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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Moderne  
 

Le Grand-Siècle au jardin
Michel Jeanneret   Versailles. Ordre et chaos
Gallimard - Bibliothèque illustrée des histoires 2012 /  38 € - 248.9 ffr. / 376 pages
ISBN : 978-2-07-013638-4
FORMAT : 17,0 cm × 22,5 cm

L'auteur du compte rendu : Matthieu Lahaye est agrégé d'histoire et docteur en histoire moderne.
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Au cœur des jardins du château de Versailles, se trouve le bosquet du Marais ce qui n’est pas sans étonner quand on sait qu’en ce lieu la domestication de la nature s’est faite au prix d’une lutte acharnée contre les marécages qui rendaient le lieu insalubre et peu propice à l’installation de la cour. Simple hasard ? Clin d’œil ironique qui suggère de marcher en ces lieux avec précaution en quête d’un discours déployé non pas avec les règles traditionnelles des mots, mais d’une rhétorique végétalisée où tout est symbole ? Michel Jeanneret, professeur à l’université de Genève, le croit. En cela, il s’oppose à la thèse de Gérard Sabatier qui voit dans les décors du jardin et du château de Versailles l’œuvre du collectionneur qui rassemble, au hasard de ses envies, les plus belles pièces des arts dans le seul but de créer un effet d’ensemble capable de suggérer la puissance.

Très vite, Michel Jeanneret nous convainc non seulement par son érudition, la qualité de sa langue, les très belles illustrations permises par cette collection de la ''Bibliothèque illustrée des histoires'' de Gallimard, mais aussi par cette intuition partagée par le promeneur de découvrir entre ces allées rectilignes, ces bosquets, ces fontaines, ces sculptures, la sensibilité de toute une époque : l’idéal classique. Le terme est galvaudé et son opposition avec le baroque un artifice inventé par des savants du XIXe siècle en mal de classification. Malgré tout, son projet est réel : l’affrontement de la forme avec l’informe non en refoulant l’horreur, la violence, le dérèglement des mœurs mais en l’intégrant, en l’absorbant, en le transformant, en un mot, en l’humanisant.

Pour l’auteur, les jardins de Versailles qui, de prime abord, peuvent apparaître comme le triomphe du calme et de la volupté un peu froide des classiques, sont l’espace de cette lutte marquée par la victoire du roi-jardinier, Louis XIV, pacificateur aussi bien de la violence et de l’animalité de la nature sauvage que d’une société française déchirée depuis le XVIe siècle. Que peuvent évoquer d’autres ces dragons terrassés des fontaines, la répétition à l’infini du mythe apollinien, triomphateur du magma originel, informe et chaotique, cet Encelade, géant terrassé pour s’être révolté ou encore la figure de Latone transformant en grenouilles les ingrats qui refusèrent de l’aide à ses enfants, Diane et Apollon ?

Ponctués par des massacres, des règlements de compte sanglants, la laideur du monde surgit de toute part en ces jardins, qui, à la manière d’Ovide, pensent en une série de fables végétales la naissance et le devenir des corps, les substances élémentaires à l’origine de l’univers. Ici, par la volonté démiurgique du souverain, les eaux jaillissent pourtant, les arbres se déforment par la seule action de son œil géométrique car définitivement il impose son ordre à l’univers, façonne la matière et tient en lisière la brutalité et la violence. Quand on sait grâce à Benveniste ce que l’autorité doit à son étymon latin agraire augeo («augmenter» puis plus tardivement «créer»), voire au sanscrit otas («indiqu[ant] la force des dieux»), on comprend ce qui se joue dans ce jardin : la définition même de l’office royal. Non pas une toute-puissance, mais une capacité à ordonner le monde par la parole et à procurer de la légitimité aux décisions la plupart du temps inspirées par les conseillers.

Sans doute est-ce pour toutes ces raisons que Louis XIV ne put se défaire de ce lieu que le grincheux Saint-Simon, appuyant toujours sur les points sensibles, décrivait comme «le plus triste et le plus ingrat de tous les lieux, sans vue, sans bois, sans eau, sans terre, parce que tout y est sable mouvant ou marécage». Dès les années 1661, Louis XIV y suivit personnellement l’élaboration de ses jardins, pour lesquels il eut toute sa vie un goût prononcé ; il y fit aussi donner les plus grandioses fêtes de son règne et enfin construire un château qui devint une sorte de modèle en Europe avant de s’y installer définitivement en 1682 et de finalement s’en éloigner à la fin de son règne pour un palais encore plus en osmose avec son jardin : Marly.

Ce livre remarquable nous rappelle avec force le combat pour la civilisation mené par l’élite cultivée du second XVIIe siècle, cette manière toute néo-stoïcienne de promouvoir le renoncement aux passions et de consacrer la figure pacificatrice du roi. Savants, amateurs ou promeneurs trouveront dans ce livre une clef pour comprendre le fabuleux héritage culturel et politique qui continue d’irriguer ce jardin visité par des foules un peu nonchalantes pour ne pas dire dédaigneuses.

Mais sans doute est-ce là que résidera à jamais la grandeur majestueuse de Versailles, dans ce doute irréductible qu’en ces allées se murmure une vérité sur la nature humaine, qu’on accueille ou refuse, car rien de choquant ou d’excessif ne vient jamais rompre la bienséance voulue par les classiques, cette élégante liberté et ce charme éternel par lequel subsiste l’essentiel : la beauté, l’ordre et la mesure.


Matthieu Lahaye
( Mis en ligne le 26/03/2013 )
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