Hervé Drevillon - Le métier des armes sous Louis XIV Tallandier 2006 / 27 € - 176.85 ffr. / 442 pages ISBN : 2-84734-247-8 FORMAT : 14,5cm x 21,5cm
L'auteur du compte rendu : archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié en dernier lieu : Les Demeures du Soleil : Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi, Champ Vallon, 2003. Imprimer
Lhistoire militaire, qui tient dans les pays anglo-saxons une place considérable, est victime en France dun discrédit qui se prolonge depuis plus dun demi-siècle. Dans les universités françaises, les chaires liées à lhistoire militaire se comptent sur les doigts dune main ; dans lenseignement militaire supérieur, la part de lhistoire dans les programmes ne cesse de reculer. Pour expliquer cet état de fait, on peut invoquer, pêle-mêle, les effets psychologiques de la défaite de 1940, la confusion entre histoire militaire et «histoire-bataille» fustigée par lécole des Annales, ou lencore lincapacité de notre enseignement militaire supérieur à sorganiser sur un modèle universitaire.
Les rares chercheurs à sêtre intéressés à ce domaine dans les dernières décennies André Corvisier, Jean Chagniot, Jean-Pierre Bois, Gilbert Bodinier ont écrit une histoire sociale et culturelle de larmée et restitué la place des militaires dans les sociétés anciennes. En revanche, larmée en action, les techniques de la guerre proprement dite, nont donné lieu jusquici, du côté français, à aucun travail dampleur. Paradoxalement, les grandes monographies ou les grandes synthèses sur les armées de Louis XIII et de Louis XIV sont dues à des auteurs anglo-saxons, Douglas Baxter, David Parrott, John Lynn ou Guy Rowlands. Autant de livres jamais traduits, peu accessibles en France et partant peu lus. Ainsi, LImpôt du sang est le premier livre français consacré à larmée de Louis XIV depuis
1906, date de la parution du classique de Louis André, Michel Le Tellier et lorganisation de larmée monarchique.
Larmée décrite par Hervé Drévillon est à limage de la France du Grand Siècle : lautorité du prince y est sans cesse renforcée «mais ne sest jamais exercée sans contre-pouvoir ni concession aux élites chargées de la relayer». Les réseaux de solidarité et les liens de clientèle subsistent, en même temps que ladministration se structure, que les hiérarchies se fixent et que le pouvoir du centre sur la périphérie saccroît. Hiérarchie militaire et hiérarchies sociales coexistent sans se confondre ; absolutisme et culture nobiliaire entrent en composition, le premier trouvant en larmée un puissant instrument de contrôle social pour simposer à la seconde, pour la transformer en profondeur. De ce point de vue, lauteur soppose à une école historique qui a ses partisans en France comme outre-Manche et qui fait de labsolutisme une simple façade recouvrant un compromis entre la monarchie et les élites.
Au terme dune enquête portant sur le corps des officiers, Hervé Drévillon montre quau contraire de ce qua cru discerner Guy Rowlands, le choix du métier des armes nest pas le résultat dun intérêt bien compris. La majorité des officiers sy appauvrissent, beaucoup y périssent, bien peu y trouvent de lavancement. Pour la plupart dentre eux, la progression de carrière ne peut dépasser le grade de capitaine ; souvent même, les plus pauvres, les «officiers de fortune», ne dépassent pas celui de lieutenant. À léchelon de la compagnie, cellule de base de larmée dAncien Régime, le capitaine reste un entrepreneur militaire, tout en étant de plus en plus soumis à un système dobligations disciplinaires, administratives et comptables. Cest sur lui que reposent une bonne part des frais engagés pour la levée des troupes, une part moindre de leur entretien. Le noble «se ruine au service», consommant pour maintenir sa compagnie ou son régiment une portion non négligeable de sa rente foncière. Pour autant, cest véritablement une carrière qui sinstitue sous le règne de Louis XIV, car à partir de 1668 le roi maintient en service les cadres des unités dissoutes, «à la suite» des unités conservées. Dans un second temps, entre 1688 et 1714, létat de guerre quasi ininterrompu installe des milliers dofficiers dans la condition militaire, qui nest plus une simple étape dans la vie dun gentilhomme.
Ce que lofficier perd en capital financier, il le gagne en capital symbolique, car le métier de la guerre reste étroitement associé à la noblesse. En 1693, année où est institué lordre de Saint-Louis, ancêtre de notre Légion dhonneur, 35 à 45% des chefs de familles nobles sont «au service». «Il ny a rien que lhonneur prescrive plus à la noblesse que de servir le prince à la guerre», écrit encore Montesquieu un demi-siècle plus tard. Le métier des armes confirme la noblesse et, sil anoblit peu, «ennoblit» ceux qui le pratiquent. Aux cadets de la bourgeoisie ou de la robe, il confère une honorabilité sociale, même si la fusion des élites réalisée dans le creuset militaire nest que relative et momentanée, limitée au temps du service. En même temps, le règne de Louis XIV marque une transformation fondamentale dans la conception même de lhonneur. À une conception guerrière, succède un modèle proprement militaire. À léloge de la vaillance ou de lesprit de sacrifice, sajoutent la valorisation de la discipline et celle de léconomie des moyens. Le bon officier ne peut se satisfaire dêtre courageux ; il doit savoir commander et obéir, il doit aussi se montrer bon ménager du sang de ses hommes, du fer, du matériel
et de largent que le roi lui confie.
Lanalyse globale du corps des officiers saffine dune analyse par arme, doù il ressort que Maison militaire du roi, infanterie, cavalerie et dragons fonctionnent et réagissent de manière différenciée, presque comme des armées séparées. Au passage, lauteur détruit quelques mythes : la cavalerie, réputée plus aristocratique, est en fait plus ouverte à lavancement des hommes du rang. Dans LImpôt du sang, histoire sociale et histoire des mentalités sont inséparables dune histoire de lhomme au combat, qui examine luniforme, larmement et la tactique.
Pour les jeunes générations de chercheurs dont Hervé Drévillon sest fait le porte-drapeau, la guerre redevient un objet dhistoire légitime. En effectuant la synthèse des traditions française et anglo-saxonne, lauteur se fait le héraut dune histoire militaire rénovée, qui se veut «totale», politique, économique, sociale et culturelle, mais remet au centre de ses interrogations les opérations de guerre et les hommes qui vivent et meurent en y participant.
Thierry Sarmant ( Mis en ligne le 07/03/2006 ) Imprimer
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