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Vision européenne du Nouveau monde
Jean-Paul Duviols   Le Miroir du Nouveau Monde - Images primitives de l'Amérique
PUPS - Ibérica 2006 /  29 € - 189.95 ffr. / 364 pages
ISBN : 2-84050-444-8
FORMAT : 16,0cm x 24,0cm

L’auteur du compte rendu : Docteur en histoire de l'E.H.E.S.S («Apparition-Disparition des nouveaux mondes en Histoire naturelle, Enregistrement-Épuisement des collections scientifiques. 1763-1830»), Bertrand Daugeron s'intéresse au destin fatal des objets à caractère ethnographique du Muséum d'Histoire naturelle durant les Lumières.
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De la période fondatrice du XVIe siècle où les Amériques s’ouvrent aux Européens, il reste un corpus iconographique profondément original allant du Brésil à la Floride. La littérature géographique produite par les chroniqueurs espagnols ou les voyageurs non ibériques développe alors des thèmes allant de l’exotique à la dénonciation de la domination, de la découverte à la conquête. Jean-Paul Duviols s’intéresse ici à la seule iconographie, rare et précieuse, et plus particulièrement aux témoignages visuels de première main. Aux exemples empruntés aux témoignages directs du rescapé Hans Staden chez les Tupis, de Lemoyne de Morgues en Floride, de John White en Virginie, il ajoute les dessinateurs sédentaires que sont De Bry et Wieditz. La publication comprend de nombreuses reproductions qui servent utilement le propos.

Jean-Paul Duviols met au centre de ses recherches les représentations. En pointant la genèse puis la migration des images, il inscrit une démarche d’histoire de l’art dans le contexte historique, passant du texte aux illustrations. Les thèmes dégagés autour des premières images illustrent trois préoccupations qui tendent un miroir dans lequel se projette l’Europe : «la réflexion humaniste et le regard humaniste», «le rêve exotique», «la controverse religieuse et politique». Parmi les sujets iconographiques retenus : les cannibales ; 1492 et Colomb découvreur ; la vision infernale, etc. L’auteur étend son champ de recherches aux premières collections américaines des objets de Moctezuma, au sacrifice sous les Aztèques et aux images qu’ils en ont donné, au film Mission de Joffé, au risque assumé de présenter un miroir éclaté.

Dans ce large parcours, il guette la construction des stéréotypes, ces images qui font repères pour la mémoire collective, voyageant de livres en livres. Le cannibalisme rapporté par Hans Staden, capturé par les Tupinambas, contribue par son récit écrit à son retour (1555) à forger une image durable, redoublant les Lestrygons de l’Antiquité. L’exemple des mains coupées présent chez De Bry et Benzoni s’inspire quant à lui de l’iconographie biblique (p.195). De même, les gravures de Bry reprennent la légende noire de Las Casas en pleine guerre de religion et donnent un écho particulier aux horreurs commises en Europe. En soulignant l’articulation du texte et des illustrations à propos du livre de John White en 1585 chez les Algonquins ou encore Lemoyne de Morgues chez les Timucuas (chap. IX), il analyse les dessins en tant que documents historiques. A cette vision d’un autre monde se superpose la place de l’Européen à côté de l’Améridien, à l’exemple du sacrifice des premiers-nés (p.260), où un français assiste à l’exécution rituelle de la primogéniture.

S’il faut nuancer l’usage «ethnographique» de ces témoignages uniques, il reste que cette humanité nouvelle se donne à voir dans le trouble d’être un inventaire avant liquidation : une apparition et tout à la fois une disparition. Ainsi le graveur de Bry, élève de Dürer, représente des Tupinambas (Brésil), Timucuas (Floride) et Tainos (Caraïbes), qui n’existent plus dès l’époque où les planches sont gravées. Les documents visuels le plus précieux se situent dans le siècle suivant Colomb. La relation du jésuite Paucke fait exception au XVIIIe siècle. La fin des réductions du Paraguay et le retour obligé en métropole permet à ce jésuite de décrire les amérindiens Mocobis des années 1760 sur plus d’un millier de pages pour 143 dessins. La chronique atteint alors l’échelle de l’épopée.

La richesse des images s’offre dans un flot continu d’illustrations, qui abreuve les différents articles et constitue l’originalité et la force de l’ouvrage. Au-delà de l’hétérogénéité du recueil, le lecteur se convainc de la nécessité pour l’historien d’interroger les représentations graphiques. Sur ce thème, on ne peut que regretter l’absence du travail de Bernard Smith, historien de l’art australien des Cook et autre Baudin dans European Vision and the South Pacific, non plus sur les Nouveaux mondes américains du XVIe siècle mais sur les «nouveaux Nouveaux mondes» du Pacifique au XVIIIe siècle. Les démarches semblables auraient mérité d’être comparées. De même, on aurait apprécié un effort de précision sur les mots «sauvages», «civilisés», «primitifs» en ce qu’ils touchent des rapports au temps construits en Europe à la fin du XVIIIe siècle et non durant la Renaissance. L’idée que l’on pourrait situer des sociétés dans une échelle de progrès d’après leur culture matérielle appartient quant à elle au XIXe siècle : pensons aux collections de Pitt Rivers d’Oxford, organisées d’après un paradigme évolutionniste. Les Nouveaux mondes du XVIe siècle se rencontrent dans le seul espace, au delà de l’océan, et non dans le temps.

Ces quelques remarques n’ôtent rien à la valeur d’un corpus iconographique qui souligne la «révolution culturelle» qu’exigea la représentation d’une nouvelle humanité, avant sa disparition. En étendant les sources documentaires disponibles à l’historien, Jean-Paul Duviols parie avec bonheur sur la force des images.


Bertrand Daugeron
( Mis en ligne le 12/03/2007 )
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