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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
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De Versailles à Manhattan, la négociation comme système de pensée | | | Jean-Claude Waquet François de Callières - L'art de négocier en France sous Louis XIV Editions de la Rue d'Ulm 2005 / 32 € - 209.6 ffr. / 288 pages ISBN : 2-7288-0348-X FORMAT : 16,0cm x 24,0cm
L'auteur du compte rendu : Rémi Mathis est élève à l'Ecole Nationale des Chartes. Il prépare une thèse sur Simon Arnauld de Pomponne sous la direction d'Olivier Poncet (ENC) et Lucien Bély (Paris IV). Imprimer
Essayez de «googliser» nimporte quel écrivain du XVIIe siècle : hormis pour quelques grands classiques, les résultats sont très décevants et en nombre limité. Il nen est pas de même pour François de Callières, obscur diplomate et académicien du tournant des XVII et XVIIIe siècle. En effet, bien que largement oubliée depuis sa publication, sa Manière de négocier a récemment trouvé une seconde jeunesse des plus surprenantes. Traduit en anglais au début du XXe siècle, il devient un classique des tenants de lold diplomacy, dans le débat didées qui les oppose aux partisans des idées de Wilson dans les Etats-Unis de lentre-deux-guerres. Le livre nest nullement considéré comme une source historique mais bien comme un manuel pouvant encore apporter des enseignements utiles aux diplomates dalors. Cette position se renforce encore en 1963 avec la publication dune nouvelle édition qui met en valeur limportance de la recherche de solutions équilibrées, de la négociation comme coopération et non comme compétition. Le livre est ainsi peu à peu passé du monde de la diplomatie à celui de lentreprise : il nest pas rare quil figure au rayon «management» aux Etats-Unis et cet usage en a fait un classique international avec des traductions polonaise, portugaise ou japonaise. La destinée de luvre est donc des plus originales. Mais celle de lauteur lui-même surprend.
La Manière de négocier est en effet luvre dun homme que rien ne prédisposait à se mêler de diplomatie ni à entrer à lAcadémie française. La jeunesse de Callières est assez obscure et ce nest quassez récemment que lon a pu démêler lécheveau de sa généalogie. Roturier de naissance et peu fortuné, son père entre au service dune des plus fameuses familles de Normandie, les Goyon de Matignon, liés au Longueville. Cest également dans cette province que François fait son apprentissage avant de partir pour Paris, se servant de sa plume comme un moyen de parvenir. Il entre dans la diplomatie par la petite porte : il se fait lintermédiaire de ses patrons, cherchant à faire monter le comte de Saint-Pol, fils de Mme de Longueville, sur le trône de Pologne. Cette première expérience lui permet de se faire une place dans le personnel diplomatique du roi, accompagnant Forbin-Janson en Pologne. Il tente également de se trouver de nouveaux protecteurs : il se rapproche des Colbert et du cardinal dEstrées. Cest ce réseau qui permet à un homme initialement de basse naissance et assez isolé de faire carrière. Il parvient à se faire élire à lAcadémie française après avoir écrit quelques ouvrages qui flattaient le roi et la plupart des courtisans, grâce à lappui de ses amis. Pour faire honneur à son nouveau statut, il publie quelques traités sur le bon usage ou les bons mots. Mais surtout, la protection des gendres de Colbert, Chevreuse et Beauvillier et les liens quil a conservés en Pologne le remettent sur la route de la diplomatie : il négocie dabord de façon officieuse puis, acmé de sa carrière, est nommé plénipotentiaire au congrès de Ryswick qui doit mettre fin à la guerre de la Ligue dAugsbourg. Devenu secrétaire du cabinet du roi, Callières meurt en 1717, peu après avoir publié sa Manière de négocier.
Cest ce traité que lauteur étudie principalement, en insistant notamment sur sa circulation, ses utilisations et sa fortune qui fut très variée selon les époques. Il met en perspective louvrage en le confrontant à divers types de documents. Des études ont déjà été menées sur la place du livre parmi les traités sur les ambassadeurs et comme fondateur de conceptions nouvelles. Lentreprise consiste donc plutôt à tenter de reconstituer le contexte de production du texte, les possibilités dont disposait Callières, son univers culturel, qui déterminent largement la rédaction du livre.
La Manière de négocier prend certes place dans la grande tradition des écrits sur lambassadeur (Pasquale, Vera, Wicquefort
) mais tente tout à la fois de résoudre une question dactualité. Cest la raison pour laquelle il souligne les problèmes qui se posent dans la formation et le choix des négociateurs, préconisant une carrière séparée. Cest ce quil tente dinsinuer au roi au fil dun livre qui peut lui-même être lu comme le lieu dune négociation.
Mais J.-C. Waquet ne questionne pas seulement le texte en fonction du genre auquel il appartient, il le fait également en fonction du contexte politique et moral, dune vision de lhomme et du monde qui apparaît dans les écrits de lépoque et chez Callières lui-même, ce qui permet de mieux comprendre les concepts utilisés. Cest donc dans ce monde sempiternellement troublé et habité par une humanité corrompue que doit agir le négociateur qui doit savoir allier une bonne connaissance des intérêts et de lhistoire des pays et une sociabilité souriante. Tout passe par cette mondanité, une relation dhomme à homme qui consiste à faire comprendre à lautre quels sont ses véritables intérêts (correspondant bien sûr à ceux du négociateur). Il sagit de faire passer un comportement pragmatique pour lexpression de la vertu tendant au bonheur de tous.
Cette étude détaillée saccompagne du texte lui-même, annexe nécessaire pour s'en faire une idée personnelle. Malgré sa large diffusion et sa nouvelle célébrité, il nest pas exagéré de dire quil sagit de la première édition scientifique du livre, prenant en compte sa genèse compliquée. Car sil fut publié en 1716, La Manière de négocier avait été rédigé dès 1697, abandonné pendant plusieurs années puis repris à la mort de Louis XIV pour loffrir au Régent dans un contexte politique et diplomatique qui a changé, ce qui vaut au texte de substantielles modifications. J.-C. Waquet édite donc le texte imprimé, version définitive voulue par lauteur, mais en se référant aux trois manuscrits connus de luvre, il donne dassez nombreuses et souvent signifiantes variantes. Le texte de louvrage est accompagné en annexe de celui de la première dédicace, au roi Louis XIV.
Lauteur allie une grande érudition et une grande finesse dans lanalyse de la pensée qui affleure dans louvrage de Callières. Il replace sa genèse dans le contexte de la vie de lauteur et, plus largement, dans celui de lépoque, quil soit politique, social ou diplomatique. Il démontre que cet opuscule écrit dans un style agréable plus que savant nest pas luvre dun philosophe mais dun diplomate qui tente daplanir les problèmes au lieu de les faire surgir à trop rechercher la vérité. Enfin, J.-C. Waquet analyse létrange fortune dun livre oublié qui revient là où on ne lattend pas, démontrant la richesse de son contenu et les multiples lectures qui peuvent être faites de ce traité, la dernière négociation de Callières.
Rémi Mathis ( Mis en ligne le 19/01/2006 ) Imprimer | | |
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