| Philippe Erlanger Le Duc de Buckingham Perrin 2005 / 22.50 € - 147.38 ffr. / 364 pages ISBN : 2-262-02291-7 FORMAT : 14,0cm x 22,5cm
L'auteur du compte rendu : Françoise Hildesheimer, conservateur en chef aux Archives nationales, est professeur associé à l'université de Paris I. Elle a notamment publié Fléaux et société. De la Grande Peste au choléra . XIVe-XIXe siècles (Hachette, 1999), et, récemment, un Richelieu chez Flammarion (2004). Imprimer
En mai 1625, la charmante Henriette Marie, troisième fille dHenri IV et sur de Louis XIII, âgée de quinze ans, destinée un temps au comte de Soissons, épouse par procuration Charles Ier, roi dAngleterre, qui vient de succéder sur le trône à son père Jacques Ier. À cette occasion les Français découvrent «Bouquinquan», le duc de Buckingham, le brillant et chimérique favori de Jacques puis de Charles Ier, qui se fait le héros flamboyant dépisodes galants qui feront les délices des romanciers du XIXe siècle.
Inégalable délégance et de charme, favori des deux rois dont il sest rendu maître absolu, il étale sa satisfaction de soi jusquà laveuglement, et conjugue déraison et démesure, inconséquence et fantaisie. On le dit le plus bel et le plus élégant homme dAngleterre ; le regard vague et rêveur surmonte moustache et fine barbiche blondes, et son allure a dailleurs quelque chose defféminé. Le troisième fils de Sir George Villiers a étudié lart de la cour en France, avant dentrer en politique et de gagner la faveur de Jacques Ier dont il sintitule le «chien-esclave». Devenu immensément riche, il réussit lexploit de plaire au nouveau roi Charles Ier dont il dirige aussi la politique, agissant en héros de roman à la face de lEurope. Personnage le plus flatté du royaume et le plus haï, il aime laventure, les fêtes, les intrigues galantes et les combinaisons politiques. Son train de vie, qui a scandalisé la cour dEspagne, éblouit le bon peuple de Paris et la cour de France. En revanche, Louis XIII est fort peu sensible à de tels déploiements de faste et bien davantage offensé par les entreprises galantes de Buckingham à lendroit de la reine de France.
Venu à Paris pour y chercher la princesse Henriette et la conduire en Angleterre, le héros de lheure sest en effet mis en tête de séduire Anne dAutriche, lune des plus belles femmes du temps, dont tout le monde sait quelle est fort délaissée par son époux. Lépisode le plus scandaleux de cette aventure galante a lieu à Amiens, alors que les deux reines, Marie de Médicis et Anne dAutriche, et la cour accompagnent la jeune mariée vers Boulogne. Le duc parvient à demeurer seul avec la reine régnante et senhardit jusquà lobliger à appeler du secours. Cela ne décourage pas laudacieux don Juan ; il revient sur ses pas, force la porte de la chambre de son idole et y risque une vaine déclaration damour passionnée. Aventure inachevée, amour-propre froissé, laffaire empoisonnera les relations franco-anglaises.
Au-delà de lanecdote scandaleuse qui défraya la chronique à la cour de France, les historiens constatent que les années 1550-1650 (sauf pour lEspagne où le phénomène, qui napparaît quen 1598, est décalé dun demi-siècle) voient les représentants des grandes monarchies européennes se doter volontairement dune sorte de second en la personne dun conseiller privilégié (Sully, Richelieu, Mazarin en France, Buckingham en Angleterre, Olivares, Lerme, Uceda en Espagne). Sous des appellations diverses (principal ministre, valido), ceux-ci ont pu être caractérisés par les historiens de «conseillers-favoris» pour témoigner des continuités, ou de «premiers ministres» pour manifester lavenir dont ils sont la préfiguration. Véritables hommes dÉtat, ces conseillers ont exercé un ascendant réel sur les souverains. Ils sont lobjet de la louange quappelle le pouvoir, comme de la haine populaire quil excite. En effet, dans lexercice de leurs fonctions, ils ont une visibilité particulière et sont reconnus comme les véritables moteurs de laction politique et administrative, où ils occupent les plus hautes fonctions et senrichissent considérablement. Le favori a une compétence universelle, mais na pas de structure administrative propre; il met ses parents et fidèles aux postes de responsabilité.
En dépit de labsence de tout phénomène dynastique, on a pu parler à leur endroit dune résurrection du maire du palais mérovingien auprès de rois fainéants, peu soucieux des affaires de lÉtat, mais le phénomène est davantage à mettre en relation avec la genèse de lÉtat moderne : cest à eux quil revient, au moment précis de sa montée en puissance, dendosser le rôle nouveau de mise à niveau de lappareil dÉtat, et même dassumer, à la place du roi, les mécontentements qui résultent de ces changements, quil sagisse dinnovations ou de nécessaires réformes quil tente sans toujours les réussir. En tout cas, le favori permet au pouvoir royal de contrôler la machine de lÉtat et au roi de maintenir son image et, en ce sens, il peut apparaître comme lhomme de la moderne raison dÉtat.
Cet arrière-plan reste bien étranger à louvrage ancien (1951) dans lequel Philippe Erlanger mettait son talent de conteur au service de la biographie de Buckingham, dont la réédition nest pas même assortie dune mise à jour bibliographique. La virtuosité de cette évocation au style fort daté pourra séduire quelques amateurs dhistoire «de cape et dépée» ; elle ne fera pas oublier quil existe, chez léditeur concurrent, une biographie plus récente (par Michel Duchein, Fayard, 2001) et, ne serait-ce quà ce titre, préférable.
Françoise Hildesheimer ( Mis en ligne le 13/03/2006 ) Imprimer
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