Daniel Dessert - Une dynastie protestante de financiers sous Louis XIV Perrin - Collection Pour l’Histoire 2005 / 22 € - 144.1 ffr. / 304 pages ISBN : 2-262-01960-6 FORMAT : 14x23 cm
L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris-I-Sorbonne, Thierry Sarmant est conservateur en chef du patrimoine au Service historique de l'armée de Terre. Il prépare, sous la direction du professeur Daniel Roche, une habilitation à diriger des recherches consacrée à "Louis XIV et ses ministres, 1661-1715". Il a publié une vingtaine d'articles sur l'histoire politique et culturelle de la France moderne et contemporaine et six ouvrages dont Les Demeures du Soleil : Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003)et La Roumanie dans la Grande Guerre et l'effondrement de l'armée russe (1999). Imprimer
En 1984, Daniel Dessert publiait Argent, pouvoir et société au Grand Siècle. Dans ce maître-livre de lhistoriographie moderniste, il démontait les mécanismes du «système fisco-financier» louis-quatorzien. Les «traitants et partisans», à la fois collecteurs de limpôt et banquiers de la monarchie, si décriés, se révélaient nêtre que la façade dun édifice beaucoup plus vaste, où une grande partie des élites, nobles comme roturières, se réunissaient pour faire crédit à lEtat.
Vingt ans après, lauteur prolonge sa grande synthèse par une étude de cas : celle dune famille protestante de Montauban, les Daliès. Issus du milieu des officiers de justice, Antoine Daliès entre dans la finance dans le dernier tiers du XVIe siècle ; il est trésorier général de la maison de Navarre et receveur des tailles du Quercy. Son fils, Jean Daliès (1600-1687), trésorier de France et receveur des tailles à Montauban, appartient à la clientèle des Condé. Lentrée dans la haute finance a lieu avec les fils de Jean : Antoine, baron de Caussade, vit noblement et doit assurer la promotion sociale du lignage, mais les trois autres fils, Jean Daliès de Martel (1633-1715), Samuel Daliès de La Tour (1635-1713) et Nicolas Daliès sont «intéressés dans les affaires du roi».
Si la carrière de Jean Daliès prend fin avec la Chambre de justice qui suit la chute de Nicolas Fouquet, son fils Samuel, le véritable héros de cette saga familiale, sait négocier le virage colbertien. Le 15 décembre 1661, un arrêt du Conseil le confirme dans loffice de receveur général des finances du Dauphiné. Pour complaire à Jean-Baptiste Colbert, son nouveau protecteur, Daliès de La Tour étend son action hors de la finance. Il se fait exploitant forestier, pour fournir du bois à la marine, métallurgiste et marchand de canons. Si Daliès de Martel fait banqueroute en 1672, Samuel connaît alors lapogée de sa prospérité : il achète la charge de maître de la Chambre aux deniers en 1676, le comté de Jouy-en-Josas en 1683. À cette date, sa fortune se monte à 1 400 000 livres environ (passif déduit), soit le niveau atteint par les ducs et pairs ou les magistrats de la grande robe parisienne.
La mort de Colbert, en 1683, et celle du Grand Condé, en 1686, conduisent Daliès de La Tour, qui sent le vent tourner, à se retirer progressivement des affaires du roi. En 1684, il renonce à lachat de Jouy, cède la moitié de loffice de receveur général, lautre moitié en 1687 et fait passer sa fortune, quelque peu écornée, sur la tête de son neveu. Converti au catholicisme depuis 1676, Samuel Daliès consacre les dernières décennies de sa vie à apurer le passif de sa gestion financière et à jouer les prosélytes à Montauban, où les conversions sont non moins massives quinsincères. Pendant ce temps, après la révocation de lédit de Nantes, une partie de sa famille sexile hors de France. Dans les années 1700, Daliès publie plusieurs écrits de controverse. Son rôle religieux lui vaut de garder des appuis à la cour, notamment celui du chancelier de Pontchartrain, sans doute rencontré lors de ses retraites à lOratoire. Ainsi il obtient pour son neveu une charge de président à la Cour des aides de Montauban. Quand Samuel meurt, en 1713, ses héritiers renoncent à la succession. Les Daliès sont devenus une famille de magistrature provinciale, sans éclat particulier.
De cette suite de carrières, Daniel Dessert tire plusieurs leçons. Tout dabord, lexamen des liaisons financières des Daliès montre que la «finance protestante» est pour partie un mythe : les protestants font des affaires ensemble, moins pour des raisons religieuses que familiales ; les financiers catholiques traitent, eux aussi, avec leurs parents et alliés ; enfin, rien ninterdit catholiques et protestants de sassocier pour leur profit commun. Le cas de Daliès de La Tour permet aussi de mettre en lumière les défauts de conception de laction économique colbertienne. La construction est largement artificielle, car les revenus industriels sont loin de valoir les revenus financiers ; sans limpulsion de lEtat, les entreprises se défont delles-mêmes. Le résultat mitigé de la carrière de Samuel Daliès montre enfin que les principaux bénéficiaires du «système fisco-financier» ne sont pas forcément les financiers eux-mêmes, dont beaucoup finissent ruinés, mais plutôt les puissants dont ils sont les truchements. Les publicains, dont la carrière dépend étroitement de la faveur du roi, des grands et des ministres, ne sont nullement les maîtres de lEtat. En revanche, les véritables bailleurs de fonds, à savoir les plus fortunés des privilégiés, pèsent incontestablement, en tant que classe sociale, sur la politique dune monarchie impécunieuse.
Thierry Sarmant ( Mis en ligne le 16/05/2005 ) Imprimer
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