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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Cinéma, histoire et politique
Raphaël Muller   Thomas Wieder    Collectif   Cinéma et régimes autoritaires au XXe siècle - Ecrans sous influence
PUF - Les rencontres de Normale Sup' 2008 /  22 € - 144.1 ffr. / 213 pages
ISBN : 978-2-13-055749-4
FORMAT : 15cm x 21,5cm

Préface de Pierre Sorlin.

Raphaël Muller a collaboré à Parutions.com

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

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Les rapports entre l’art cinématographique et le pouvoir ont toujours été complexes et troubles. Comment ne pas imaginer qu’un pouvoir quelconque ait envie à un moment ou à un autre de contrôler, de formater les consciences, d’instiller telle ou telle idéologie de son cru grâce à un instrument comme le cinéma ? Il n’est pas étonnant que les dirigeants se soient emparés d’une telle opportunité, quand on connaît l’impact du cinéma sur l’imaginaire du public ou la formation de ses représentations. Car cet art «industriel», qui apparaît à la fin XIXe et au début du XXe siècle, permet de toucher le plus grand nombre, et donc d'avoir un effet de réel, un impact encore plus conséquent que les romans ou la littérature, media plus artisanaux.

En quelques chapitres concis, les auteurs tentent de faire le tour des pays qui ont connu un régime autoritaire au moment de l’avènement du cinéma et ensuite. Quels sont les organismes qui ont aidé à une telle diffusion de la propagande ? Comment cette propagande s’est-elle répandue ?

Tout commence avec l’URSS, puis viennent l’Italie, le Japon, le Portugal, l’Allemagne, l'Espagne, la France, l'Europe centrale (Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie), la RDA, la Chine, le Brésil et enfin la Grèce. L'ouvrage est collectif et dirigé par Raphaël Muller et Thomas Wieder, anciens élèves de l'École normale supérieure (Ulm) et agrégés d'histoire. Les auteurs de ces contributions sont, respectivement, François Navailh, Jean A. Gili, Maria Roberta Novielli, Yves Léonard, Christian Delage, Nancy Berthier, François Garçon, Kristian Feigelson (avec la collaboration de Gabor Eröss), Caroline Moine, Lujisa Prudentino, Leonor Souza Pinto et Stéphane Sawas.

En général, le pouvoir politique de l’époque tente d'accaparer directement la production et la diffusion, et de surveiller les différents longs métrages. Par exemple, en Allemagne, l'UFA (Universum-Film-Aktiengesellschaft, fondée le 18 décembre 1917, cartel regroupant les principaux producteurs allemands) passe aux mains du ministre de la culture, le tristement célèbre Joseph Goebbels. Ce dernier créera en 1942 un Konzern, l'UFA-Film-GmbH, qui absorbera l'ancienne UFA et une centaine d'entreprises travaillant dans le cinéma. De même, l'Etat franquiste s'occupe tout d'abord de l'exclusivité du documentaire, en particulier les actualités cinématographiques avec la création du NO-DO (Noticiaros y Documentales Cinematograficos) à partir de 1943, avec une projection obligatoire en première partie de tout film ! Ainsi, la propagande est assurée.

La situation est évidemment différente selon les pays et les époques. Certes, le contrôle est toujours aussi serré et rigoureux, aussi bien sous une dictature, un régime autoritaire qu'un État totalitaire. Le cas de l'Europe Centrale est assez étonnant car les films y parvenaient à ruser avec le régime (qui les finançait !) sous forme de métaphores et d'allusions discrètes. Ainsi, au nez et à la barbe des régimes, les cinéastes arrivaient à être plus ou moins compris. On connaît la situation du cinéma tchèque.

Quant aux films eux-mêmes, ce sont soit des divertissements, des comédies le plus souvent mais aussi des films historiques (en quoi notre époque ne diffère en rien, comme le rappelait le cinéaste Michael Haneke !) destinés à occuper l'esprit ou le détourner de préoccupations plus politiques, soit des films de pure propagande. On parle ainsi pour Italie du "cinéma des téléphones blancs" pour désigner la production nationale des années trente et quarante : des comédies à l'eau de rose, des marivaudages désuets, etc., au demeurant agréables à regarder... mais totalement fabriqués pour "divertir" les masses et les détourner des problèmes de l'instant. Dans ces films, un téléphone blanc remplaçait le téléphone noir usuel en galalithe ; l'objet est ainsi devenu un symbole.

Autre exemple en Espagne avec le film Race : l'histoire d'une famille prise dans la tourmente de la guerre civile. Le récit s'articule autour de la figure d'un héros, image sublimée de Franco. La réalisation est confiée à José Luis Saenz de Heredia, cousin germain du fondateur de la Phalange, José Antonio Primo de Rivera ! L'Allemagne nazie distille son idéologie d'une façon plus sournoise, notamment dans un film de 1940, Le Juif éternel de Fritz Hippler, dans lequel, après les rafles, on filme les juifs dans le ghetto de Varsovie, donc dans des situations terrifiantes tout en les accusant de les avoir provoquées. Comme l'indique très justement Christian Delage : "Ce sont donc les conséquences mêmes de l'occupation nazie qui sont retournées contre leurs victimes, en faisant passer l'état de détresse des Juifs pour preuve de leur dégénérescence originelle" (p.105).

Il y a bien entendu la censure et l'autocensure aussi. Quand certains subissaient, d’autres profitaient. De nombreux cinéastes ont payé en humiliations, en peur, voire au prix de leur vie, leur envie de créer. Avec le recul, les méthodes peuvent nous sembler "archaïques" et la propagande, grossière. Mais quand on examine les méthodes pratiquées aujourd'hui, faites d'une façon plus dissimulée et sous couvert progressiste ou démocratique... Non seulement le cinéma a servi à répandre la propagande mais celle-ci n'est pas prête de disparaître.

Cet essai établit donc un large panorama de la situation d'une façon simple et directe figurant en cela une première et bonne approche, documentée et historique, en un mot instructive. Si l’ouvrage n’aborde que les régimes autoritaires historiques, on est en droit de se demander aussi ce qui a réellement changé de nos jours. Dany-Robert Dufour cite dans On achève bien les hommes un événement où 500 décideurs politiques et économiques de haut niveau se sont réunis pour trouver des solutions à la question de la gouvernabilité des 80 % d’humanité surnuméraire par rapport aux besoins de l’économie : la solution retenue par Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller du président Carter et fondateur de la Trilatérale, fut le tittytainment (de tits, «Les seins» en argot américain, et de entertainment, «divertissement») : «un cocktail de divertissement abrutissant et d’alimentation suffisante permettant de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète". Dès lors, à quand un essai sur le cinéma et les démocraties contemporaines ?…


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 13/01/2009 )
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