|
Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
| |
Saint Denis : histoire d’une légende | | | Jean-Marie Le Gall Le Mythe de Saint Denis - Entre Renaissance et Révolution Champ Vallon - Epoques 2007 / 32 € - 209.6 ffr. / 536 pages ISBN : 978-2-87673-461-6 FORMAT : 15,5cm x 24,0cm
L'auteur du compte rendu : Matthieu Lahaye est professeur agrégé et poursuit une thèse consacrée au fils de Louis XIV Imprimer
Jusquau XVIe siècle, la tradition retenait que le premier évêque de Paris, Denis, décapité sur la colline de Montmartre, nétait autre que Denis lAréopagite, converti par Saint-Paul à Athènes ainsi que lauteur de quatre textes fameux : les Noms divins, la Théologie mystique, la Hiérarchie céleste et la Hiérarchie ecclésiastique. A la fois figure fondatrice dun siège épiscopal, protecteur des rois de France, mais aussi symbole de la continuité entre lhistoire païenne et chrétienne, la richesse de cette vie et les soupçons légitimes sur sa véracité firent très tôt de Denis une figure dautorité discutée.
Jean-Marie Le Gall, maître de conférences à lUniversité Paris-I Panthéon-Sorbonne, reconstitue à laide de sa vaste érudition les polémiques qui firent rage autour de la figure de Denis. Il sinscrit là dans une tradition historiographique largement représentée par les anglo-saxons qui sintéressent à lhistoire légendaire des saints et à leur appropriation par les croyants. Par ce style souple et élégant auquel lauteur nous avait déjà habitué dans son précédent ouvrage tiré de sa thèse, Les Moines au temps des réformes en France, 1480-1560, Jean-Marie Le Gall, en quatre parties agrémentées dune riche iconographie, ressuscite la complexité de la dévotion à un saint que lon a qualifié trop rapidement de saint national.
La polémique savante de lépoque moderne tourne autour de la convocation dautorités capables de légitimer des positions contre des adversaires. Ainsi Denis apparaît très souvent au cours des affrontements qui ont secoué la République des lettres car il est à un carrefour de bien des rêves et des préoccupations de la Renaissance. Venu dOrient, il est un maillon entre la philosophique grecque et la Révélation enseignée par Saint Paul. Il est en quelque sorte une justification toute trouvée pour ces hommes de la fin du quattrocento qui pensent la continuité des savoirs par-delà les temps et les lieux.
Les néo-platoniciens, en Italie notamment, apprécient aussi particulièrement Denis. En effet, le style éminemment mystérieux du corpus dionysien les renforcent dans lidée que la vérité est une énigme, un mystère, réservée à un petit nombre dinitiés. Les disciples de la philosophie stoïcienne ne sont pas en reste non plus. Lorigine grecque du saint, mise en évidence par son épithète dAréopagite, justifie à leurs yeux la nécessaire fusion entre la sagesse des Hellènes et le christianisme. Les récupérations politiques du saint ont aussi été nombreuses. Lauteur les développe dans toutes leurs nuances, mais sil faut en retenir une, citons seulement la malice avec laquelle les défenseurs de la voie conciliaire dans lEglise ont relevé que Denis ne mentionne jamais lexistence du pape dans ses oeuvres.
Cependant, au même titre que les autres types dautorités intellectuelles et politiques, lesprit critique du XVIe na pas épargné Denis. Certains humanistes et les protestants surtout ont focalisé leurs attaques sur les textes dionysiens en démontrant quils ne pouvaient pas avoir été écrits par un homme du Ier siècle. A laide de toutes les disciplines prisées par la Renaissance : la philologie, lhistoire, la philosophie, les savants doivent se résoudre finalement à dissocier Denis, le premier évêque de Paris dun pseudo-Denis, théologien. Laffaire rebondit au début du XVIIe siècle avec Jean de Launoy qui a réussi à prouver, par un peu de bon sens, que le premier évêque de Paris ne pouvait pas non plus être un grec converti par Saint Paul. A lorée du XVIIIe siècle, il ne reste plus grand-chose de Denis ; quelques espiègleries bien senties sur la céphalophorie du saint mettront un point final à la controverse.
Contre ces attaques, la monarchie française, traditionnellement placée sous la protection de Denis depuis le Moyen Âge, na pas été un allié. Lauteur note un détachement du roi à légard de Denis à partir du règne dHenri III (1574-1589). En effet, limaginaire véhiculé par le saint protecteur allait à lencontre des forces ascendantes du régime : labsolutisme. Devant la fracture religieuse, la monarchie, au-delà des confessions, se pense comme le nouvel espace dunion entre les Français. A partir de la fin du XVIe siècle, le roi veut incarner une religion où Dieu serait présent dans le monde par la seule médiation providentielle du souverain. Ce dernier ne peut donc se placer dans une position de quémandeur à légard dun saint. Et comme Denis est aussi le symbole dune christianisation antérieure à Clovis, il napparaît plus comme une autorité pertinente.
Dans sa dernière partie, Jean-Marie Le Gall illustre cette thèse en soulignant le lent mais certain déclin du culte de Denis dans labbatial de Saint-Denis. La nécropole se transforme peu à peu en un lieu de célébration du sang royal. Cest loccasion pour lauteur décrire des pages denses et concises sur les cérémonies funéraires de la monarchie française, qui donnent toujours lieu à des débats passionnés entre historiens. Lauteur considère que lutilisation de simples cercueils pour recueillir le corps des Bourbon sexplique par une incorporation parfaite de la dignité royale. Laffirmation sera, nen doutons pas, très discutée.
Avec le talent des grands historiens, Jean-Marie Le Gall fait de la figure de Saint-Denis un fil conducteur, un point dobservation des remous de la modernité (XVIe-XVIIIe siècles) alimentés par une question sempiternelle : au nom de quoi la tradition lemporterait-elle sur la vérité ? La France, plus que tout autre pays européen, aura poussé jusquà son extrémité ce questionnement par le processus révolutionnaire de la fin du XVIIIe siècle. Le sacrilège des tombes royales en 1793 et le texte publié par le Moniteur à cette occasion sont sans doute un aboutissement terrifiant et halluciné dune volonté de renverser toutes les autorités du monde ancien : «Nous navons pas été tenté de baiser cette relique puante, en évoquant de Denis, [...] ce crâne et les guenilles sacrées qui laccompagnent vont cesser dêtre le ridicule objet de la vénération des peuples.»
Matthieu Lahaye ( Mis en ligne le 11/06/2007 ) Imprimer | | |
|
|
|
|