeoise : Porchnev comme ses maîtres Marx et Lénine projette donc de façon anachronique des catégories du XIXe siècle sur le Grand Siècle.
Grand historien et maître marquant dont les élèves ont poursuivi luvre (Yves-Marie Bercé), Mousnier est aussi lauteur dun remarquable livre de la série des ''Grandes journées qui firent la France'' (où lon trouve le Bouvines de Duby) : LAssassinat dHenri IV, Gallimard 1964. Le livre de Castarède en reprend les idées essentielles : lassassinat dHenri IV fut un tournant historique ; réalisé dans des circonstances mystérieuses par un illuminé (Ravaillac) qui aurait agi seul, il arrive au moment où le roi de France allait conduire une expédition militaire en Allemagne au secours de princes protestants ; la disparition du roi met un terme à ces préparatifs, la guerre contre les Habsbourg naura pas lieu ; le gouvernement passe aux mains de la reine-régente Marie de Médicis, plus conciliante avec les très catholiques Maisons dAutriche et dEspagne. Le conflit néclatera quavec la fin de la Régence (par un autre assassinat, celui du trouble favori Concino Concini et de sa femme la «sorcière» Galigaï) : Louis XIII et Richelieu se lancent dans la Guerre de Trente ans (1618-1648) qui donnera à la France la prépondérance en Europe. La lecture géopolitique de lévénement de 1610 (à qui profitait donc le crime ?) donne à penser depuis longtemps que Ravaillac nagit pas seul, quil fut du moins le bras armé (inconscient peut-être, manipulé sans doute) dun complot dont les ramifications comprenaient des Grands catholiques fanatiques (qui navait jamais accepté lavènement dHenri IV ni la perspective dalliances avec les hérétiques protestants) et remontaient sans doute à lEscorial de Madrid et au palais impérial de Vienne
Un parti espagnol en France aurait ainsi empêché la politique «nationale» dHenri IV (la raison dEtat contre une politique confessionnelle de guerre de religion) et retardé ainsi le redressement et le triomphe de la France, menacée dinféodation aux Habsbourg la prenant en tenaille
Cest donc Mousnier, mais aussi Jeanine Garisson (1984, 2000) ou surtout J.P. Babelon (2009) quon recommandera à létudiant dhistoire qui veut entrer dans le personnage et lépoque de façon plus approfondie avec une mise en perspective socio-culturelle et politique de niveau universitaire.
Castarède offre plutôt une occasion de réviser ses connaissances et de les approfondir pour le grand public curieux
A supposer quon nait pas déjà assez lu sur Henri IV, qui nest pas le roi le plus négligé des biographes ni le plus absent des romans historiques (quon pense à Fortune de France de Robert Merle, universitaire angliciste de Caen, amoureux du vieux français, peintre habile et volubile de la France gaillarde et tragique du XVIe siècle) ! On pourrait se demander si lon na pas déjà assez publié sur la vie aventureuse et les conquêtes érotiques du Vert-Galant (Castarède donne un tableau de ses nombreuses maîtresses)
Certes il ny a pas de mal à cela et le succès est garanti (quon pense aux croustillantes Histoires damour de lhistoire de France de Guy Breton : pas cité en bibliographie, pourtant bien dans le style «brantômien» de certains passages du livre de Castarède), et puis tout cela flatte un goût «bien français» pour les romans de cape et dépée et autres aventures picaresques avec leurs rebondissements (Les Trois mousquetaires et surtout La Reine Margot de Dumas, que Castarède semble apprécier). Les hommes politiques le savent : célébrer (ou faire célébrer par un «nègre») certains rois et grands personnages de notre histoire permet de jouer sur lamour-propre français et entretient une identification à des héros, en partie mythifiés, de limaginaire : quon pense au François Ier de Jack Lang ou au Henri IV de François Bayrou, Béarnais comme Castarède est Gascon ! Un thème oublié par notre prétendu débat sur «lidentité nationale»
Plaisir bien innocent donc que celui décrire un tel livre pour Castarède, auteur de nombreux livres (une trentaine !) sur les dames galantes et beaux messieurs dépée, de verbe et dhonneur du beau seizième siècle et de lépoque Louis XIII : en lui, il ne sen cache pas, cest le Gascon de Nérac patriote de sa région qui veut célébrer les grandes figures, presque légendaires, dun âge dor
Plaisir innocent donc que de lire cet amoureux de la France des Valois et des premiers Bourbons, de son art de vivre, de ses écrivains, de sa langue. Et puis certains ouvrages anciens ayant disparu de la circulation, auxquels Castarède, qui les a lus, puise abondamment, il est permis (à défaut de les republier !) de proposer au public dautres ouvrages sur ces sujets qui répondent à la même demande.
Quant à luchronie (si Henri IV navait pas été assassiné, sil avait pu réaliser son «grand dessein» en 1610
lire Pfister, 1894), cest toujours malgré la caution du philosophe Renouvier à la fin du XIXe siècle un exercice risqué que le bon sens populaire résume par «avec des si, on mettrait Paris en bouteille». Certes il est permis dimaginer et de concevoir les effets possibles ou probables, mais plus on séloigne de la date de départ (du «tournant»), plus les chaînes logiques et les séries de causes et de conséquences sembrouillent. Même si Henri IV avait réorganisé la chrétienté à sa manière avant de mourir, cela naurait nullement garanti la paix éternelle en Europe ! (Castarède fait-il de lUnion Européenne cette garantie ?) Il est vrai que Castarède use prudemment dadverbes comme «probablement» et cela nous entraîne dans la difficile question des probabilités en histoire et en politique, dans la futurologie comme dans luchronie.
Question où Castarède nentre pas : prudemment ! Du coup demeure un contraste entre des affirmations péremptoires du début et les résultats douteux de vagues spéculations : comme si on nous avait promis plus quon ne pouvait donner. Il nous semble que cest ainsi que lHistoire se déconsidère : en devenant la servante docile dargumentations molles au service didées à la mode. (Paul Valéry a dit des choses fortes à ce sujet). Enfin, si Jean Castarède est aussi rigoureux en économie (une de ses «casquettes») quen histoire, le bonheur européen par lUnion, héritière du projet de fédération dHenri IV, sera aussi uchronique quutopique. Dautres questions sont dailleurs laissées en suspens : lEurope actuelle est-elle vraiment conforme au projet dun roi de la Chrétienté du début du XVIIe siècle ? En est-elle «héritière» ? A quoi a-t-il servi de «sauver la France», si cest pour lintégrer à une fédération européenne supra-nationale? Ne court-elle pas alors le risque de se dissoudre peu à peu? Question subsidiaire au Gascon Castarède : sa France est-elle celle, provinciale voire féodale, du XVIe siècle, dans le cadre de lEurope des régions ? A ce sujet, renvoyons au roman satirique de Frédéric Delorca sur les mythes du régionalisme en Europe.
Nicolas Plagne ( Mis en ligne le 16/02/2010 ) Imprimer
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