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Un Bourguignon au pays des merveilles | | | Président de Brosses Frédéric d' Agay Lettres d'Italie du Président De Brosses - 2 tomes Mercure de France - Le Temps retrouvé 2005 /
Tome 1 : 587 p., 9 , 11x18 cm, ISBN : 2-7152-2491-5.
Tome 2 : 687p., 8 , 11x18 cm, ISBN : 2-7152-2492-3.
L'auteur du compte rendu : Rémi Mathis est élève à l'Ecole Nationale des Chartes. Il prépare une thèse sur Simon Arnauld de Pomponne sous la direction d'Olivier Poncet (ENC) et Lucien Bély (Paris IV). Imprimer
LItalie comme terre de civilisation a toujours fasciné les Français, quils aillent y chercher les antiquités de Rome, les merveilles de la Renaissance ou les délices du XVIIIe siècle. Charles de Brosses, jeune conseiller au parlement de Bourgogne, ne fait pas exception à la règle : comme tant de beaux esprits et de jeunes nobles de lAncien Régime, il sacrifie à lusage du voyage en Italie afin de parfaire sa formation intellectuelle et artistique.
Charles de Brosses a trente ans quand il accoste en Italie en 1739 ; cultivé et libertin, cest un jeune homme de son siècle. Il écrira plus tard des livres historiques et dérudition de première importance et échouera au pied de lAcadémie, étant poursuivi par les rancunes de Voltaire. Son voyage dure près dun an : parti de Dijon, il descend la vallée du Rhône jusquen Avignon puis visite la Provence, compare Aix à la capitale bourguignonne et prend le bateau jusquà Gênes, «où lon trouve du sorbet des dieux». Il remonte alors vers Milan où, écrit-il, «on ne peut faire un pas dans les places sans trouver en son chemin des courtiers de galanterie.[
] Nous navons pas jugé à propos de mettre à profit leur politesse que fort rarement, cest-à-dire une demi-douzaine de fois chacun ou environ. Ce qui est bien peu pour daussi gros mangeurs», et pousse ensuite jusquaux îles Borromées. Puis, en passant par les villes de la Terre Ferme (Vérone, Padoue
) il se rend à Venise, «si singulière, par sa disposition, ses façons, ses manières de vivre à faire mourir de rire, la liberté qui y règne et la tranquillité quon y goûte». Il descend ensuite vers la Toscane en passant par Bologne : Florence, Pise, Sienne laccueillent avant quil ne se rende à Rome («Vous êtes donc endiablés, tous tant que vous êtes, de vous obstiner ainsi à vouloir que je vous parle en détail de cette Rome, pour vous en dire mille choses communes que vous savez déjà et que personne nignore») où il passe lhiver après une excursion en Campanie qui lui donne loccasion de faire lascension du Vésuve et de visiter Herculanum, récemment découverte. Il entame alors avec le printemps le chemin du retour en passant par la côte Est puis par Milan et Turin avant de passer les Alpes.
Pourtant, contrairement à ce que pourrait laisser croire le titre, ces lettres ne sont pas écrites au fil de la plume depuis Naples ou Venise. Elles ont certes été envoyées aux amis dijonnais du jeune conseiller mais, en rentrant, celui-ci a procédé à un travail de réécriture de sa correspondance : le siècle des Lumières est aussi celui du roman par lettres, des Liaisons dangereuses et de la Nouvelle Héloïse. Le texte a donc été retravaillé, réorganisé, les lettres trop longues, coupées pour en former plusieurs : le livre nest pas la juxtaposition dimpressions de voyages mais le fruit dun travail décrivain ; sa composition, son rythme sont étudiés.
En effet, à partir des cinq lettres en forme de journal du manuscrit de base, de Brosses tire les 28 premières lettres du recueil quelques années après son retour. Il demande les lettres envoyées à leur destinataire et en fait le matériau de son livre en coupant, ajoutant du texte à partir de notes prises sur le vif, supprimant des épisodes, saidant de livres dautres voyageurs, fouillant dans sa mémoire.
Lintérêt pour le lecteur est multiple : le livre sadresse au public le plus large. Le curieux ou le touriste préparant un voyage en Italie le consultera avec intérêt pour lire ses descriptions de villes et de monuments qui ont connu depuis les vicissitudes du temps. Lamateur de littérature du XVIIIe senthousiasmera pour lesprit, lhumour et parfois le cynisme du jeune homme observateur et ironique. Mais ces Lettres sont également une source importante pour lhistorien. Le Président rencontre les notables de chaque ville, il nous fournit des détails inédits sur la vie quotidienne de ces personnes aussi bien que du peuple. Les murs, lhabillement, la richesse, la cuisine et les vins, diverses anecdotes, rien ne lui échappe. Il décrit par exemple en détail le conclave qui a lieu à la mort de Clément XII, analysant la personnalité, les ambitions et les chances de chaque cardinal. Les femmes ne sont pas son dernier souci et les habitudes relâchées des nobles vénitiennes ne sont pas pour lui déplaire. Au passage, cest aussi la vie des jeunes conseillers des parlements provinciaux chez qui les Lumières se développent qui est éclairée : les lettres ne manquent pas de nous parler de ses amis restés à Dijon qui attendent avec impatience les lettres venues dOutre-mont. Mais cest surtout lhistorien de lart qui y trouvera son bonheur : en bon érudit, de Brosses décrit précisément les monuments remarquables de chaque ville, dresse des listes de tableaux par lieu de conservation, court les bibliothèques pour voir tel manuscrit exceptionnel. Cest un véritable état des lieux de la richesse artistique de lItalie en 1740 qui soffre à nous.
Lintérêt de ces Lettres est bien mis en valeur par cette édition. La présentation, uvre de Frédéric dAgay, qui a lui-même établi le texte, est particulièrement bien faite. Elle permet au lecteur davoir des notions suffisantes de la complexe histoire des principautés italiennes au XVIIIe siècle pour suivre le récit, elle permet de comprendre la genèse du texte et sa progressive appréhension par les historiens de la littérature. Une courte biographie du Président accompagnée dune chronologie éclaircit sa personnalité.
On peut de plus suivre lavancée de de Brosses à travers les petites villes de la péninsule grâce à une carte précise et utile. Enfin on trouve dans le deuxième tome deux index. Le premier, qui sera apprécié des historiens de lart, recense les peintres, sculpteurs et architectes cités : de Brosses a vu bien des uvres dart aujourdhui déplacées ou disparues, il donne des avis souvent intéressants et en tout cas révélateurs dune époque et du goût dun homme et dune classe : le palais des papes dAvignon ou celui des doges à Venise, gothiques, sont décidément «du plus méchant goût» tandis que Raphaël et Titien font ses délices. Le second index est plus général et comporte les noms de personnes et de lieux.
On peut seulement reprocher reproche à faire à la collection tout entière que les notes soient renvoyées en fin de volume, obligeant le lecteur à un incessant va-et-vient. En revanche, lillustration de couverture a été bien choisie. De Brosses a la minutie, la précision mais aussi lesprit et le brillant de Canaletto ; les lettres grouillent de toute cette population diverse et bigarrée que lon retrouve dans Le Cortège du doge sur le Campo San Rocco du peintre vénitien. Notons enfin que la parution en livre de poche à un prix qui nest point excessif rend le livre accessible à tous.
Compagnes indispensables de toute personne visitant lItalie, ces lettres élégantes et pleines dun esprit et dun style qui nappartiennent quau XVIIIe siècle sont également une source de première importance pour lhistorien et lhistorien de lart. Si leur auteur faisait les joies dun Stendhal qui les cite dans tous ses livres sur la péninsule, on ne peut quespérer avec Henri de Régnier que «ces charmantes, ces piquantes, ces pittoresques, ces spirituelles Lettres dItalie» soient toujours en faveur.
Rémi Mathis ( Mis en ligne le 01/03/2005 ) Imprimer | | |
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