|
Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
| |
L’art dans le XVIIIe siècle | | | Jean Starobinski L'Invention de la liberté 1700-1789 - Suivi de 1789 Les emblèmes de la raison Gallimard - Bibliothèque des histoires 2006 / 45 € - 294.75 ffr. / 392 pages ISBN : 2-07-077113-X FORMAT : 17,0cm x 22,0cm
Edition revue et corrigée.
L'auteur du compte rendu: Guy Dreux est professeur certifié de Sciences Economiques et Sociales en région parisienne (92). Il est titulaire d'un DEA de sciences politiques sur le retour de l'URSS d'André Gide. Imprimer
Il faut revenir sur la légende du XVIIIe siècle, nous dit demblée Jean Starobinski. Il nest pas un siècle de la douceur de vivre, un siècle de la fête teintée de libertinage. Le XVIIIe siècle a vu lessor en effet dune réflexion esthétique indépendante et rigoureuse ; il sinterroge sur «la possibilité dun jugement éclairé qui reconnaîtrait les valeurs propres du beau et du sublime.»
Lobjectif principal de louvrage est de montrer «comment la pensée des Lumières, récusant la théologie de la Chute et réhabilitant la nature humaine, a donné la primauté aux données de la vie sensible et du sentiment, tout en faisant appel aux entreprises de la volonté éclairée.» Cest dans cette perspective que Jean Starobinski entend présenter, à travers quelques uvres, picturales et architecturales pour lessentiel, lexceptionnelle inventivité de ce siècle. La force et lintérêt du texte est de lire certaines uvres à travers les évolutions de la pensée philosophique du temps.
Ainsi, dès le départ, lauteur souligne limportance de la pensée de John Locke qui, «contrairement à Descartes», affirmait que «lâme na didées quà la suite de ses sensations». Saisir et jouer de ce sensible sera une des orientations fortes de lart de cette époque, dont le faste du style rococo témoigne assez bien. Les évolutions politiques participent, elles aussi, à la vie artistique. Jean Starobinski note que durant le XVIIIe siècle le pouvoir va devenir de moins en moins lexpression dun être exceptionnel, et prendre lapparence du privilège dun homme qui sennuie et finalement sisole. Les développements des arts décoratifs ou de lhabillement peuvent se comprendre dans ce mouvement : «Dans un monde de faste où la jouissance personnelle tend à lemporter sur le rayonnement lointain, il va de soi que ce qui entoure immédiatement la personne vêtements, meubles, bijoux, bibelots, décors de pièces intimes- prend une importance accrue.» Cette «artificialisation hédoniste de lexistence» témoigne dun siècle où lon pense aisément, comme Voltaire, que «le riche est né pour beaucoup dépenser» - parole de bourgeois, note ici Jean Starobinski à propos du philosophe.
A travers les thèmes de la fête, de la nostalgie et de lutopie ou du plaisir, lauteur nous propose un florilège duvres qui illustrent tout autant le génie de leurs auteurs que les orientations et inclinations profondes du siècle. Dans le chapitre consacré à limitation de la nature, Jean Starobinski restitue de superbe manière les hésitations dune recherche picturale de la vérité obtenue soit par le respect des singularités soit par lattention à lexemplarité des sujets.
Cette très belle réédition des deux textes de Jean Starobinski parus initialement en 1964 et 1973 - nest pas seulement utile pour les amateurs du siècle des Lumières. Plus généralement, elle permet de comprendre que lart nest jamais totalement «libre», comme il nest jamais seulement l«expression» dune période. Doù linsistance de lauteur sur le double sens du terme «invention» : «le sens vieilli de linvention qui retrouve un objet sacré et le sens qui en fait laction de créer en innovant.» Linvention de la liberté se comprend alors tout autant comme une volonté de rétablir une liberté première que celle délaborer de nouveaux fondements pour une société régénérée.
Guy Dreux ( Mis en ligne le 11/09/2006 ) Imprimer | | |
|
|
|
|