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Pour les papilles et l’esprit
Florent Quellier   Festins, ripailles et bonne chère au Grand Siècle
Belin 2015 /  23 € - 150.65 ffr. / 375 pages
ISBN : 978-2-7011-9505-6
FORMAT : 15,0 cm × 22,0 cm

L'auteur du compte rendu : Fadi El Hage est docteur en Histoire. Il est chercheur-associé à l’IHMC et est l’auteur plusieurs ouvrages et articles sur la France moderne dans les domaines institutionnel, militaire et politique.
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Florent Quellier fait partie de ces historiens qui ont donné une nouvelle dimension à l’histoire des arts de la table français. Son ouvrage Les Français à table (PUR, 2010) a déjà montré qu’on pouvait écrire sur ce thème sans sombrer dans le pittoresque ou sans se distinguer de la sociologie de l’alimentation. La cuisine est à la mode depuis quelques années dans les médias, et Festins, ripailles et bonne chère au Grand Siècle offre par son texte plaisant une œuvre scientifique essentielle.

Croisant l’histoire de l’alimentation avec l’histoire culturelle, politique, et sociale, le thème de la bonne chère permet de dresser un panorama du Grand Siècle, même si l’auteur se permet des incursions bienvenues sur les années antérieures et postérieures. De fait, il évite l’écueil de la répétition des informations que l’on trouve dans presque tous les livres d’histoire de la cuisine, qui ont une tendance à être interchangeables sans la moindre plus-value.

Florent Quellier rappelle l’importance éditoriale de la cuisine au XVIIe siècle. Après une période «italienne» au cours de laquelle seul Le Viandier dit de Taillevent (brillamment étudié par Bruno Laurioux en 1997) représentait la cuisine française, suivie d’une absence de livres nouveaux pour cause de crises politiques et religieuses (donc morales), l’édition connut un nouvel essor à partir de 1651. La Varenne, ancien officier de bouche du marquis d’Huxelles, publia son Cuisinier françois et son Pâtissier françois quatre ans plus tard, ouvrant ainsi la voie à d’autres auteurs comme le mystérieux L.S.R. (L’Art de bien traiter, 1674) ou Massialot (Le Cuisinier bourgeois, 1691). Ce fut par ces entreprises éditoriales (parfois traduites en anglais, ainsi pour La Varenne) que la cuisine française connut un essor européen, popularisant un art de vivre à la française, prélude de l’Europe française au siècle des Lumières (analysé par Louis Réau en 1938). La littérature n’était pas en reste, avec des descriptions plus ou moins réalistes de repas de banquets ou plus frugaux. De tels écrits n’en constituent pas moins des témoignages de la culture culinaire de l’époque, ainsi que de l’imaginaire autour des banquets, à l’origine de nombreuses peintures et estampes, mêlant bonne chère, débauche et morale.

Les goûts évoluèrent pendant le Grand Siècle. L’introduction de mets et fruits nouveaux, notamment sucrés, et de boissons comme le café bouleversèrent la perception gustative et la projection sur le monde. Les élites profitèrent surtout de ces découvertes, la nourriture des pauvres étant resté globalement la même que les siècles précédents. La cuisine attestait de la dichotomie sociale croissante, renforcée par des moments tragiques comme les «années de misère» (Marcel Lachiver) de la fin du règne de Louis XIV, marquées par de terribles famines.

L’alimentation est un signe d’identité sociale. Le Bourgeois gentilhomme de Molière l’a bien montré, avec Monsieur Jourdain désireux de vivre noblement. L’opulence de la table est symptomatique de l’aristocratie. Cependant, le Grand Siècle n’était pas que dorures et flamboyances, puisque cette richesse alimentaire avait son côté sombre, avec ses maladies et ses scandales. A la modestie de Turenne, héros de la guerre de Hollande (qui commença en 1672 et non en 1671, p.53), suivit le luxe et la gourmandise des généraux qui servirent aux armées après lui. La modestie de la table était en adéquation avec celle de l’esprit. Ne dérivait-on pas vers une crise morale, marquée par le pêché ?

La richesse alimentaire et les excès de table altérèrent la santé de plusieurs membres de la famille royale, en premier lieu Louis XIV. Si le souverain ne faisait pas scandale en mangeant avec excès et conservait une dignité dans les maladies en grande parties causées par de telles habitudes (goutte, diabète, gangrène…), il n’en était pas de même de la fille du Régent, la duchesse de Berry (veuve en 1714 et non 1713, p.279). Celle-ci mélangeait les plaisirs de la table avec ceux de la chair, au risque de faire courir de calomnieuses rumeurs d’inceste avec son père, et mourant abandonnée de la famille royale, gênée par l’existence d’une princesse ayant repoussé les limites de la débauche. Ladite débauche était considérée comme un signe de dégradation héréditaire, Saint-Simon étant persuadé que tant la duchesse de Berry que le duc de Vendôme (qui n’était pas maréchal de France, p.286) étaient débauchés alimentairement et sexuellement en partie à cause de leur sang bâtard.

Comme le dit Florent Quellier, le Grand Siècle passa d’une sympathie pour les compagnons de boisson et de nourriture à une dénonciation de telles pratiques (p.325), ce que montre la réputation des «roués» du Régent. L’esprit évolua, les ouvrages consacrés aux plaisirs de la table ayant élaboré un «bon goût», en même temps que redéfini la civilité à table, dont Louis XIV parut finalement l’antagoniste. Le XVIIIe siècle fut tout aussi paradoxal, sinon plus, car l’idéal livresque n’était pas toujours appliqué à la réalité.

Festins, ripailles et bonne chère au Grand Siècle est un excellent ouvrage, appétissant tant pour les papilles que pour l’esprit.


Fadi El Hage
( Mis en ligne le 08/02/2016 )
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