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La guerre qui fonda l’Europe moderne | | | Henry Bogdan La Guerre de Trente Ans - 1618-1648 Perrin - Tempus 2006 / 9 € - 58.95 ffr. / 308 pages ISBN : 2-262-02397-2 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Lauteur du compte rendu : agrégée dhistoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié LHistoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à lhistoriographie (Flammarion, 2002). Imprimer
Agrégé dhistoire, diplômé de lEcole des langues orientales vivantes, Henry Bogdan enseigne à lEcole militaire. Historien, spécialiste de lEurope centrale et orientale il a déja publié divers ouvrages sur cet espace (entre autres : Histoire des pays de lEst des origines à nos jours, Histoire de lAllemagne de la Germanie à nos jours, Histoire des Habsbourg des origines à nos jours
). En 1997, La Guerre de Trente ans parait aux éditions Perrin qui la rééditent aujourdhui dans leur collection de poche, «Tempus». Répondant aux règles universitaires, l'ouvrage est accompagné dune courte bibliographie, dun tableau généalogique des Habsbourg, de cartes et dun index des lieux. On peut regretter labsence dune chronologie.
Douze chapitres retracent lhistoire complexe de ce conflit qui, entre 1618 et 1648, embrasa progressivement lEurope centrale et orientale, et auquel participèrent lensemble des pays européens. Dans les drames et les horreurs dune guerre dont Jacques Callot se fit le «reporter», est née lEurope moderne. Le coût démographique fut dramatique pour les régions dEurope centrale : on estime que le Palatinat rhénan, le Wurtemberg, entre autres, perdirent 70% de leur population, la Poméranie et le Mecklembourg, près de 65%. Toute lAllemagne du Nord fut ravagée par la guerre, loccupation des troupes, les combats et les pillages. Les régions aux frontières du Saint Empire néchappèrent pas non plus aux massacres : la Franche-Comté, où la guerre ne dura que dix ans (1635-1644), passa dune population de 41 000 à 20 000 habitants. On ne peut multiplier les exemples, mais lampleur du conflit marque durablement les esprits.
Si la guerre de trente ans est un épisode fondamental dans la naissance de lEurope moderne, il fut cependant peu étudié par les historiens français jusqu'à louvrage fondateur de G.Pagès (1949), suivi par G.Livet et surtout V.L Tapié et enfin H.Sacchi (1991). La France ne participe quà partir de 1635 et cest souvent par le biais de la politique de Richelieu que lon envisage la Guerre de trente ans. Henry Bogdan ne cherche pas à faire uvre originale, mais sattache - et réussit- à rendre claire la succession complexe des événements, des alliances et de leurs renversements.
Il pose, de façon simple, dans un premier chapitre, la mosaïque de lEurope centrale au début du XVIIe siècle et les institutions du Saint Empire, à la tête duquel, depuis la Bulle dor (1356), est élu par sept princes électeurs, lempereur, membre de la famille des Habsbourg. Empire qui garde les frontières de lEurope chrétienne contre les tentatives de pénétration turques. Depuis la paix religieuse dAugsbourg (1555), les divisions religieuses partagent lEmpire (luthériens, calvinistes, catholiques) selon le principe du cujus regio, ejus religio qui fonde la religion du prince comme religion de ses sujets.
Cest dans les querelles religieuses et la question, âprement disputée, de la sécularisation des biens dEglise que débute la guerre. Les princes protestants et catholiques saffrontent et construisent dans leur camp des systèmes dalliance (Union évangélique et Ligue catholique). Dans cette atmosphère effervescente, après plusieurs moments de tension, souvre une première phase, lorsque les lieutenants royaux sont défénestrés à Prague, le 23 mai 1618. Cette défenestration est le premier acte de la révolte de la Bohème protestante, contre le roi qui venait de lui être imposé : larchiduc Ferdinand de Habsbourg, catholique. Roi que les révoltés remplacent par Frédéric V, électeur palatin et gendre du roi dAngleterre, protestant, qui ne sera que le «roi dun hiver». La question religieuse révèle aussi un nationalisme tchèque qui saffirme. Sans grande difficulté. En 1620-1621, larmée de Ferdinand (devenu empereur en 1619) défait les insurgés à la bataille de la Montagne Blanche (1620). Toutefois, malgré une répression impitoyable, Ferdinand II ne parvient pas à empêcher lexpansion rapide du conflit, dautant que les Tchèques obtiennent le secours du roi de Suède Gustave-Adolphe.
Au même moment (1621), les Habsbourg dEspagne doivent affronter la révolte de leurs provinces protestantes des Pays Bas, Provinces Unies qui soutiennent la cause de Frédéric V avec laide de la France, satisfaite de voir ainsi affaiblie lEspagne. Ainsi, par proximité, religieuse ou politique, selon lestimation quils font de leurs intérêts, les différents pays européens entrent en guerre : une première phase, jusqu'en 1635, est surtout allemande, puis lentrée en guerre de la France, alliée à la Suède, ouvre la phase européenne (1635-1648). Désormais, des souverains catholiques saffrontent, sans que la papauté ne parvienne à faire triompher des solutions de paix. Succès et revers alternent dans chaque camp, alors que des armées toujours plus nombreuses sont menées par de grands chefs de guerre (Wallenstein, le roi de Suède Gustave Adolphe, Bernard de Saxe-Weimar, Turenne, Condé
), tandis que ministres et diplomates élaborent leur stratégie. Aucune bataille cependant, ne parvient à être décisive.
A partir de 1644, enfin la lassitude lemporte et les négociations pour la paix commencent ; elles dureront quatre ans et se termineront par la paix de Westphalie établie par les traités signés à Münster pour les puissances catholiques et à Osnabruck pour les protestants. Une Europe nouvelle surgit, une France agrandie, en position de devenir la première puissance européenne, statut quelle arrachera dans les années suivantes à sa vieille rivale, lEspagne (1659). La Suède tire aussi pleinement parti de son engagement, en sagrandissant et en devenant la première puissance de la Baltique. LEmpire se reconstruit autour dune entente refondée entre lempereur et les princes allemands au prix dune réorganisation institutionnelle très forte (la constitutio westphalica), le calvinisme (non envisagé dans la paix dAugsbourg) acquiert désormais droit de cité aux côtés du luthéranisme et du catholicisme. De lélectorat de Brandebourg, surgit une puissance neuve : la Prusse qui prend sa place en Europe au cours du siècle suivant, alors quen Europe orientale Pologne et Russie se sont tenues à lécart. Les Provinces Unies ont conquis de haute lutte leur indépendance contre une Espagne désormais durablement affaiblie. Enfin lAngleterre, ravagée par la guerre civile (1641-1649), a peu participé au conflit, mais se pose désormais en puissance moyenne, prête à courir les mers, sur lesquelles elle rencontre comme adversaires les Hollandais.
Ainsi la géopolitique européenne est profondément transformée : au début du conflit, les deux branches des Habsbourg qui régnaient à Madrid et à Vienne se partageaient la prépondérance européenne ; à la fin, Vienne se recentre sur son destin dEurope centrale et orientale, et Madrid voit sa supériorité contestée de façon efficace par les autres pays européens, bientôt conviée à se replier sur les Espagnes et les Amériques, tout en conservant ses positions italiennes.
Lampleur des massacres durant la guerre traumatisa durablement les esprits et la littérature en porte témoignage ; tandis que les Eglises assurent la reconstruction morale et matérielle des populations ruinées. Dans ces uvres caritatives sillustre, entre autres, Vincent de Paul et lordre des lazaristes quil fonde à cet effet. La longueur du conflit contribua à laffermissement et à la centralisation des Etats, contraints de rassembler ressources fiscales et militaires, et de mettre ainsi à contribution de façon efficace leurs populations. La guerre est également, dune certaine façon, le creuset des nationalismes, du moins chez les élites qui poursuivent une prise de conscience entamée à la Renaissance et qui saccomplira dans le mouvement des Lumières.
Claire et concise, la synthèse dHenry Bogdan sadresse dabord à un public universitaire, mais il satisfera tout lecteur curieux de retrouver les origines pas si lointaines de notre Europe.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 20/04/2006 ) Imprimer
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