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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
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Peuples premiers, premiers musées | | | Bertrand Daugeron Collections naturalistes entre science et empires - (1763-1804) Museum d'Histoire naturelle 2009 / 42 € - 275.1 ffr. / 635 pages ISBN : 978-2-85653-641-4
L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est responsable des collections de monnaies et médailles du musée Carnavalet après avoir été adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié Les Demeures du Soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003), Vauban : l'intelligence du territoire (2006, en collaboration), Les Ministres de la Guerre, 1570-1792 : histoire et dictionnaire biographique (2007, dir.).
Bertrand Daugeron collabore à Parutions.com Imprimer
Entre 1795 et 1799, le Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale changea de nom pour prendre celui de «Muséum des antiques». Dans la pensée de ses conservateurs, il sagissait de faire du Cabinet une institution indépendante, qui réunirait les objets de toutes les civilisations, aussi bien celles de lAntiquité gréco-romaine que celles de lOrient, des Amériques et de lOcéanie : un musée dhistoire comparée avant la lettre. Dans ce but, le Cabinet se fit attribuer non seulement les antiquités saisies dans les collections des émigrés et des établissements religieux supprimés, mais les objets exotiques conservés jusqualors dans les cabinets dhistoire naturelle, en particulier dans le Cabinet relevant de lancien Jardin du roi. Le «Muséum des antiques» senrichit également des prises faites par les armées françaises dans lEurope conquise, notamment aux Pays-Bas et en Italie. En dépit de ces enrichissements, le projet du «Muséum des antiques» se perdit peu à peu dans les limbes : le Cabinet resta un département de la Bibliothèque nationale ; les objets ethnographiques furent mis en réserve et lappellation «Muséum des antiques» passa, à partir du Consulat, à la galerie des antiques du Muséum central des arts, lactuel Musée du Louvre. Il fallut près dun siècle pour quun nouveau musée dethnographie voie le jour, en 1880.
Léchec du «Muséum des antiques» de la Convention et du Directoire est le point de départ de lenquête de Bertrand Daugeron, qui embrasse lhistoire des collections publiques et privées françaises sur un demi-siècle, du traité de Paris, en 1763, à la proclamation de lEmpire, en 1804. Tandis que la plupart des travaux qui traitent de ce sujet et de cette période sintéressent essentiellement aux antiquités et aux objets dart, ici lattention se porte principalement sur les objets dhistoire naturelle et sur les artefacts des peuples lointains naturalia et artificialia suivant la distinction établie depuis le XVIe siècle. Plus largement, lauteur sintéresse à larticulation entre létude pratique des objets, dun côté, et les constructions théoriques élevées par les savants, de lautre. Il ne sen tient pas à la gestion interne des collections, mais part de leur collecte à travers de leur monde et les suit jusquà leur utilisation scientifique et politique.
Les antiques et les curiosités ne sont pas que des instruments de connaissance ; les cabinets et les musées ne sont pas que des lieux détude. Les premiers sont aussi et surtout des trophées des guerres victorieuses menées sur le vieux continent et de lexpansion européenne outre-mer, tandis que les seconds sont des «trésors» au sens antique et médiéval, des lieux symboliques de la puissance de lÉtat et des régimes successifs. B. Daugeron montre que la collecte des objets dhistoire naturelle comporte également des aspects politiques et symboliques. Après la perte du premier empire colonial français en 1763, le pouvoir royal lance des voyages dexploration vers les «terres australes», avec lambition de découvrir de nouveaux articles dimportation et à terme de créer de nouveaux établissements. La curiosité scientifique existe, mais elle ne suffit pas à motiver le montage de coûteuses expéditions vers locéan Pacifique.
En Europe, les transformations qui mènent des cabinets dAncien Régime aux musées modernes procèdent dabord du souci de classification. Quand les anciennes «chambres des merveilles» agençaient les objets de toutes provenances pour le plaisir de lil, les cabinets du XVIIIe siècle, qui visent à lutilité, se spécialisent, se dotent dinventaires et se soucient de lordonnance méthodique des objets. Dès le règne de Louis XVI, on se soucie de répartir rationnellement les collections entre les différents dépôts publics : en 1786, quand le voyageur Joseph Dombey revient du Pérou, les objets dhistoire naturelle sont envoyés au Jardin du roi et les «antiquités, médailles et vêtements» à la Bibliothèque du roi, ce qui annonce, avec dix ans davance, le projet du fameux «Muséum des antiques». Les savants établissent le lien entre avancement des sciences et enrichissement des collections, tel Valmont de Bomare en 1768 : «La science de lhistoire de la nature na fait de progrès quà proportion que les cabinets se sont complétés». À la veille de la Révolution, Buffon est critiqué pour avoir surtout recherché l«éclat» dans la présentation du Cabinet du roi, traduction matérielle de son hostilité à légard des systèmes. En 1787, est créée à Paris une Société linnéenne, ancêtre de la Société dhistoire naturelle, qui sinscrit dans une démarche inverse. Cest là que sélaborent les idées qui vont entraîner linstitution, en 1793, du Muséum dhistoire naturelle, avec ses douze chaires spécialisées.
Lenvoi des Artificialia du Muséum dhistoire naturelle au Muséum des antiques en 1797 participe de ce mouvement de spécialisation et de classification.
Les hommes des mondes lointains sont désormais considérés moins comme éloignés dans lespace que dans le temps : on passe du «sauvage», proche de la Nature, au «primitif», exclu des bienfaits de la civilisation. Paradoxalement, ce changement de point de vue condamne à brève échéance le projet comparatiste du Muséum des antiques : si le primitif représente le degré zéro de la civilisation, à quoi bon sintéresser à lui ? La voie est ouverte pour les théories racialistes qui tiendront le haut du pavé pendant tout le XIXe siècle, au détriment dune construction scientifique de lethnographie.
La disparition discrète du Muséum des antiques au tournant du XVIIIe et du XIXe siècle se trouve ainsi expliquée. On peut se demander si léchec de lentreprise neut pas également des motifs plus prosaïques. Avec la Révolution, les collections publiques avaient changé de statut juridique de la propriété du roi à la propriété de la Nation , mais elles avaient surtout changés déchelle : saisies et confiscation avaient fait exploser le nombre dobjets conservés. LÉtat fut en fait dépassé par la masse de livres et dobjets saisis ou pillés en France et à létranger. Lancien réseau des «cabinets de curiosité» était détruit, mais le nouveau réseau des institutions officielles manquait cruellement de moyens pour prendre le relais. Les locaux, le mobilier, le personnel, largent manquaient. Voilà sans doute la raison principale pour laquelle le Cabinet des médailles, malgré les vastes desseins de ses conservateurs, est demeuré un département de la Bibliothèque nationale, essentiellement dévolu à la numismatique. Dans la médiocrité générale des moyens consentis, les arbitrages de lÉtat ont privilégié les collections «nobles» la grande statuaire de lAntiquité classique, la grande peinture de la Renaissance italienne et renvoyé au néant les simples «singularités» quétaient les artefacts des «sauvages».
En publiant la thèse de Bertrand Daugeron, le Muséum a voulu donner accès à un travail ambitieux de recherche fondamentale ; il a fait davantage : Collections naturalistes entre science et empires est aussi un très beau livre, somptueusement illustré de plans et de gravures anciennes, de cartes, de photographies anciennes et de documents darchives. Ainsi cet ouvrage est un véritable Musée de papier, à la fois lieu de classification et de réflexion, propre à satisfaire la raison, et «chambre des merveilles», destinée au plaisir de lil.
Thierry Sarmant ( Mis en ligne le 04/05/2010 ) Imprimer | | |
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