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Dossier LE SOLEIL ET SES RAYONS
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Turgot, Cassandre de la monarchie
Jean-Pierre Poirier   Turgot - Laissez-faire et progrès social
Perrin 1999 /  24.27 € - 158.97 ffr. / 459 pages
ISBN : 2-262-01282-2
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Dans les livres d'école de jadis, au chapitre du règne de Louis XVI, quelques lignes attendries rappelaient le souvenir de Turgot, le bon ministre du règne, intendant bienfaisant du Limousin et dernière chance, manquée, de la monarchie. C'était le pendant républicain au hameau de Marie-Antoinette : moutons frisottés, houlettes à rubans, danses villageoises, rien ne manquait à la pastorale.
L'image d'Épinal, pour une fois, n'est pas trop trompeuse. Dans une nouvelle et alerte biographie, M. Jean-Pierre Poirier brosse un portrait qui n'efface pas le tableau flatteur de nos vieux manuels. La jaquette annonce que l'auteur utilise "l'ensemble des analyses des archives disponibles". En fait, l'ouvrage repose d'abord sur l'analyse des oeuvres de Turgot publiées entre 1919 et 1923 par Gustave Schelle. Il fait aussi largement usage des correspondances et mémoires du temps : Mercy-Argenteau, le duc de Croÿ, l'abbé Morellet et l'abbé de Véri. Pour le reste, M. Poirier fait la synthèse de l'abondante bibliographie consacrée au personnage et à son temps, notamment La disgrâce de Turgot par Edgar Faure (1961). D'archives point : l'auteur s'intéresse plus au penseur qu'à l'administrateur ou qu'à l'homme privé. Les historiens des institutions ne trouveront pas de long développement sur le fonctionnement de l'intendance de Limousin ou du contrôle général des finances.

En effet, M. Poirier envisage principalement Turgot comme théoricien de l'économie politique. Est-il l'un des inventeurs du libéralisme ou le simple continuateur des Locke, Cantillon des Hume, côté anglais, ou des Mirabeau, Quesnay et Gournay, côté français ? M. Poirier ne tranche pas, mais pour éclairer le lecteur, analyse avec minutie chaque ouvrage de son héros : on lui doit d'autant plus d'éloges de soutenir l'intérêt du lecteur d'un bout à l'autre de l'ouvrage.
Aux yeux de Turgot, les phénomènes économiques influent davantage que les décisions politiques sur le destin des sociétés humaines. Sa pensée emprunte beaucoup à celle d'autres économistes anglais et français du XVIIIe siècle, mais elle en diffère par les objectifs : progrès social et bonheur des hommes. Turgot n'est pas le théoricien d'un économisme desséchant. Soucieux de justice sociale, il écrit dans l'Encyclopédie : "Le pauvre a des droits incontestables sur l'abondance du riche".
Homme de son siècle, il fait sienne, avec quel enthousiasme, la doctrine de la perfectibilité : "L'intérêt, l'ambition, la vaine gloire changent à chaque instant la scène du monde, inondent la terre de sang ; et au milieu de leurs ravages, les moeurs s'adoucissent, l'esprit humain s'éclaire, les nations isolées se rapprochent les unes des autres; le commerce et la politique réunissent enfin toutes les parties du globe, et la masse totale du genre humain, par des alternatives de calme et d'agitation, de biens et de maux, marche toujours, quoique à pas lents, à une perfection plus grande".
La liste de ses disciples est impressionnante : Roederer, Germain Garnier, Morellet, Sieyès, Condorcet, Du Pont de Nemours, Lavoisier et bien d'autres. L'influence de sa pensée sur l'oeuvre réformatrice de la Révolution sera considérable.

Issu d'une vieille famille parlementaire, Anne-Robert-Jacques Turgot était né à Paris le 10 mai 1727. Il appartenait au cercle restreint de cette haute robe où se recrutaient les grands commis de l'ancienne monarchie : son père avait été prévôt des marchands, conseiller d'État et premier président du Grand Conseil. Ses cousins furent intendant des finances, intendant de province, conseiller d'État, etc. D'abord destiné à l'Église, il perdit la foi et rentra dans le siècle (d'autres, alors, n'avaient pas de tels scrupules de conscience). Substitut du procureur général du parlement de Paris (1751), conseiller au Parlement (1752), maître des requêtes (1753), il gravit l'échelle des honneurs avec la rapidité coutumière aux hommes de son rang.
Après quelques d'années d'apprentissage au Conseil, il fut nommé intendant de Limoges en 1761. Il allait y demeurer treize ans. Là se succédèrent réforme de la taille, réforme de la milice, construction de routes, notamment celles de Limoges à Angoulême, institution de bureaux de charité et d'ateliers de charité, intérêt pour la porcelaine de Limoges, aide à la navigation sur la Charente, etc. Comme intendant de Limoges, Turgot n'eut cependant rien d'un révolutionnaire : il fit honnêtement son métier d'intendant et pratiqua un dirigisme à visée sociale, contraire à la lettre de sa doctrine libérale.

Vint l'année 1774 et la mort de Louis XV. Le jeune Louis XVI appela auprès de lui le vieux Maurepas, disgracié depuis 1749, et se sépara bientôt des ministres de son prédécesseur, ce "triumvirat" formé par le chancelier Maupeou, l'abbé Terray et le duc d'Aiguillon, qui, par sa politique autoritaire, venait de restaurer l'autorité royale. L'ancien Parlement de Paris, supprimé depuis 1770, fut rétabli. Au duc de La Vrillière qui lui réclamait les sceaux de la part du roi, Maupeou jeta avec rage : "J'ai fait gagner au roi un procès qui durait depuis trois cent ans. Il veut le reprendre. Il en est bien le maître".
Prévenu en faveur de l'intendant de Limousin, dont les ouvrages d'économiste jouissaient d'une certaine réputation, Maurepas jeta les yeux sur lui. Le 20 juillet, il était secrétaire d'État de la Marine. Le 24 août 1774, Louis XVI renvoyait Terray et nommait Turgot contrôleur général des finances. C'était la Saint-Barthélemy des ministres, ironisait-on à la Cour. Le 26 août, voilà Turgot ministre d'État. Il arrivait avec un programme de rigueur : "point de banqueroute, point d'augmentation d'impositions, point d'emprunts".
Son premier souci fut d'instaurer la liberté du commerce des grains à l'intérieur du royaume. L'idée était heureuse en elle-même, mais impopulaire, et l'exécution s'avéra malaisée : l'année suivante, la crise frumentaire entraîna une suite d'"émotions" populaires en région parisienne, la "guerre des farines". Turgot y vit un complot des privilégiés contre son système. Au cours de cette "guerre", les émeutiers s'étaient pressés devant les grilles de Versailles, criant "Nous voulons du pain à deux sols la livres". Apparu au balcon, Louis XVI voulut les haranguer, mais ne put se faire entendre : mauvais présage. Le dernier mot appartint à l'abbé Galiani, dans ses Dialogues sur le commerce des grains ; il y dénonçait l'"économistification" et recommandait la prudence dans un domaine qui touche à l'ordre public : "le pain appartient à la police non au commerce".

Refusant d'être un simple "ramasseur d'argent" pendant son ministère, Turgot multiplia les réformes économiques: transformation de fermes en régies; première uniformisation des poids et mesures; suppression des corvées; restriction du pouvoir des jurandes et maîtrises. Certaines eurent une longue postérité : créée par Turgot, relancée par Necker, la Caisse d'Escompte deviendra en 1800 notre Banque de France. Fin 1775, le contrôleur général avait entamé le redressement financier: les impôts rapportaient 327 millions, 67 de plus que l'année précédente ; le déficit était ramené à 15 millions.

En matière d'administration, le ministre reprit et développa les plans agités depuis le début du siècle, notamment par les Tables de Chaulnes en 1711, et par Mirabeau en 1759. Il envisageait une hiérarchie d'assemblées censitaires chargées de la répartition de l'impôt, des travaux publics et de l'aide sociale : municipalités villageoises, d'élection et municipalité générale du royaume. Il préconisait l'uniformisation des circonscriptions judiciaires et administratives. En juillet 1778, Necker allait essayer sur ce modèle un assemblée provinciale en Berry. "Cela ressemble, pestera Turgot, à mes idées sur les municipalités comme un moulin à vent ressemble à la lune". Dans son système, le gouvernement devait conserver l'intégralité du pouvoir législatif et exécutif. Tout cela devait conduire d'une monarchie absolue à une monarchie constitutionnelle, mais lentement et par degrés insensibles.

Mais le temps lui manquait et ses projets blessaient trop d'intérêts particuliers. Tout était contre lui : les dévots, les parlements, le parti Choiseul, la reine, dont le rôle fut incroyablement néfaste, la Cour, les financiers. Turgot était un homme seul, sans coterie, sans parti ni cabale. Il était surtout un homme à la nuque raide: orgueilleux, autoritaire, trop sûr de la justesse de sa doctrine, il manquait de sens politique et d'habileté. Il lui fallait l'appui d'un despote éclairé, et Louis XVI n'était ni assez despote, ni assez éclairé.
Ainsi le mentor du roi, Maurepas, formait-il avec Turgot un contraste total. Maurepas, c'est la quintessence du marquis rococo : pour le vieux ministre, courtisan avant toute chose, la faveur du monarque passe devant l'intérêt public. "Vous cessez de me gronder, mon cher comte, lui dit un jour Marie-Antoinette. Voyez à quelle simplicité je réduis ma parure. Me voilà vouée à l'uni. Voyez, jusqu'à mes souliers tout bonnement de satin vert uni". "Madame, répond l'habile Maurepas, je ne saurais m'étonner de voir l'univers à vos pieds".
Turgot aurait été bien incapable de semblables calembours. Monsieur, comte de Provence, le futur Louis XVIII, en fit une caricature significative : "Il y avait en Perse un homme gauche, lourd, épais, né avec plus de rudesse que de caractère, plus d'entêtement que de fermeté, plus d'impétuosité que de tact, plus d'inquiétudes que de vues, charlatan d'administration ainsi que de vertu (...) Il s'appelait TOGUR; il rêvait nuit et jour philosophie, liberté, produit net; c'étaient les délires qui l'avaient mis à la mode, c'était le cri de ralliement des prétendus penseurs".

La révolte des colonies anglaises d'Amérique, en 1775, échauffa les esprits en France. Tout un parti souhaitait effacer le souvenir de la désastreuse guerre de Sept Ans. Pour Turgot, la cause était entendue : "Je crois fermement, écrit-il, que toutes les métropoles seront forcées d'abandonner tout empire sur leurs colonies, de leur laisser une entière liberté de commerce avec toutes les nations, de se contenter de partager avec les autres cette liberté et de conserver avec leurs colonies le lien de l'amitié et de la fraternité". ses yeux, la victoire des Américains n'était qu'une question de temps. Aussi l'entrée en guerre de la France lui paraissait-elle inutile à la cause des Insurgents et néfaste à la réforme de l'État.
La participation de la France à la guerre d'indépendance américaine contrariait ses projets d'économie. Elle allait causer directement sa chute : le 9 mai 1776, un conseil secret, dont Turgot était exclu, décidait l'entrée dans la guerre; le 12, le contrôleur général était renvoyé en même temps que Malesherbes, après un ministère de moins de deux ans.

Sentant sa disgrâce prochaine, Turgot avait adressé à Louis XVI une lettre pleine de reproche : "Vous manquez d'expérience, Sire ! Je sais qu'à vingt-deux ans, et dans votre position, vous n'avez pas la ressource que l'habitude de vivre avec des égaux donne aux particuliers pour juger les hommes (...) Vous n'avez point d'expérience personnelle, mais pour sentir la réalité des dangers de votre position, n'avez-vous pas l'expérience si récente de votre aïeul ?". Puis, tombe la fameuse prédiction : "N'oubliez jamais, Sire, que c'est la faiblesse qui a mis la tête de Charles Ier sur le billot (...) C'est elle qui a fait tous les malheurs du dernier règne. On vous croit faible, Sire, et il est des occasions où j'ai craint que votre caractère n'eût ce défaut". En même temps que sa hauteur de vues, toute la naïveté de Turgot transpire dans cette diatribe : un pareil langage peut-il s'adresser à un roi absolu ?
Quel prince un peu pénétré de sa grandeur pourrait tolérer un tel discours d'un de ses ministres ?

Après sa disgrâce, la retraite de Turgot fut courte mais bien remplie. Tandis que s'accélérait la valse pitoyable des contrôleurs généraux, l'ancien ministre partageait son temps entre Paris et La Roche-Guyon, domaine de son amie la duchesse d'Enville. Auprès d'elle, il reprit ses travaux scientifiques, suivit les séances de l'Académie des inscriptions et mit l'Énéide en vers français. Joseph II, Gustave III, Voltaire lui rendirent visite. Il mourut à l'hôtel des Turgot, sur l'île Saint-Louis, le 18 mars 1781, âgé de cinquante-quatre ans. Le ministre avait toujours souffert de la goutte. Il pensait mourir prématurément, et cette conviction contribuait à sa frénésie de réformes, car il se savait le temps compté.

A tout prendre, en effet, mieux valait mourir. Turgot avait eu la chance de fréquenter les plus brillants salons parisiens pendant ces belles années du XVIIIe siècle, dont Talleyrand devait dire plus tard que ceux qui ne les avait pas connues ne savaient ce qu'est la douceur de vivre.
Aux premières loges, il avait vu à son comble le rayonnement de la langue, des lettres et des arts français, ce moment unique dans l'histoire de notre nation, qui demeure l'honneur de la France et l'apogée de sa gloire. Sans doute, quand l'intendant de Limoges arriva aux affaires, le régime commençait-il de sentir le cadavre, mais, tout philosophe qu'il était, Turgot était demeuré un homme de sa race, dévoué au service d'un État incarné dans la personne de son souverain. Eût-il assez vécu pour voir la grande convulsion qui suivit, que le ministre n'aurait pu observer sans dégoût ni sans épouvante la ruine de l'ancien édifice, la fin de tant d'espérances et le martyre du fils de tant de rois.


Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 08/09/2000 )
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